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CONVULSIONNAIRES


manifestement exalté et deséquilibré fut offerte à Louis XV il valut à son auleur un internement à la Bastille, puis à Valence. Il n’en continua pas moins ses extravagantes publications qui furent désavouées et réfutées par les jansénistes eux-mêmes, tels que l’abbé des Essarts, dit Poncet, et le docteur Ilecquet. Un déiste, converti au protestantisme, lord Georges Littleton, qualifie ainsi ces prodiges : « Ne vous imaginez pas que la vertu émanée du corps du bienheureux Paris ait la force de ressusciter les morts, de rendre l’ouïe à un sourd, de faire marcher un cul-de-jatte ; … non, c’est un abbé Bescherand qui, couché sur le tombeau, sau l « à se briser les os, et dans des accès convulsifs, fait le saut de carpe sans se faire de mal… Ce sont des fous qui avalent des charbons allumés, qui gobent comme pèches, cailloux gros comme le poing, que l’on frappe des demi-heures sans qu’ils paraissent le sentir, qui souffrent dix hommes marchant sur leur ventre… Les jansénistes ne se font pas honneur de vouloir s’accréditer par des voies aussi frivoles et des moyens si opposés au caractère de la religion. »

Cependant les scènes inouïes de Saint-Médard y attiraient un tel concours que, le 27 janvier 1732, le cimetière fut fermé, par ordonnance royale, avec défense de l’ouvrir sinon pour les enterrements ; des gardes furent placés tout autour. L’opinion s’irrita hautement ; sur le mur, un mauvais plaisant écrivit la phrase bien connue :

De par le roi défense à Dieu

De faire un miracle en ce lieu.

En vain, on emprisonna les convulsionnaires les plus en vue, la frénésie des convulsions se manifesta par des phénomènes bien plus bizarres encore dans les maisons des particuliers. Au dire de Montgeron, en effet, « à peine eut-on interdit l’entrée du saint lieu que Dieu paraissait avoir choisi pour y opérer ses prodiges, qu’il les multiplia plus que jamais : des convulsions bien plus surprenantes prirent tout à coup une multitude de personnes. » En vain aussi, Louis XV, par son ordonnance du 27 février 1733, défendit aux convulsionnaires de se donner en spectacle même dans les demeures privées, et à tous d’assister à ces assemblées, elles se perpétuèrent jusqu’à la fin du siècle. Bien qu’un grand nombre de jansénistes plus éclairés les aient blâmées ouvertement, et qu’en 1735 trente docteurs publièrent une déclaration pour condamner les fanatiques, son principal résultat fut de susciter des réponses et des défenses de tout genre. Pendant ce temps, les convulsionnaires s’organisaient, formaient une sorte de nouvelle secte avec ses chefs, son règlement, ses exercices réguliers, et sa bourse qu’on surnomma la Boite à Perrette, du nom de la servante de Nicole. Leurs réunions secrètes étaient plus fréquentées que jamais, car la curiosité des assistants y était excitée au plus haut point.

Un des attraits de ces assemblées était souvent une cérémonie sacrilège ou blasphématoire : ici une sœur affirmait que « si les sauvages adorent le soleil, c’est que Dieu est le soleil » . Là, une autre sœur, étendue sur le dos, célébrait la messe dans une langue inconnue, des prêtres la lui servaient ; tout en officiant avec une majestueuse dignité, elle s’agitait quelquefois tellement qu’il fallait retenir ses vêtements par décence (Montgeron). Le frère Augustin, couché sur une table dans la posture de l’Agneau sans tache, se faisait adorer par les « figuristes » ; ses partisans étaient les augustinistes. Barbier, Journal de la Régence et du siècle de Louis XV, 1718-1763, t. i, p. 52."). Les « éliséens » honoraient le prophète Élie en la personne d’un prêtre appelé Vaillant.

