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CRAINTE

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3. Toutes ces craintes ont Dieu pour objet soit directement, acte élicile, soit comme terme de l’acte qu’elles commandent, acte iinpéré. Voir pour cette terminologie, Acte humain, t. î, col. 346. Dieu étant la fin dernière de la vie humaine, elles ont en conséquence une valeur morale spécifique qu’il est important de déterminer.

4. La crainte humaine consiste à craindre les maux de ce monde au point de pécher pour les éviter. L’acte élicile a ici pour objet un mal terrestre. L’acte impéré a pour objet le péché, qui nous éloigne de Dieu. Dans certains cas, la fuite de Dieu constitue formellement le péché, reniement de saint Pierre, et dans ce cas, si le mal redouté est la mésestime des hommes, la crainte porte le nom de respect humain.

Cette sorte de crainte est toujours moralement mauvaise, car elle procède d’un amour coupable qui nous fait placer notre fin dans le monde alors qu’elle est en Dieu. Elle est condamnée par le précepte de Notre-Seigneur : Nolite timere eos qui occidunt corpus, Matth., x, 28 ; et son absence est louée dans Élie ou Elisée : In diebus suis non pertimuit principem. Eccli., xlviii, 13. Cf. S. Thomas, Sum. theol., II* IIe, q. xix, a. 2, 3.

5. La crainte servile consiste à se rapprocher de Dieu par appréhension de sa justice. L’objet de son acte élicite est Dieu comme auteur du châtiment, malum pœnee, l’objet de l’acte impéré est aussi Dieu. L’acte impéré lui-même est, au moins matériellement, un acte de vertu ayant directement ou indirectement Dieu pour objet, comme sont la religion, la tempérance, l’obéissance, etc. Cf. S. Thomas, In 1 V Sent., . III, dist. XXXIV, q. il, a. 3, sol. 3. La crainte servile est ainsi nommée en raison de son motif, qui est un motif d’esclave, d’être qui ne s’appartient pas et est obligé d’agir par des motifs étrangers à l’inclination de son cœur ; c’est, en effet, le propre de l’être libre comme tel d’agir selon son inclination et par amour.

La crainte servile n’est pas substantiellement mauvaise au point de vue moral. Il est bon, en effet, de craindre ce qu’il faut craindre, et les châtiments divins doivent être craints. Mais c’est à la condition qu’on les craigne comme ils doivent être craints et ce n’est pas le fait de toute crainte servile. La crainte uniquement servile, serviliter servilis, n’a pas d’autre motif que le châtiment, qu’elle considère pratiquement comme un mal absolu. Elle est fondée sur un amour de soi tel qu’il regarde notre bien propre comme une fin ultime. Dans son principe, et non par sa substance, elle est donc directement opposée à l’amour de Dieu comme fin ultime. C’est par là qu’elle est péché. Telle la crainte du mauvais serviteur de l’Évangile, Luc, xix, 21, du pasteur mercenaire., Ioa., x, 1213. La crainte simplement servile, timor servilis, tout en ayant pour motif immédiat le châtiment, ne procède pas de cet amour propre exclusif. Elle laisse place à une ordination supérieure vers Dieu fin ultime. Elle est susceptible d’être moralement bonne, et peut être inspirée par le Saint-Esprit. Pierre Lombard, loc. cit. ; S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. xix, a. 5. Ce qu’il faut condamner, ce n’est pas la crainte servile, mais sa servilité, tout comme dans la foi, ce n’est pas la foi informe qui est mauvaise, étant au contraire un don de Dieu, mais c’est le défaut de charité conséquent au péché. Il n’y a donc pas deux craintes serviles, l’une bonne et l’autre mauvaise, mais deux ordinations d’une même crainte substantiellement bonne, provenant de deux amours opposés, amour de soi, amour de Dieu. Ibid. Aussi la crainte servile est-elle l’un des actes qui concourent à la justification. Voir ce mot. Nous n’insistons pas sur la bonté morale et le caractère surnaturel de la crainte servile, la question ayant déjà été traitée à fond dans ce dictionnaire, et tous les documents qui la

concernent avant été cités et commentés. Voir Attrition, 1. 1, col. 223.")’sq.

