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    1. VOLONTÉ##


VOLONTÉ. DE DIEU, L’OPTIMISME

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b) Leibniz. — C’est à propos de Leibniz, semblet-il, que le mot « optimisme » a été employé pour la première fois par les jésuites de Trévoux, rédacteurs des Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts, dans le compte rendu de la Théodicée de Leibniz. Cf. Vocabulaire de Lalande, t. ii, p. 544.

C’est pour répondre aux objections de Bayle, tirées de l’existence du mal, que Leibniz proposa dans la Théodicée, sa doctrine de l’optimisme. Bayle posait en principe que « les bienfaits communiqués aux créatures ne tendent qu’à leur bonheur. Dieu ne doit donc pas permettre qu’ils servent à les rendre malheureuses ». Leibniz corrige ce principe : « Il n’est pas vrai à la rigueur que les bienfaits de Dieu tendent uniquement au bonheur des créatures. Tout est lié dans la nature. Dieu a plus d’une vue dans ses projets. La félicité des créatures raisonnables est un des buts où il vise ; mais elle n’est pas tout son but, ni même son dernier but. Le malheur de quelques-unes peut arriver par concomitance. » (§ 119).

Au lieu de considérer toutes choses séparément, il faut les considérer dans leur ensemble, dans leurs actions et réactions réciproques : « Quand on détache les choses, les parties de leur tout, le genre humain de l’univers, les attributs de Dieu les uns des autres, la puissance de la sagesse, il est permis de dire que Dieu peut faire que la vertu soit dans ce monde sans aucun mélange de vice. Mais puisqu’il a permis le vice, il faut que l’ordre de l’univers l’ait demandé » (§ 124). « Ce qui est désordre dans la partie est ordre dans le tout. » (§ 128)

Le problème du mal ne saurait être résolu par un dualisme de principes premiers, principe du bien et principe du mal : « Le mal ne vient que de la privation ; le positif n’y entre que par concomitance » (§ 153). Il faut aussi exclure les hypothèses qui sépareraient en Dieu la puissance de sa bonté et de sa justice (§ 75), cherchant la distinction du bien et du mal dans un décret arbitraire de Dieu, ce qui serait « déshonorer » Dieu. Leibniz, en passant, rejette l’opinion cartésienne attribuant à la volonté divine la création, non seulement du bien, mais du vrai (§ 184-185). Voir Volontarisme. La véritable explication du mal suppose un système qui, s’insérant entre la nécessité absolue et la liberté absolue en Dieu, préconise une nécessité morale pour Dieu de choisir l’ordre qui, dans son ensemble, est le meilleur.

Il y a dans l’intelligence divine une infinité de mondes possibles, dont chacun n’est soumis qu’au principe de contradiction. Les idées présentes à l’esprit divin forment une infinité de combinaisons selon tous leurs rapports logiques. Il est donc faux de dire avec Hobbes et Spinoza qu’il n’y a de possible que ce qui est réel. Entre tous ces mondes possibles, quel est celui que Dieu fera passer à l’être par un acte de sa volonté ? « La suprême sagesse, jointe à une bonté qui n’est pas moins infinie qu’elle, n’a pu manquer de choisir le meilleur. Dieu crée donc par une sorte de nécessité morale, par un acte de sa volonté conforme à son intelligence, le meilleur des mondes possibles, celui qui réalise la plus grande somme de perfection. Notre univers est d’abord possible, c’est-à-dire soumis au principe de contradiction ; mais il est réel, il n’a mérité l’existence que parce qu’il satisfait en outre au principe de raison suffisante. Si Dieu choisit de tous les possibles le meilleur, d’où vient donc le mal ? Le mal, répond Leibniz, a son principe, non dans la volonté divine, mais dans la nature des choses. La création du parfait est impossible, parce qu’elle implique contradiction. Toute créature est donc nécessairement imparfaite. Dieu ne veut pas le mal ; il veut la réalité du monde. D’une façon générale, Dieu veut toujours antécédemment le bien ; il ne veut le mal que eonséquemment, en tant qu’il est comme imposé par le bien, dont il est la condition. L’homme qui demande la suppression de tel ou de tel mal ne se rend pas compte qu’il demande à changer le meilleur des mondes possibles. N’oublions pas en effet que tout ce qui est possible n’est

pas compossible (possible en même temps), et que, tout étant lié et prédéterminé dans l’univers, rien ne peut être changé que tout ne soit changé en même temps. Se représenter un monde qui, d’ailleurs semblable au nôtre, en dillérerait par tel ou tel détail, si insignifiant qu’il soit, c’est pure chimère.

