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CYPRIEN SAINT]



1. CYPRIEN (SAINT).
I. Vie. II. Ouvrages. III. Doctrine. IV. Influence.

I. Vie.

Cœcilius Cyprianus, surnommé, on no sait trop pourquoi, Tascius, cf..Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, Paris, 1902, t. ii, p. 202 sq., la plus belle figure peut-être de l’Église latine du nr siècle, naquit vers 210 dans l’Afrique proconsulaire, et probablement à Carthage. Païen de naissance, nul doute qu’il n’ait appartenu à la baute bourgeoisie locale et n’ait possédé une assez grande fortune personnelle. Cyprien, élevé par des maîtres habiles, se fit rhéteur et professa l’éloquence à Carthage avec beaucoup d’éclat. Idées et mœurs, rien en lui ne semblait présager la métamorphose d’où allait sortir un homme nouveau. Cependant, vers 246, le dégoût des vanités mondaines et plus encore le besoin de certitude, la lecture de la Bible, et l’influence d’un vieux et saint prêtre, Ctecilianus ou Cœcilius, décidèrent le brillant rhéteur, la grâce de Dieu aidant, à rompre avec les erreurs et les désordres du paganisme. A peine converti et peut-être même avant que d’être baptisé, Cyprien vendit ses biens, donna tout ou presque tout aux pauvres, et se dévoua sans réserve à l’étude des vérités comme à la pratique des vertus chrétiennes ; on le vit, par un raffinement d’ascétisme intellectuel, renoncer aux lettres profanes et s’interdire jusqu’à la lecture des classiques grecs et romains. Peu de temps après son baptême, au scandale des païens qui s’avisèrent, entre autres railleries fort médiocres, de changer le nom de Cyprianus en celui de Coprianus (xdTcpo ;, fange, fumier), le néophyte était élu prêtre ; et, l’évêque Donatus étant venu à mourir, à la fin de 248 ou dans les premiers mois de 249, il montait, aux acclamations du peuple, nonobstant la cabale de cinq prêtres jaloux, sur le siège de Carthage. Il devenait ainsi le métropolitain de l’Afrique proconsulaire, et, en un sens, le primat de toute l’Afrique qui parlait latin.

L’instinct du peuple ne s’était pas trompé. La clairvoyance et la modération de l’esprit, la douceur et l’indomptable fermeté du caractère, le génie du gouvernement, le sens et l’amour passionné de l’Église, tout prédisposait Cyprien à son rôle providentiel. Évêque, il inaugura son épiscopat en travaillant au relèvement de la discipline ecclésiastique et à la réforme des mœurs. Mais au début de 250, l’explosion de la persécution de Dèce l’obligea, convaincu qu’il était de remplir un devoir de sa charge, non toutefois sans soulever ici et là d’amères critiques, à chercher son salut dans la fuite. Cf. Jolyon, La fuite de la persécution durant les trois premiers siècles du christianisme, Lyon, 1903. Il est à croire que Cyprien se réfugia dans les environs de Carthage. En tout cas, du fond de sa retraite il ne laissa pas de surveiller et d’administrer son Église. Le danger, de toutes parts, était extrêmement grave. Tandis qu’au dehors la persécution faisait rage et provoquait les apostasies par milliers (sacri/icati ou thurificati, libellatici, acta facientes), au dedans quelques prêtres ambitieux et cupides se liguaient avec des confesseurs et des martyrs pour ruiner la discipline et la morale chrétiennes. Au déclin de la persécution, l’Église vit dans son propre sein deux partis s’élever contre elle. Dans l’un, ceux qui étaient restés debout, enivrés des félicitations enthousiastes que leur avait values leur héroïsme, rejetaient dédaigneusement les lapsi de leur communion et se rangeaient à Rome derrière Novatien ; dans l’autre, dont f’élicissimus était à Carthage le chef nominal, on maudissait ce qu’on appelait le rigorisme de Cyprien, et des renégats qui demandaient à rentrer au giron de l’Église, on exigeait simplement, à défaut de la pénitence canonique, le billet d’indulgence d’un confesseur peu éclairé ou séduit. Heureusement, après une absence de quinze mois (janvier 250-Pàques 251 ;, Cyprien put se hasarder

