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CREMATION


dans le tombeau, tant que la piété des vivants s’appliquait à la soutenir par le sacrifice. Cette conception avait déterminé le caractère du tombeau mycénien ; elle l’avait fait, comme le tombeau égyptien, la copie réduite de la demeure des vivants. Cependant l’esprit, tout disposé qu’il lût à se contenter, en pareille matière, d’idées vagues et d’images confuses, Unit par s’inquiéter des démentis que l’expérience ne cessait d’infliger à cette hypothèse naïve de la survie dans la tombe. A la place de ce mort que l’on avait cru nourrir et désaltérer dans son sépulcre, on ne trouvait plus, lorsque celui-ci se rouvrait au bout de quelques années, que des ossements rongés par l’humidité. Devant ce néant, il devenait difficile d’affirmer la persistance de l’être, et cependant on ne pouvait se résoudre à admettre que rien ne subsistât plus de celui que, la veille encore, on avait vu plein de vie, de force et de sagesse. On en vint alors à se demander s’il ne fallait pas chercher ailleurs ce que l’on ne trouvait plus dans la tombe, ce qui durait encore lorsque les organes avaient achevé de se dissoudre. Ce je ne sais quoi d’indéfinissable auquel on ne pouvait se décidera renoncer, on se le figura comme une sorte de reflet et de simulacre du corps, que celui-ci, avant de disparaître, projette dans l’espace ; on le compara à une fumée, aux apparitions du rêve, à l’ombre que le soleil dessine sur un mur. i/iade, xxiii, 100-101 ; Odyssée, x, 495 ; xi, 287-208. Le terme que l’on finit par employer de préférence pour le désigner, ce fut celui (I image (ei’SwXov). Si cette image n’avait pas d’épaisseur, si, quand les yeux la voyaient, le doigt ne pouvait pas la toucher, elle n’en gardait pas moins les traits de celui qu’elle représentait. Elle gardait aussi avec le souvenir du passé, les sentiments qui avaient fait battre le cœur de l’homme dont elle perpétuait la forme. Presque immatérielle, légère et insaisissable, comment se serait-elle laissé enfermer dans la prison de la tombe ? Il fallait pourtant qu’elle fut quelque part, qu’elle eût sa demeure. Cette demeure, ce fut un pays mystérieux, pays de silence et de ténèbres, l’Hadès ou l’Érèbe… Pour Homère, il ne reste de l’homme, après le trépas, que l’ombre, que cette ombre impalpable qui est pourtant le portrait physique et moral du défunt. Quelles particules ténues entraient dans la composition de ce fantôme, nul n’aurait su le dire ; mais, en tout cas, elle n’était pas faite d’os, de tendons ni de fibres musculaires, de rien qui eût quelque consistance et quelque poids. Il semblait donc qu’elle ne pût naître, pour prendre ensuite son essor vers l’Hadès, que quand serait détruite toute la matière organique. Les débris du corps, tant qu’ils n’auraient pas achevé de se dissoudre, empêcheraient la personne humaine de se transfigurer en une image incorporelle et comme de se volatiliser. Pour hâter le moment où s’accomplirait cette séparation, était-il un plus sûr moyen que de livrer ce corps aux ardeurs dévorantes de la flamme ? C’est ce qu’ont certainement pensé les [introducteurs] de l’incinération. » Perrot et Chipiez, op. cit., p. 41-42. E. Rhode, Seelencult und Vnsterblichkeitglaube der Griechen, 1890, p. 31-34, a émis cette autre explication que les Grecs de cette période auraient voulu, par l’emploi du bûcher, refouler définitivement les esprits des morts dans les enfers pour n’avoir plus à les redouter. Quoi qu’il en soit, même dans la période homérique, le rite de la crémation fut loin de se substituer complètement à celui de l’inhumation ; les deux rites se sont simplement superposés, et leur emploi simultané se trouve clairement attesté par les monuments de celle époque. Bien plus, si, vers ce temps, la crémation ne fut pas inconnue dans la Grèce continentale, elle n’fut pratiquée que par exception. Sur les dix-neuf tombes découvertes en 1891 dans le cimetière du Dipylon, il n’y en avait qu’une où eût été certainement enseveli un mort incinéré, et encore est-elle de celles

qui, d’après le caractère de leur mobilier, semblent les moins anciennes ; dans tontes les autres on a mis à jour ou des squelettes entiers ou des ossements que la flamme n’avait point touchés. Cf. Perrot et Chipe/, op. cit., p. 51.

