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3237 VŒUX DE RELIGION L’ESPRIT RELIGIEUX DES VŒUX 3238

grand examen de conscience s’institue sur les buts et les moyens de la vie parfaite : c’est l’amour de Dieu qui est le but, mais n’est-ce pas aussi la contemplation ? ou encore la pénitence ? Les moyens, ce sont les préceptes ; mais surtout les conseils de Notre-Seigneur. La réalisation monastique mène à la conception religieuse de la vie parfaite et du vœu d’obéissance. Puis la systématisation théologique des trois vœux essentiels se fait tout au cours du Moyen Age.

Le renouveau d’idéal évangélique des ordres mendiants pose à nouveau la question de l’urgence des conseils évangéliques et de l’amplitude du vœu de pauvreté. La vie active dans les ordres nouveaux des XVIe et XVIIe siècles suscite des suggestions toutes contraires dans l’interprétation des deux derniers vœux. De pareils revivals, à l’époque contemporaine, pourraient mener à reconsidérer les obligations essentielles de la vie apostolique, et les solutions hâtives rejetées par l’Église n’ont peut-être d’autre tort que d’avoir été prématurées.

En somme, l’institution séculaire de la vie religieuse avec ses trois vœux essentiels dits de religion est une réalisation qui ne sera jamais abandonnée désormais ; mais c’est une réussite entre plusieurs possibles. Elle a grandi et s’est solidifiée au milieu des discussions des intéressés. Comme toutes les institutions ecclésiastiques, elle n’arrive jamais à épuiser l’idéal évangélique : à plusieurs reprises, il s’est produit des retours, enthousiastes ou réfléchis, vers les sources, ce qui devait amener des formes nouvelles de vie religieuse et des interprétations neuves, elles aussi, des trois piliers de la vie régulière.

4o Méthode théologique.

Ainsi prévenus, nous voyons plus clair dans la méthode des théologiens, en particulier dans celle de saint Thomas en sa Somme théologique, IIa-IIæ, q. clxxxvi : De his in quibus religionis status consistit. Dans son enquête préliminaire sur les buts et les éléments de cet état de vie qu’il appelle la vie religieuse, il semblerait indiqué d’insérer les données de la tradition sur la vie parfaite primitive avec ses tâtonnements et ses vœux embryonnaires, comme répondant au mieux à ces deux questions préalables exprimées en langage scolastique : Dans quel but faire des vœux ? Où en chercher la matière appropriée ? Nous examinerons donc :


1. L’esprit religieux des vœux et autres pratiques de la vie religieuse : a. 1 : Utrum religiosorum status sit perfectus.
2. Les éléments des voeux sont passés en revue à l’art. 2 : Utrum religiosi teneantur ad omnia consilia.
3. L’objet précis de chacun des trois conseils retenus fait l’objet des art. 3, 4, 5 : continence, pauvreté, obéissance.
4. La consécration par les voeux ne survient que comme le couronnement des enquêtes précédentes, a. 6 : Utrum requiratur ad perjertionem religionis quod paupertas, continentia et obedientia cadant sub voto ; c’est par « ces trois vœux essentiels que s’achève l’état religieux », a. 7.

Ce sera aussi la division générale de cette étude, que nous compléterons, comme saint Thomas, a. 8. par quelques considérations théologiques, morales et canoniques sur les vœux de religion.

On y trouvera cet avantage, entrevu par saint Thomas, que cet ordre logique des idées représente l’ordre historique d’apparition des doctrines et des faits. Du point de vue spirituel, les vœux de religion apparaîtront pour chaque âme, non plus comme un devoir imposé du dehors, mais comme l’aboutissement normal des désirs et des démarches du religieux et du cheminement de la grâce en lui.


II. L’esprit religieux des voeux.

1o Les anciennes conceptions de la vie parfaite.

La première question de saint Thomas : « Est-ce que l’état des religieux est parfait ? », a. 1, ramène cette distinction préalable, sans laquelle on ne comprendrait rien à nos vœux de religion, à savoir que l’état dit de perfection, ce n’est ni l’état de grâce, ni la perfection de la vie intérieure, qui « fondent bien la condition spirituelle d’un homme, mais au jugement de Dieu seul » ; IIa-IIæ q. clxxxiv, sed. contra, corp. ; or, cela n’est ni nécessaire, ad lum, ni suffisant pour constituer

« l’état de perfection per comparationem ad Ecclesiam.

Ce qui constitue, dans l’Église visible, la distinction d’états de perfection, c’est une condition habituelle de servitude spirituelle dans le comportement extérieur, secundum ea quæ exterius aguntur ». Loc. cit. Ce n’est même pas nécessairement un service effectif, car il y a des esclaves infidèles, mais « une obligation perpétuelle aux choses de la perfection ». Loc. cit. On voit tout de suite qu’on n’a pas pu parler d’une vie parfaite dans l’Église, sans envisager aussitôt des vœux qui liaient ces parfaits à leur profession. On voit aussi que ces vœux devaient être, non pas des vertus, non pas surtout la perfection intérieure acquise, mais des sacrifices contrôlables, des précautions imposées, des renoncements communs à tous ces parfaits.

Et puis la contribution des vœux apparut de plus en plus nécessaire au fur et à mesure que la « condition » des aspirants à la perfection devint une institution plus officielle dans l’Église. Or, dit saint Thomas, on peut considérer l’état de perfection « sous trois aspects : une aspiration directe à la charité, une situation à l’abri des soucis extérieurs, une donation enfin de toute la personne et de ses biens, en esprit de religion. Cf. IIa-IIæ q. clxxxvi, a. 7. Chacun de ces états avait ses vœux à lui.

Admirons que saint Thomas ait mis, avant la synthèse proprement religieuse de la vie parfaite qui lui est personnelle, les deux premières conceptions qui lui sont présupposées et antérieures, logiquement et historiquement. Les trois points de vue sont, en effet, assez différents : le premier en fait une aspiration de la charité ; le second un régime général de séparation d’avec le monde ; le dernier, une donation en détail au service de Dieu. Mais les trois fins se commandent : c’est pour tendre à la perfection de la charité que le religieux dit adieu au siècle et qu’il fait enfin de toute sa vie un acte de religion, ce qui n’est possible que par les vœux.

Historiquement, avant de se limiter à une vie religieuse circonscrite de la sorte, la pensée chrétienne, dans sa ferveur première, ne s’est arrêtée à rien de moins qu’à ce qui constitue la fin dernière de nos vœux de religion : la perfection de la charité en actions : on faisait vœu de virginité, de martyre, et l’on était réputé « parfait ». Puis, par suite de contingences historiques, est survenue cette précaution négative et générale qu’était la séparation effective du monde, ce qui donne à cette forme dérivée de l’idéal primitif une teinte ascétique prononcée : l’anachorète se jurait de ne jamais quitter sa cellule et, avec ce volum monasticum, toutes ses inventions pieuses, tous ses exercices de pénitence et de contemplation prenaient figure de combat contre le démon et le monde. Ce n’est qu’après la floraison de la vie érémitique que se constitua la vie monastique avec son idéal plus spécifiquement religieux et ses vœux déterminés, dits justement vœux de religion.

Nous renonçons a suivre les développements historiques de ces deux premières disciplines, faites pour des âmes fortement trempées, parce que de tels vœux si ambitieux sont bien des vœux de vie parfaite, mais non des vœux d’une religion organisée, comme ce sont néanmoins les ancêtres des nôtres, on voudra bien ne pas les oublier tout à fait, de même que les théories des Pères sur le parfait service de Dieu