Un autre attrait, c’étaient les extases, les discours des improvisateurs et des prophètes, soit en français,

soit même dans des langues inconnues. Comme s’ils étaient sous l’inspiration du Saint-Esprit, cerlains convulsionnaires discouraient avec une éloquence en-Qammée sur les maux de l’Église persécutée, sur les effets irrésistibles de la grâce ; ils annonçaient la fin du monde, dévoilaient les pensées les plus secrètes des cœurs. Montgeron lui-même se scandalise de leur prétention. « Il y en a eu, surtout dans les premiers temps, dont l’esprit était éclairé par une lumière surnaturelle ; mais dans ces derniers temps quelques-uns de ces discours n’étaient que la production d’une imagination échauffée, et ceux des augustinistes et des vaillantistes parurent être l’effet de la suggestion du démon. /> D’Alembert ajoute : « On assure que, dès le lendemain de l’expulsion des jésuites, les convulsionnaires ont commencé à la prédire ; c’est ainsi qu’ils ont toujours prophétisé. Et quand on vit que les prédictions ne s’accomplissaient pas, rien de plus simple, Dieu laissait pénétrer le faux dans l’œuvre, pour mieux aveugler les endurcis. »

Le grand succès des convulsionnaires fut avant tout un ensemble de phénomènes extraordinaires, expliqués à peu près tous par la pathologie actuelle, mais qui à cette époque furent accueillis avec un empressement aveugle grâce au fanatisme des jansénistes, ou encore imaginés peut-être par fourberie. Souvent les femmes manifestèrent une incroyable insensibilité physique, des cas d’anesthésie sans exemple : les unes représentaient au vif l’agonie et la passion du Christ, telle la sœur Françoise qui restait deux heures et demie clouée sur une croix, et cela plusieurs fois ; d’autres se faisaient percer d’épées, comme les bateleurs de nos foires, ou passaient par l’épreuve du feu, comme sœur Sonet, dite la Salamandre. Poncet cite une fille qui se déchirait le visage avec ses ongles. D’autres se plaignaient d’abord de violentes douleurs et se tordaient sous l’impression de leurs souffrances ; alors, pour les soulager, accouraient des hommes vigoureux nommés frères secouristes ; ils les frappaient aux reins, au ventre, leur labouraient les chairs avec une pointe de fer appelée sucre d’orge, ou un râteau de fer, les pinçaient avec des tenailles ; une pierre de cinquante livres, appelée biscuit, était soulevée par une poulie, puis lâchée de tout son poids sur la poitrine des patientes ; quelquefois les secouristes montaient à dix sur une planche que supportait le corps de leur victime. Ils frappaient avec des bûches sur la tête d’une nommée Nisette, se mettaient à quatre pour accabler de coups de points la tète de Catherine Turpin, avec une bûche qu’il fallait saisir à deux mains, ils lui frappaient le ventre, le dos, les côtes, même la figure, ils allaient ainsi jusqu’à deux mille coups. Et ces malheureuses ne semblaient pas même souffrir. C’étaient les grands secours, ou secours meurtriers.

Il y avait aussi les petits secours dont Montgeron laisse deviner l’indécence, car il supplie les frères d’éviter dans leur œuvre les pièges du démon. Au dire de dom La Taste, on voit des jeunes fdles que des hommes pressent, balancent, qui prient en se faisant tirailler les bras, les jambes, … en se renversant les jambes en l’air. Barbier cite des détails plus typiques encore, prouvant que les passions trouvaient amplement leur compte à l’occasion de toutes ces convulsions.

Cependant, tous les appelants n’étaient pas favorables aux convulsions. Les partisans et les adversaires de ces étranges phénomènes tinrent, de 1732 à 1733, des conférences dans lesquelles il fut décidé qu’on établirait des règles pour prévenir les écarts des convulsionnaires. Mais ceux-ci ne voulurent pas s’y astreindre. La division se mit alors dans le parti. Les convulsionnistes admiraient toutes les manifestations et les rapportaient toutes à Dieu. Les discernants voulaient qu’on fit un