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VŒU. ETUDE THÉOLOGIQUE

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avec tristesse parce qu’on s’y sent tenu », obj. 2 à cette répétition banale « d’œuvres particulières qu’on s’oblige à l’avance à faire et peut-être plusieurs fois », obj. 3 a, le saint docteur est loin de sous-estimer « celui qui, sans vœu, a une volonté suffisamment immuable pour les embrasser dans leur teneur particulière et dans le moment même qu’il les fait, quitte à reprendre sa liberté pour l’avenir », ad 3um. Mais il maintient qu’ « il est encore plus méritoire de les faire même à contre cœur, mais avec la volonté de remplir son vœu, que de le faire sans vœu », ad 2um ; à plus forte raison si on les aborde avec joie, ad 2um, et sans contrainte, ad l" m.

2. Les objections.

Malgré la netteté de la doctrine les objections contre les vœux continueront de s’élever en dehors du monde chrétien et dans le sein même de l’Église catholique :

a) Les opposants.

a. — Dans l’Église, certains bons esprits ont défendu à contretemps les prérogatives de la bonne volonté et de l’amour de Dieu. C’était, au fond, la pensée bien nette de Pomérius : Rem voluntariam faciamus, cum sine abstinentia quemlibet hominem catholicum sola caritas perficiat. De vita contemplativa, t. II, c. xxv, P. L., t. lix, col. 470. La première réponse à ce double souci se lit dans le même passage : c’est que le vœu ne doit être imposé à personne et ne doit même être proposé aux « débutants », à leur charité fragile, qu’avec précaution, « de peur qu’ils ne se mettent à l’ouvrage, jam non devoti, sans la dévotion » qui est de mise pour un conseil.

La même difficulté, présentée au xviie siècle par Molinos, a été simplement condamnée par Innocent XI, Denzinger-Bannw., n. 1223 : Vota de aliquo faciendo sunt perfectionis impeditiva ; reproduite par les thèses joséphistes et jansénistes du synode de Pistoie, à la fin du xviir 2 siècle, elle a été qualifiée par la bulle Auctorem fidei de Pie VI, Denz.-Bann., n. 1589-1592 ; rajeunie de couleurs plus modernes, par l’américanisme, elle a amené la réponse de Léon XIII, dans sa Lettre Testem benevolentiæ du 22 janvier 1899 : « Il n’y a pas à vanter ce régime » des sociétés de prêtres sans vœux « comme préférable à celui des ordres religieux ». La récente lettre sur les congrégations sans vœu n’assimile pas celles-ci aux ordres religieux.

b. — Chez les réformés, les objections visent principalement aussi les vœux que font les religieux : Wiclef (1324-1387) avait déjà vilipendé ces vœux, cf. Denz., 601-615, 624 ; pour les autres vœux, Luther, De libertate christiana, Calvin, Institution chrétienne, c. xiii, se montrent bien les fils de leur époque et des moralistes à courte vue qui avaient mis de côté saint Augustin comme saint Thomas : ils donnent une importance, que nous dirions maintenant excessive, aux vœux du baptême et acceptent tout juste comme « licites » les humbles vœux faits « en vue d’éviter le péché ou de s’assurer quelque utilité temporelle », alors qu’ils rejettent comme « impies » les vœux sublimes portant sur de hautes pratiques de surérogation, qui ont l’ambition, disent-ils, d’honorer Dieu. Autant d’objections qui vont contre l’objet et le motif du vœu, et qui ont été suffisamment réfutées en leur lieu. Voir l’art. Surérogat ires (Œuvres), t. xiv, col. 2830 sq. Leur interprétation du vœu, dit Suarez, op. cit., tr. VI, t. I, c. l, n. 3, Vives, t. xiv, p. 754 sq., « va contre le sentiment commun des nations » chrétiennes, pour réhabiliter les mobiles intéressés de l’ancien paganisme ; leur exégèse de Col., ii, 18, ne tient compte ni du texte, ni du contexte. Voir ici l’art. Superstition, t. xiv. Chez eux, pas de véritable revendication ni de défense convaincue des droits de la liberté chrétienne, mais une haine solide contre toute l’institution ecclésiastique. Le concile de Trente s’est chargé de répondre aux protestants ; mais il n’a fait que rappeler la doctrine courante. Denz.-Bann., n. 865, 979-980.