Cet exposé d’ensemble, emprunté à Janet et Séailles, op. cit., p. 1040, résume bien la pensée leibnizienne. C’est en fonction de ces principes que doit être résolu le problème du mal. La raison fondamentale du mal, qu’il soit moral (le péché) ou physique (la souffrance), c’est l’imperfection, la limitation essentielle des créatures, que Leibniz appelle « mal métaphysique » (§ 21). Les rapports de la volonté divine au mal sont exprimés comme dans la théologie catholique : Dieu ne veut absolument ni le mal physique ni le mal moral ; mais il peut vouloir relativement le mal physique » comme moyen » ; il permet le mal moral comme « condition sine qua non » (§ 26). Sur le concours de Dieu à l’acte du péché, Leibniz reprend la thèse catholique : Dieu est cause de ce qu’il y a de réalité positive dans le péché, sans être cause des bornes imposées à l’action humaine par la volonté du pécheur.

L’optimisme de Leibniz ne consiste donc pas à nier le mal, mais à le situer dans l’ordre meilleur voulu par Dieu. Cet ordre peut n’être pas actuellement le meilleur, mais « il se pourrait que l’univers allât toujours de mieux en mieux, si telle était la nature des choses qu’il ne fût point permis d’atteindre au meilleur d’un seul coup » (§ 202).

Leibniz reprend les objections de Bayle contre l’optimisme : le meilleur comporterait « d’autres dieux », ce qui est une erreur et une impossibilité ( § 200) ; il exigerait que les parties soient meilleures comme le tout, ce qui est inexact quand ces parties sont relatives au tout (§ 212-213) ; l’optimisme limite la puissance divine, ce qu’on ne peut soutenir : « Le meilleur ne saurait être surpassé en bonté et on ne limite pas la puissance de Dieu en disant qu’il ne saurait faire l’impossible » (§ 226). Au fond, une seule objection est sérieuse ; c’est celle qui a fait tomber Abélard dans l’erreur et hésiter Malebranche : la liberté divine, supprimée par le fait que Dieu est obligé de choisir le meilleur. Leibniz pense y répondre en parlant de la nécessité morale où Dieu se trouve de se conformer à l’ordre de sa sagesse (338-360). Cette nécessité morale montre au contraire, dit-il, la souveraine perfection de la liberté divine.

Les mêmes principes permettent à Leibniz de répondre facilement aux difficultés tirées de la prescience, de la providence divine et même de la « création continuée ». Sur ce dernier point, voir § 383-400. Cf. Janet et Séailles, op. cit., p. 864-872. Sur l’optimisme leibnizien, voir quelques pages dans Cl. Piat, Leibniz, Paris, 1915, p. 269-271 ; lire surtout, p. 270, la note 1.

c) Spinoza et le panthéisme allemand du XIXe siècle.

— Il peut paraître paradoxal de prononcer le nom de Spinoza à propos de l’optimisme. On entend simplement montrer comment le panthéisme, dont Spinoza a fourni la première formule consistante, précisément parce qu’il accentue le déterminisme auquel doit obéir l’action divine, fournit à ses défenseurs l’occasion d’affirmer des tendances à l’optimisme ou, par une réaction commandée par la constatation du mal en ce monde, au pessimisme. Quelques brèves indications suffiront.

Pour Spinoza, sa conception de Dieu l’amène à concevoir que de ce Dieu, sans aucun changement dans son essence, sans trouble dans son repos éternel et sa paix, procède une longue suite de modes, qui constituent le monde extérieur. Dieu produit ainsi