Il suit de là que la crainte servile persiste, quant à sa substance, dans les justes qui ont la charité. Nous reparlerons de cette survivance à propos de la crainte initiale.

6. La crainte filiale a pour motif de son acte élicite le mal de la séparation de Dieu ; l’objet de son acte impéré est le péché qui produit cette séparation ; cf. S. Thomas, In 1 V Sent., 1. III, dist. XXXIV, q.u, a. 3, sol. 2, 3 ; elle le redoute et le fuit. La crainte filiale procède directement de la charité, aussi ne se trouvet-elle que dans les justes, tandis que la crainte servile, même bonne, se rencontre dans les pécheurs. Outre cette différence du côté de son motif et de son sujet d’inhérence nécessaire, la crainte filiale diffère de la crainte servile par le sens de son mouvement à l’égard de l’objet divin. En somme, il y a deux phases dans son acte : en fuyant l’éloignement de Dieu, le péché, on se dirige positivement vers Dieu, par un acte révérentiel. Sum. tlteol., I a II 1, q. lxvii, a. 4, ad 2 0D1. Dieu est le terme ad quem, de la crainte filiale, tandis que pour la crainte servile Dieu est un terme a quo. Les deux craintes ont donc, dans l’unité d’un même objet matériel, deux termes formels opposés : aussi la crainte filiale diffère-t-elle spécifiquement de la crainte servile. S. Thomas, ibid., a. 5.

7. La crainte initiale doit son nom à ce mot des Proverbes, i, 7 ; cf. ix, 10 : lnitium sapientiae timor Domini. Il peut être interprété de la crainte servile ou de la crainte filiale, selon que l’on entend le mot commencement dans le sens de préparation antérieure ou de premier effet. La crainte des châtiments prépare, en effet, à la sagesse en éloignant du péché, selon le mot de l’Ecclésiastique, I, 27, cité par saint Thomas : Timor Domini expellit peccatum. Cf. concile de Trente, sess. VI, c. vi. La crainte filiale doit être le premier acte du juste, lequel est désormais gouverné par la sagesse, car pour se laisser gouverner, il faut d’abord avoir reconnu les lois et l’autorité dans un sentiment de crainte révérentielle. Radûc sapientise est timere Deum. Eccli., i, 25.

Mais, selon saint Augustin et l’interprétation commune au temps de saint Thomas, c’est dans un autre sens que doit s’entendre la crainte initiale. C’est la crainte qui convient à l’état des commençants, incipientes, par opposition aux proficientes et aux perfecti. Elle suppose la charité et par suite consiste essentiellement dans la crainte filiale. Mais elle est encore mélangée de crainte servile, dans le sens louable [du mot. Dans la mesure où croit la charité, celle-ci diminue, nam quanlo magis ditigimus tanto minus timemus [pœnarti). Pierre Lombard, loc. cit. Au contraire, la crainte filialedes parfaits forasmittit timorem habentetn peenam. Cf. I Joa., iv, 18 ; S. Augustin, In 1 Joa., loc. cit. ; S. Thomas, loc. cit., q. XIX, a. 8-10.

8. La loi de crainte. Des explications précédentes résulte une juste intelligence de ce mot de saint Augustin : Brevissima et apertissinw differentia duorum Testamentorum, timor et amor. Cont. Adamant. manich., c. xvii, n. 2, P. L., t. xlii, col. eux. Comme le remarque saint Thomas, Sum. theol., I » II", q. cvn. a. 1, il ne saurait être question d’une séparation radicale des deux lois. Toutes deux ont pour fin de soumettre l’homme à Dieu, mais l’ancienne loi a un caractère d’initiation, lex jisedagogus noster fuit in Christo. Gal., iii, 21. Elle est destinée à des hommes imparfaits, qui sont supposés n’avoir pas encore intérieurement le principe d’eeuvres parfaites, et devoir être inclinés au bien par des causes extrinsèques, puta ex comminatione pœnarum. C’est en ce sens de loi principalement destinée à des êtres imparfaits que l’Ancien Testament est appelé loi de crainte, bien que