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CRAINTE

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capable de faire, à viser au-dessous de sa mesure morale, tandis que la magnanimité vise la grande mesure. Il a là un péché, plus grave que son antagoniste, la présomption, qui, elle du moins, ne fait pas fuir le bien. Le pire des dérèglements moraux est la fuite du bien qui est le motif même de la morale. Cette doc1 1 1 1 ilde saint Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. cxxxiii, si opposée aux principes négatifs et comprimants de certaine manière timide de diriger les âmes, est à souligner. La parcimonie, parvi/icenlia, aboutit au même résultat, l’omission du bien que l’on peut faire, mais la crainte dont elle procède n’est pas celle de la grandeur de l’œuvre à accomplir, mais bien celle des frais, de la dépense, qu’elle requiert dans certains cas. Il y a là double malice morale, l’une dans le principe qui est l’avarice, l’autre dans l’effet qui est de paralyser la faculté du bien. La réunion des deux forme quelque chose de moins honteux que la peur, mais de petit, de mesquin. A l’extrême opposé de ce vice par défaut se trouve le vice par excès, la prodigalité. Ici encore, la vertu, la magnificence est dans un juste milieu. Ne pas craindre la dépense, craindre la dépense, selon la juste appréciation de la raison rapportant tout au but : procurer la plus grande somme possible de bien moral. Sum. theol., ll a II*, q. cxxxv.

2. La crainte comme matière de la vertu de tempérance. — Deux des mouvements de crainte donnés comme ses espèces par Nemesius et saint Jean Damascène, voir col. 2012, la honte et la pudeur, relèvent du gouvernement de la tempérance.

a) La honte. — Elle n’est pour saint Thomas ni une des déterminations spécifiques, pars subjective, de la vertu générale de tempérance, ni une de ses déterminations potentielles, 2>ars potentialis. C’est tout simplement un élément auxiliaire, qui fait corps avec elle, pars integratis, comme une bonne mémoire fait partie de la vertu de prudence. Cela veut dire que sans la honte, la description de la tempérance ne serait pas complète. Sumtheol., IIa-IIæ , q. cxi.ni, a. 1. Il n’est pas, en effet, d’actes qui rapprochent davantage de l’animalité, s’éloignent le plus de la perfection rationnelle, et tombent dès lors sous la réprobation la plus énergique de la droite raison, que les actes de l’intempérant. Sum. theol., 11 » II æ, q. cxii, a. 4. Or, la honte est précisément la crainte de l’ignominie et du blâme. Sans donc l’exclure d’autres actes, ibid., a. 1, ad l" iii, la lâcheté, le vol, par exemple, il faut reconnaître une affinité spéciale entre la honte et l’intempérance, une influence favorable de la honte sur la tempérance qu’elle seconde en éloignant des vices opposés.

En dépit de ce concours, la honte n’est pas une vertu, car, à la différence de la pudeur, elle suppose commise l’action honteuse ; c’est après coup qu’elle en inspire l’éloignement par appréhension de l’opprobre qui en résultera. Ibid., a. 2 ; 1IK q. î.xxxv, a. 1, ad 2 1 "". Elle ne saurait donc se rencontrer dans les vertueux. D’ailleurs elle ne procède pas de ce choix voulu qui caractérise les actes de vertu, elle s’impose comme une suite obligée de l’acte. Sum. theol., IIa-IIæ, q.CXLtv, a. 1, 2. On peut l’appeler vertu dans le sens large île passion louable, qu’il vaut mieux ressentir que ne pas ressentir. Il est certain que l’impudence éhontée est chose pire, impliquant un amour excessif du péché qui h existe pas dans le pécheur honteux. Ibid., a. 1, ’m fine el, nl i""< ; a. 4. De plus, comme toute crainte antécédente, elle incline à son contraire qui est l’acte de tempérance, objet d’honneur et de louange. C’est en ce sens qu’on peut dire avec saint Ambroise qu’elle jette les premières hases de la tempérance. De officiîs, 1. 1, c. xliii, n. 210, V. /.., t. xvi. col. 86. Sous l’influence de mouvements répétés de honte, il se forme comme une habitude de dégoùl de soi-même, [qui dispose le p i ni’a fuir son péché. Ibid., a. 1, ad 5um.

