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VOLONTAIRE. DIRECT ET INDIRECT

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1. L’effet mauvais est imputable.

L’effet mauvais, volontaire simplement dans sa cause, est moralement imputable quand trois conditions sont remplies :

a) Il faut que l’agent ait prévu au moins confusément cet effet, qu’il ail pu et dû le prévoir. Pour la prévision, il suffit d’un soupçon fondé ; mais ici l’expérience de ce qui se produit ordinairement est le guide le plus sûr. Cf. saint Thomas, Ia-IIæ, q. xx, a. 4. Il faut, de plus, a-t-on dit, que l’agent ait pu et dû prévoir cet effet. Un médecin, un juge, un prêtre, conscients de l’insuffisance de leur science professionnelle, sont responsables des effets mauvais dont ils poseront la cause, par suite de l’insuffisance de leur science. Par contre, le cas d’ivresse fortuite ne laisse pas supposer que l’homme ivre ait pu se rendre compte, même confusément, des fautes qu’il commettrait sous l’empire de la boisson. Le cas de Noé est classique. —

b) Il faut que l’agent ait eu la possibilité de ne pas poser la cause. Qui agit sous l’empire de la contrainte ne peut être rendu responsable de l’effet mauvais résultant indirectement d’un acte qu’on l’a obligé à poser. À l’impossible nul n’est tenu. — c) Il faut enfin que l’agent soit tenu d’empêcher ce mauvais effet. S’il n’existe sur ce point aucune obligation, on ne voit pas comment sa responsabilité pourrait être engagée : à l’égard de l’effet indirect l’agent, en ce cas, tolère simplement, sans vouloir. Il est mieux cependant que des circonstances ambiantes indiquent la licéité d’une telle tolérance.

Quand ces trois conditions sont réunies, l’effet mauvais, bien qu’indirectement voulu, est vraiment imputable et le péché est commis dès l’instant où est posée la cause, même si, en raison d’une intervention étrangère ou d’un simple accident fortuit, l’effet mauvais en se réalise pas. Il est d’ailleurs assez difficile de juger de la gravité de ces fautes volontaires simplement dans leur cause : tout dépend de la certitude et de la. netteté de la prévision. Peut-être faut-il souvent excuser de péché mortel même en matière grave ceux qui, par insouciance et légèreté d’esprit, n’ont qu’une prévision fort confuse des suites peu édifiantes de leur conduite. Cf. Ami du clergé, 1898, p. 1121-1129.

2. L’acte mauvais n’est pas imputable.

Est réputé licite un acte, en soi bon ou indifférent, d’où résulte un effet double, l’un, bon, l’autre, mauvais, mais à condition que le bon effet ne soit pas obtenu par un moyen en soi mauvais, qu’il existe une raison proportionnellement grave et que le but poursuivi soit honnête. Donc, quatre conditions :

a) Que l’acte soit en soi bon ou indifférent. — Jamais un acte mauvais en soi ne sera licite.

b) Que le bon effet ne soit pas obtenu par un moyen en soi mauvais. — On peut préserver sa vie en tuant un injuste agresseur : un meurtre accompli dans ces conditions n’est pas considéré comme un acte mauvais en soi. Mais on ne peut sauver la vie de la mère en tuant le fœtus, car cet homicide direct est mal en soi.

c) Qu’il existe une raison proportionnellement grave.

— fl faut, en effet, que le bien qu’on envisage compense et au delà le mal qu’on provoque indirectement. Comment juger de la proportion du bien au mal ? Ce jugement doit tenir compte de toutes les circonstances conditionnant ces effets. Tanquerey retient ici quatre considérations :

a. — Il ne faut pas considérer l’avantage ou l’inconvénient qui se produira dans un cas particulier, mais celui qui résulterait pour la société si une telle action était généralement permise ou défendue. A certains actes on ne saurait trouver une raison suffisante si on les considérait uniquement dans un cas particulier ; la raison suffisante n’apparaît que si on

envisage l’universalité des cas, en vue du bien de toute la société. L’auteur donne ici l’exemple du meurtre d’un injuste agresseur quand aucun autre moyen n’existe de défendre sa propre vie : la sécurité de la vie en société est attachée à la licéité d’un tel acte. — b. — Il faut considérer la gravité de l’effet mauvais : plus grand est le mal prévu, et plus sérieuse doit être la raison excusante. Pour repousser un injuste agresseur en lui infligeant la mort, une raison plus grave est requise que pour l’arrêter par une simple blessure non mortelle. — c. — Il faut encore considérer l’influence de l’action sur l’effet bon ou mauvais. Le bien doit compenser le mal, dans la proportion où l’acte posé agit effectivement sur la production de l’effet mauvais. Toutes choses égales d’ailleurs, la cause physique agit sur l’effet plus que la cause morale, la cause immédiate plus que la cause médiate, la cause per se plus que la cause per accidens, la cause positive plus que la cause négative. En bref, plus la connexion est nécessaire entre la cause et l’effet, et plus la raison de poser une telle cause doit être sérieuse. — d. — Il faut enfin considérer le droit ou le devoir qu’on peut avoir de poser l’acte initial. Le médecin ou le prêtre, prévoyant de graves tentations à la suite d’une lecture jugée nécessaire à l’exercice de leur profession, pourront se contenter d’une raison moindre que le lecteur simplement curieux qui veut consulter les mêmes livres.

d) Que le but poursuivi soit honnête. — En posant un acte d’où résulte indirectement un effet mauvais, on ne doit ni désirer ce mal, ni s’y complaire et y applaudir quand il s’est produit ; on doit prendre à son égard une attitude purement permissive, analogue à celle de Dieu qui, pour un plus grand bien, permet le péché.

Si ces quatre conditions sont remplies, l’effet mauvais, indirectement provoqué, devient moralement involontaire.

Ces principes permettent, dans une certaine mesure du moins, de porter un jugement objectif sur la guerre moderne et ses méthodes. Tout d’abord, l’issue des guerres dépendant aujourd’hui presque uniquement de la supériorité d’une force matérielle dans laquelle sont absorbées toutes les énergies vitales de la nation (la guerre totale) et qui s’affirme par des destructions et des ruines considérables, on peut se demander si les sacrifices imposés par une telle conception pourront jamais être le moyen de procurer à la nation même victorieuse des avantages compensateurs de tant de désastres matériels et souvent moraux. Ensuite, les destructions massives de ponts, de voies ferrées, d’usines de guerre, de camps d’aviation, de dépôts de munitions, de magasins militaires, etc…. tous ouvrages situés à proximité ou quelquefois même à l’intérieur des villes, ne va pas sans entraîner des pertes excessives de vies humaines et de biens privés. Sans doute, la première considération relevée ci-dessus doit être retenue : il faut juger de ces destructions, non pas en raison des inconvénients qu’elles comportent au moment même où elles se produisent, mais en fonction du bien général qui peut en résulter ultérieurement. Mais les moyens employés pour parvenir à cette fin légitime ont-ils été suffisamment considérés en fonction de la connexion très étroite qui reliait la cause posée aux effets indirects, non voulus, mais prévus (troisième considération) ? Cette connexion a-t-elle été rendue aussi faible que possible en prenant toutes les précautions nécessaires pour écarter dans la plus large mesure les effets désastreux, indirects mais cependant très certains, qui ne pouvaient manquer de se produire ? Question de fait sans doute et qui veut faire abstraction du droit, mais question qui se pose cependant en l’occurence.