c. — Chez les modernes, incroyants ou tributaires d’une philosophie religieuse étrangère à la morale chrétienne, les deux griefs qu’ils font aux vœux, aux vœux privés, comme au célibat ecclésiastique et à la profession religieuse à vœux perpétuels, c’est de mettre de la nécessité dans certains de nos actes les plus généreux par ailleurs, et d’introduire une sorte d’immobilité dans des vies dont ils ne comprennent pas la permanente dignité…

b) Les réfutations. —

Elles doivent naturellement s’adapter autant que possible aux faux points de vue des adversaires et à leurs arrière-pensées.

Beaucoup d’entre eux seraient plus sensibles à des arguments de faits qu’aux meilleures argumentations. On pourrait leur montrer, dans la vie de nos saints catholiques qui ont milité sous des vœux — si ces saints de toutes robes avaient pris soin de laisser des mémoires — qu’ils ont eu, comme les simples chrétiens, à se défendre parfois contre la terrible inconstance, contre la fatigue, l’ennui, la distraction ou contre la routine, qu’ils ont du moins trouvé dans leurs vœux un stimulant contre la tiédeur, cette « heureuse nécessité qui accule l’âme aux grandes actions », comme dit saint Augustin. Et puis ceux qui ne refusent pas à l’Église catholique le sens des valeurs religieuses devront se demander pourquoi la bonne moitié des saints canonisés durant les siècles écoulés depuis la Béforme ont été des prêtres ou des religieuses. .. Cf. P. Plus, dans Dictionn. apolog. de la foi chrétienne de d’Alès, art. Vœu, t. iv, p. 1032-1035.

Les arguments proprement théologiques sont toujours ceux de saint Thomas ; mais ils devront être exprimés dans le langage de la philosophia perennis.

a. — Partons d’une saine notion de la liberté, « un des plus grands biens que l’homme ait reçu de Dieu : allons-nous en être privés par le lien du vœu ? Non : la nécessité où se trouve ici-bas la volonté établie dans le bien ne diminue pas plus la liberté que l’impossibilité de pécher, comme on peut le voir en Dieu et dans les bienheureux ». A. 4, ad l um. Comme on risque bien de ne pouvoir faire entendre aux adversaire cette « quasi-similitude » — voir ici Cajétan, in h. loc. — disons-leur simplement que la liberté vraie ne se définit pas comme le pouvoir de choisir entre le bien et le mal, ni même entre le meilleur et le permis — ce que s’interdit, en effet, celui qui fait un vœu — mais « comme la maîtrise avec laquelle nous nous déterminons à tel bien particulier : ce n’est aucunement la réduire que de s’obliger volontairement et librement à tel ordre d’actions déterminées, pour s’aider soi-même à bien vivre ». I. Mennessier, op. cit., p. 379. La liberté du choix étant ainsi sauve à l’émission, la même liberté n’existe plus au moment de l’exécution : allons-nous parler de cette « nécessité de contrainte qui, en effet, rend l’acte involontaire et exclut la dévotion ? Loin de là, dit saint Thomas, en sa langue intraduisible : nécessitas voti est per immutabilitatem voluntatis », a. 6, ad l um. Sur la part d’involontaire qui peut se glisser dans l’acte voué « par la crainte du mal et du châtiment », comparé à l’acte de celui qui n’a rien voué et ne peut être porté à donner « ce supplément facultatif que par le motif désintéressé de l’amour »… et, à la longue, « par un renouvellement fréquent de l’effort généreux », voir la note de Mgr d’Hulst, Conférences de N.-D., 1892, p. 248-249. Sur la part de « tristesse et de répugnance de celui qui tient tout de même à demeurer fidèle à son vœu », cf. S. Thomas, a. 6, ad 2um, et Cont. Genl., t. III, c. cxxxviii.