Sous cet aspect qui voisine à la vertu, la honte, selon Aristote, se trouve même dans les hommes vertueux. non pas à L’état de sentiment effectif qui supposerait Le crime accompli, mais à l’état de disposition conditionnelle : quelque chose dit au vertueux que, s’il commettait une infamie, il en éprouverait de la honte, i t ce sentiment contribue à achever sa vertu, lbul., a. i. C’est ce que l’on a dit de plus fort pour l’incorporation de la honte à la vertu de tempérance.

b) La pudeur. — Modérée par la raison, cette passion devient la vertu de pudicitéqui a pour objet d’apprendre à se conduire rationnellement en présence des prodromes des voluptés honteuses comme la vertu de chasteté vis-à-vis de ces voluptés mêmes. Il n’y a. en effet, aucune difficulté à cette transformation d’une passion qui suppose le mal à distance en vertu morale. Sum. theol., Il a II » , q. CM, a. i. La modestie utilise le même sentiment de pudeur pour la réglementation de noire extérieur, gestes, vêtements, etc. Ibid., q. CLX, a. 2.

Outre ces liaisons essentielles, la passion de crainte est utile comme un stimulant pour la sollicitude et la vigilance, ces compagnes de la vertu de prudence, pour l’obéissance et d’une manière générale pour toutes les vertus qui impliquent le respect d’un supérieur, pour entretenir l’humilité dont l’affinité avec elle est telle que la béatitude : Beali paupières spiritu, sera attribuée par saint Augustin au don de crainte, pour lutter contre la paresse, la négligence et tout ce qui détourne des devoirs qui rapportent spécialement une sanction.

V. La crainte en Dihu, dans le Christ, aiciel, chez les damnés. — 1° En Dieu. — Dieu n’a pas de passions et la crainte en particulier répugne a sa nature, car il est acte pur et la crainte suppose la capacité de pâtir ; il est le bien parfait et la crainte ni rencontre que chez ceux qui sont sujets au mal. S. Thomas, Cont. gent., 1. I. c. lxxxix. La crainte vertu sous sa forme la plus haute, la crainte révérentielle, ne peut davantage convenir à Dieu qui n’a pas de supérieur à qui se soumettre. Sum. theol., II" II’, q. xix, a. 11, ad 2 U, U. Aussi n’est-ce pas comme Dieu, mais comme homme que le Christ aura des sentiments de soumission, de respect, pour son Père. Sum. theol., I a, q. xlii, a. 4, ad l um, et qu’il aura la crainte.

Dans le Christ.

La question de la crainte dans

le Christ est soulevée à propos du texte de saint Marc, xiv, 33 : Et eœpil parère et tœdere. Bien que le mot parère, iy.8atj.gEC<T6ac. n’ait peut-être pas l’intention d’exprimer la stupeur au sens littéral, puisque aussi bien saint Matthieu, XXVI, 37, le remplace par ctmtristari. XuireïaSai, la prière de l’agonie qui suit répond bien a l’idée de crainte.

Les Pères ne sont pas d’accord sur la crainte dans le Christ. Cette opposition a été bien relevée par le Maître des Sentences, 1. III, dist. XV. et par saint Thomas Sum. theol., IIK q. xv. a. 5, 7. Nous nous en tiendrons aux textes qu’ils citent, qui sont très représentatifs des deux courants existants et commandent, par eux, la théologie scolastique.

Saint Athanase se trouve implicitement mis en caïUH par la citation d’un texte de saint Jean Damascène que fait saint Thomas. Saint Jean Damascène. en effet, cite dans ce texte à l’appui de son sentiment deux pass. du traité contre Apollinaire, 1. I, n. 1*5 ; 1. II. n. 13. /’. C, t. XXVI. col. 1122. ll.Vi. dont l’aulhenlieil, aujourd’hui contestée. Voir ATHANASE, t. l. col. 2163. Ces textes, dans le but de prouver l’existence d’une âme humaine en Jésus-Christ, insistent sur le trouble et l’anxiété qu’il a manifestés, i lassions que l’on ne saurait attribuer à la divinité. Saint Ambroise, dans un texte du De fide ad Gratianum Auguslum, cité par le Maître des Sentences, tient aussi pour l’affirmative : Timet ergo Christ us ; et cum Petrus non timeat, Chris tus