Aussi bien, surtout pendant la période classique, la Grèce continua-t-elle d’être fidèle à la pratique de l’inhumation. Si l’on a découvert de rares tombes à incinération, les sépultures sont les plus fréquentes. Élien, Variée historiée, 1. V, c. iv, atteste expressément que 1 inhumation était d’un usage très répandu parmi les Athéniens, et que la loi prescrivait « d’ensevelir et de mettre dans un tombeau » tout cadavre que Ion rencontrait accidentellement. Thucydide, 1. II, raconte les funérailles des Athéniens tués dans la guerre du I’éloponèse, et dit qu’« on recouvrait de terre les morts » . A son tour, Hérodote nous offre, dans son Histoire, Eralo, 1. VI, des descriptions de la sépulture des rois de Sparte, qui se faisaient inhumer ; et, si nous en croyons Plutarque, Vita Lycurgi, Lycurgue ordonna par une loi que les corps des Spartiates fussent mis en terre. Bien plus, même en temps de guerre, les Grecs ne brûlèrent pas toujours leurs morts. Euripide, Supplie, v, 17, nous montre lesvrgiens désirant inhumer les soldats tombés sous les murs de Thèbes ; et aux batailles de Platée et de Marathon, les morts furent encore déposés dans la terre. Cf. Hérodote, Calliope, 1. IX ; Thucydide, 1. IL Ce n’est qu’à l’époque romaine que l’incinération l’emporta sur l’ensevelissement, pour disparaître ensuite sous l’inlluence du Christian ! -Cf. Funus en Grèce, par Ch. Lécrivain, dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Dareinberg et Saglio, t. ii, p. 1367-1382.

5° Chez les Romains, l’inhumation fut le rite primitivement adopté pour les sépultures, et la crémation ne parut guère qu’aux époques avancées de la République. Nous en avons une preuve dans le témoignage de Pline, 1. VII, c. xliv, qui affirme que l’usage de brûler les corps n’est pas fort ancien à Rome. Son origine remonte aux guerres que nous avons faites dans les contrées éloignées ; comme on déterrait nos morts, nous primes le parti de les brûler. » Quoi qu’il en soit de cette assertion de Pline, et surtout de la raison qu’il invoque pour justifier la pratique de la crémation, il est permis de dire que celle-ci, même après qu’elle se fut introduite dans les mœurs romaines, ne régna jamais au point de supplanter complètement l’inhumation. Ainsi Numa interdit de brûler son corps, et on l’enterra dans un tombeau de pierre. En l’an 308 de la fondation de Rome, la loi des douze tables reconnaissait encore à l’inhumation les mêmes droits qu’à la crémation. Les deux modes de sépulture étaient donc déjà en usage. L’incinération était toutefois le mode le plus répandu. Elle ne fut jamais appliquée aux enfants décédés qui n’avaient pas encore de dents. Plus d’une grande famille romaine, telle que la gens Cornelia, ne livrait point ses morts aux bûchers. Sylla est le premier Cornélius qui ait été brûlé. Par crainte dereprésailles populaires, ses proches dérogèrent pour lui à l’usage établi. Enfin, même sous l’Empire, quoique la crémation eût fini par prévaloir, l’inhumation ne fut pas tout à fait exclue. Il suffit, pour s’en convaincre, de faire appel aux monuments funéraires de la voie Appienne et de la voie Latine, à Rome. Sans doute, on y aperçoit de nombreux mausolées, avec leurs chambres sépulcrales, aux parois creusées de colomliaires, ou bien encore les vestiges d’un ustrinum, endroit où l’on brûlait les morts. Mais on voit fréquemment aussi des caveaux au fond desquels on peut découvrir un tombeau de pierre contenant les squelettes de païens inhumés ; et plusieurs de ces lombes datent du iie siècle après Jésus-Christ. A partir îles Antonins, les sépultures par inhumation devinrent plus fré-