à reparaître sur son siège. En même temps que de sa

plume il soutint la cause du pape saint Corneille et combattit le schisme de Novatien à Rome, par sa fermeté sans intransigeance, par son tact, son sang-froid, ses habiles concessions, il réussit assez vite à rendre la paix à la chrétienté de Carthage. D’autres (’preuves l’attendaient. Pendant l’été de 252, une peste terrible, qui aussi bien fit reluire la bravoure et la charité de l’évêque, désola l’empire romain et décima notamment Carthage. Gallus, effrayé des progrès de l’épidémie, prescrivit partout, en 252, des sacrifices solennels et par là déchaîna de nouveau les haines populaires contre les chrétiens. Quand, au mois d’octobre 253, il fut renversé par Valérien, la persécution cessa, et les fidèles, durant plus de trois ans, retrouvèrent le calme. Cyprien, toujours sur la brèche, profita de ces années de répit pour instruire son peuple et perfectionner dans les âmes la vie chrétienne, pour rétablir et fortifier la discipline ecclésiastique. Le rôle et le prestige de l’évêque allaient grandissant ; il intervenait jusque dans les affaires d’Églises étrangères, en Gaule, en Espagne ; même à Rome, on aperçoit sa main.

Toutefois la question du baptême des hérétiques, en mettant l’évêque de Carthage aux prises avec le pape saint Etienne, et en faisant éclater chez saint Cyprien une opiniâtreté regrettable, assombrira la fin de sa vie. C’était, depuis assez longtemps, la coutume en Afrique comme en Asie-Mineure et en Syrie, de tenir pour nul le baptême conféré par n’importe quelle secte hérétique et de rebaptiser les convertis. Après Tertullien, De baplismo, 15, P. L., t. i, col. 1216, qu’il se plaisait à nommer son maître, Cyprien regardait l’usage africain comme le seul légitime ; et, encore qu’avec une modération où peut-être il entrait un peu de tactique, cf. de Smedt, Dissert. sel. in primant setatem historiée £> siasticse, Gand, 1876, p. 247, il se défendit de song l’imposer aux Églises qui ne le suivaient pas. il était résolu pour son compte à ne s’en pas départir. De l’unité de l’Église, par une conséquence nécessaire de prémisses incomplètes, il déduisait l’invalidité du baptême des hérétiques. L’unité de l’Église, l’unité du baptême et l’unité de la grâce s’impliquent à ses yeux et ne font qu’un. Epist., lxx, P. L., t. iii, col. 1036 sq. ; LXXI, ibid., t. IV, col. 408 sq. ; lxxii, ibid., t. iii, col. 1046 sq. ; LXXIII, ibid., col. 1109 sq. ; LXXIV, ibid., col. 1127 sq. Trois conciles, célébrés à Carthage sous la présidence du métropolitain de l’Afrique proconsulaire, à l’automne de 255, P. L., t. iii, col. 1035 sq., au printemps de 256, ibid., col. 1044 sq., et le 1 er septembre de la même année, ibid., col. 1051-1078. adoptèrent entièrement l’opinion de saint Cyprien. Mais le pape saint Etienne, au nom de la tradition des apôtres, condamna la coutume africaine et proclama la validité du baptême des hérétiques, sur ce fondement que les hérétiques, pour n’avoir pas la vraie foi au mystère de la Trinité, ne laissent pas, en baptisant, de vouloir conférer le baptême de Jésus-Christ, que leur baptême est donc valide et partant ne doit pas être réitéré. Epist., lxxiv, 1, P. L., t. m. col. 1127-1128. Le pape, en cas de désobéissance, menaçait les évêques d’Afrique, sinon peut-être de l’excommunication majeure, de l’anathème, du moins de la rupture des relations ordinaires. Jungmann. Dissert. sel. in historiam ecclesiasticam, Ralisbonne, 1880, t. i, p. 336-338.Il est probable, quoi qu’en dise M. Nelke, Die Chronologie der Korrespondenz Cyprians, Thorn, 1902. p. 116, que la décision pontificale n’était pas parvenue à Carthage le 1 er septembre 256. II. Grisar, dans Zeitschrift finkatholisclte Théologie, 1881, t. v, p. 193 sq. ; Emst, ibid., 1894, t.xviii.p. 473sq. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, sans méconnaître le caractère dogmatique de la question baptismale, Cyprien, aveuglé par ses préjugés et persuadé qu’il luttait « pour l’honneur et l’unité de l’Église » , Epist., i.xxiii. 11,