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CŒUR SACRE DE JÉSUS (DÉVOTION AU)

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Église » . P. L., t. xci, col. 1 139. Mais rien ne nous autorise à voir là ni un culle, ni une dévotion spéciale au Sacré-Cœur. Concluons avec l’abbé Thomas : « L’élément spirituel de la dévotion au Sacré-Cœur est bien nettement marqué dans la préparation évangélique. Je ne parle pas de l’objet sensible, c’est-à-dire du Cœur sacré. S’il est compris dans le culte primitif, ce n’est que d’une manière purement intellectuelle et par un effort de noire volonté. Or cela ne suffit point pour qu’il ait reçu des anciens une vénération spéciale. Si l’on essayait de (aire remonter ce culte, dans sa forme actuelle, à une époque où l’on n’en soupçonnait pas l’existence, la méprise serait grande. » La théorie de la dévotion au Sacré-Cœur, p. 46 sq. M. Thomas ne parle ici que de l’Ancien Testament, liais ce qu’il dit est vrai du Nouveau, vrai aussi des premiers siècles chrétiens. On voyait dans le côté percé d’où sortaient l’eau et le sang une source de grâces ; on semble y avoir vu un refuge, un lieu de repos et d’union à.lésus. On était donc tout près du Sacré-Cœur ; on ne le distinguait pas encore dans la poitrine ouverte.

XIe et xii’siècles. Passage de la plaie du côté à la plaie du cœur ; symbolisme du cœur percé. — C’est au xie siècle ou au xiie que nous trouvons les premières traces du Sacré-Cœur, qui peu à peu se montre à 1 ame dévote dans le côté percé, et se montre percé lui-même, comme pour inviter à entrer plus avant, à l’union avec ce Cœur divin. C’est donc par la plaie du côté que la dévotion a trouvé le cœur. Le culte du Sacré-Cœur semble être sorti de la dévotion à la plaie du côté. Le passage nous apparaît comme fait déjà, ou du moins comme en train de se faire, dans un mot de la 10e méditation anselmienne : Dulcis Jésus… in apertione lateris ; apertio siquidem illa revelarit nobis divitias buuitalis suai, carilalem scilicet cordis sui errja nos. P. L., t. clviii, col. 762. Cette méditation est-elle de saint Anselme ? Peut-être, mais on ne peut l’affirmer. L’auteur, en parlant du cœur aimant, caritalem cordis, avait-il distinctement en vue le cœur de chair’? On peut le soutenir, mais ce n’est pas évident.

Saint Bernard est-il plus clair, j’entends en ce qui est vraiment de lui, puisque la Vilis myslica ou traité De passionc ne paraît pas en être ? Il me semble qu’il l’est, au moins une fois : « Le 1er a transpercé son âme, il a eu accès à son cœur, pour qu’il sache désormais compatir à mes infirmités. Le secret du cœur est découvert par les trous du corps (jpatet arcanum cordis per foramina corporis) ; découvert ce grand sacrement de honlé, les entrailles miséricordieuses de notre Dieu. » In Cant., serm. lxi, n. 4, P. L., t. clxxxiii, col. l(>7-2.

Avec Guillaume de Saint-Thierry (f vers 1150), l’ami de saint Bernard, le doute ne paraît plus possible : « Quand je brûle de m’approcher de lui, … c’est lui iinit entier que [comme Thomas) je désire voir et toucher ; plus encore, m’approcher de la sacro-sainte blessure de son côté, de cette porte de l’arche faite au liane (08tium arcm quod factum est in la ter e), non pas seulement pour y mettre mon doigt ou ma main, mais pour entrer tout entier jusqu’au Cœur même de Jésus, dans le Saint des Saints, dans l’arche du Testament ; jusqu’à l’urne d’or, l’âme de notre humanité, contenant en soi la manne de la divinité. » De COtltemplando Deo, c. i, n. 3, /’. /.., t. ci xxxiv, col. 368. Mêmes idées

et presque mêmes expressions ailleurs : « Ces ineffables richesses de votre gloire, Seigneur, étaient cachées dans le ciel de votre être mystérieux (in cmlo secreti lui) jusqu’à ce que, la lance du soldai ayant ouvert le côté de votre Fils Notre-Seigneur et Rédempteur sur la croix, il s’en écoula les sacrements de notre rédemption, (le façon que nous ne mettions pas seulement dans son côté noire doigt ou notre main, comme Thoi mais que par la porte ouverte, nous entrions tout en tiers jusqu’à votre Cœur, ô Jésus, ce siège assuré de la miséricorde (in aperlum ostiuni toti intremus usque ad Cor tuum, Jesu, cerlani sedem misericordiae), jusqu’à votre âme sainte, pleine de toute la plénitude de Dieu, ’pleine de grâce et de vérité, pleine de notre salut et de notre consolation. Ouvrez, Seigneur, la porte latérale de votre arche (osJu<rn lateris arcm tuœ), ai qu’y

entrent tous vos élus…, ouvrez-nous le côté de votre corps (lalus corporis lui), afin qu’y entrent ceux qui désirent voir les secrets du Fils ; qu’ils reçoivent les Ilots mystérieux qui en découlent (proflnentia ex eo sacramenta), et le prix de leur rédemption. » Meditativm orationes, vi, P. L., t. clxxx, col. 225-226.

Le postulateur de 1697. citait, comme une autorité de première valeur, un texte de Gilbert de Holland (Angleterre), sur le cœur de notre divin Salomon, qui est Jésus. In Cant., serm. xxi, n. 6, P. L., t. clxxxiv, col. 113. Et d’autres l’ont repris. Mais à bien regarder, il ne s’agit pas, au moins directement, du Cœur de chair de Jésus ; ce sont les âmes d’élite, qui, membres plus nobles de ce corps précieux, qui est le corps mystique, peuvent en être regardées comme le cœur. Gilbert cependant a au moins une belle page sur le Cœur de Jésus. C’est à propos du texte, Vulnerasli cor meum, Cant., iv, 9 : « La blessure du cœur marque la vivacité de l’amour. O cœur vraiment doux, qui se laisse émouvoir par notre amour pour nous repayer d’amour… Nous avons beau aimer, ce n’est jamais qu’une réponse (quamtumeumque amat, non amat, sed redamat)… Vous ne pouvez, épouse, vous acquitter pleinement. Il ne cesse pourtant d’ajouter à son amour. Ce qu’il vous a avancé n’est pas rendu encore ; il veut bien cependant se tenir pour obligé. Ce que vous lui rendez en amour, il ne le prend pas comme son dû ; il le tient pour don gratuit. Il se sent comme provoqué à aimer, quand il dit que son cœur est blessé. Quelle merveille, mes frères, ne la trouvez-vous pas bienheureuse, l’âme qui perce et pénètre le Cœur même de Noire-Seigneur Jésus-Christ par ses tendres affections ? » Serm., xxx, n. 1, 3, P. L., t. clxxxiv, col. 155. Tout le passage est très beau dans sa pieuse subtilité. Il faut reconnaître pourtant que rien ne s’y applique directement au Cœur de chair de Jésus. Mais la difficulté même de distinguer si c’est Yamour qui est visé ou si c’est le cœur aimant, montre l’unité intime de la dévotion, et comment l’élément sensible et l’élément spirituel se fondent en un tout dont on ne sait presque plus s’il est sensible ou spirituel.

Avec le H. Guerric d’Igny (f vers T160), le pieux disciple de saint Bernard, nous nous retrouvons certainement devant le camr de chair : « Béni soit-il, lui qui, pour que je puisse faire mon nid dans les trous de la pierre, s’est laissé percer les mains, les pieds et le côté ; qui s’est ouvert tout entier à moi, pour que j’entre dans le lieu du tabernacle admirable, et trouve protection dans le secret de sa tente… Ces trous béants de tant de blessures offrent le pardon aux coupables et versent la grâce aux justes… Fuyez de lui à lui-même… Non seulement à lui, mais en lui ; entrez dans les trous de la pierre…, cachez-vous dans ses mains percées, dans son côté ouvert. Car la blessure au côté du Christ, qu’est-ce autre chose que la porle au liane de l’arche ?… lion et plein de pitié, il a ouvert son côté pour que le sang de sa blessure te vivifie, que la chaleur de son corps te réchauffe, que le souffle de son cour t’aspire, pour ainsi parler, en t’ouvrant libre passage (spiritUS , ar<iîs quasi patenli et libero meatu aspiret). » In dominica palmarum, serm. iv, n. 5, P. L., t. ci.xxxv, col. 140. Il semble bien que Guerric donne au cœur le

rôle du poumon. Mais le rieur y est, et comme symbole

d’amour. Il y est comme ouvert par la blessure, en rapport étroit avec les autres plaies.

Ainsi s’unissent peu a peu les divers éléments qui