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VŒU. ÉTUDE THÉOLOGIQUE

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simple exemple. Au point de vue de son objet, le vœu est appelé personnel, réel ou mixte : personnel, si l’on promet de faire soi-même ou d’émettre telle action : un jeûne, un pèlerinage ; réel, si l’on promet une chose extérieure ; mixte, si la promesse contient les deux éléments, soit séparables comme une aumône à un pèlerinage, soit indivisibles comme des soins à donner à tel malade. Le droit canonique a bien raison de distinguer ces trois espèces de vœux dont les retentissements sont si divers dans le domaine de la justice.

Mais, à parler strictement d’obligation votale, comme le spécifie d’ailleurs le can. 1310, § 1 du Code canonique, l’obligation du vœu ne concerne directement que son auteur. Pour le vœu personnel, qui ne peut être accompli que par lui, pas de difficultés : il s’éteint avec sa mort ou son incapacité manifeste ; mais le vœu réel, qui peut être exécuté par un autre, ne passe-t-il pas, avec son obligation religieuse, aux hérétiers, aux sujets, aux successeurs ? Voilà la question débattue entre théologiens et canonistes. Billuart a marqué nettement la position des premiers : « Qu’il s’agisse de vœu personnel, de vœu réel ou mixte, l’obligation est si bien personnelle qu’elle ne peut passer directement à aucune autre personne, étant donné que l’obligation a son origine dans la volonté personnelle ; elle ne peut obliger que celui qui l’a fait : un ami qui promet à son ami d’exécuter son vœu ne l’accomplira pas au titre de la vertu de religion, mais par fidélité ou justice envers son ami. Nul ne peut promettre ce qui devra être le fait d’un autre, quelque lien naturel qu’il ait avec lui : les fils ne sont pas tenus par le vœu de leurs parents. En cas d’impossibilité personnelle, nul n’est tenu, et, à vrai dire, nul n’a le pouvoir de satisfaire par un autre à son vœu personnel. Ce qui est vrai, c’est que le vœu réel, quoad ministerium seu exsecutionem, peut être accompli par autrui. » Billuart, De religione, diss. IV, art. 4, édit. 1853, p. 262-263.

Cependant le canon 1310, § 2 statue que « l’obligation du vœu réel passe à l’héritier, de même celle du vœu mixte dans la mesure où il est réel ». Ainsi voilà une loi positive qui fait passer la charge de l’exécution d’un vœu réel à un héritier avec le patrimoine que le testateur lui a légué ; de même qu’un tiers, par exemple un sanctuaire de pèlerinage, acquiert un droit à la donation que celui-ci avait fait vœu d’y faire porter. Mais passe-t-elle à l’héritier telle qu’elle était chez le donateur, c’est-à-dire à l’état d’obligation de religion ? Le Code n’ayant rien statué sur ce point, la plupart des théologiens font de l’exécution d’un vœu réel une obligation de justice pour l’héritier. Sans doute, la promesse était obligatoire ex ftdelitate pour le testateur et cette promesse, n’atteignant pas les biens, n’opérait aucun transfert de droit. Mais, en acceptant le testament, dit Suarez, « l’héritier l’a reçu grevé de toutes ses charges ». De relig., tr. VI, t. IV, c. 11. Ainsi l’intervention delà loi positive ne contredit pas au principe théologique qui veut que l’obligation religieuse d’une promesse faite à Dieu pour le service de Dieu ou du prochain lui reste strictement personnelle…

De même, les enfants peuvent être tenus, par obéissance et dans les limites mêmes de leur obéissance, à accomplir une prestation vouée par leurs parents ; mais ce n’est pas une obligation religieuse, et ils ne sont pas tenus d’avoir l’intention d’exécuter leur vœu, encore qu’ils puissent le ratifier pour leur compte. Pour le vœu fait par une communauté et à sa charge, la question est plus discutée encore. Cf. Ballerini-Palmieri, Opus theol., t. ii, n. 634. On peut dire que, si les chefs qui la représentent ont fait un vœu en son nom, l’obligation de religion passe à leurs successeurs parce qu’en eux agit la même personne morale qui a fait le vœu ; mais, si la chose promise demande l’intervention des sujets, lesquels n’ont pas promis eux-mêmes, ils devront y être obligés par leurs chefs au moyen d’une loi. Cependant, puisque le motif de ladite loi serait, dans ce cas, un motif de religion, y manquer peut être, pour les sujets, une faute grave, non pas contre le vœu, mais contre la vertu de religion. Cf. Acta apost. Sedis du 20 août 1937 où est publiée la réponse de la S. C. du Concile du 18 janvier 1936.

IV. Utilité du vœu.

C’est à bon escient que nous traduisons ici par utilité le titre de l’article 4 de la Somme théologique : Utrum expédiât aliquid vovere ; car l’avantage du vœu pour Dieu, s’il y en a un, c’est l’hommage qu’on lui fait de sa générosité, dans la promesse, et de sa fidélité, dans l’exécution de l’œuvre promise : ce double hommage est de caractère religieux, comme le dira saint Thomas, a. 5 : Utrum votutn sit actus latrise. Mais il faut regarder premièrement à l’utilité du vœu pour nous-mêmes, art. 4, et d’abord dans l’accomplissement du vœu, id quod damus, utilité qui vient à la pensée la première, et ensuite dans le geste intérieur de promesse, qu’on serait porté à oublier. Donc, en cette seule institution religieuse, quatre aspects distincts, qu’il y a intérêt à regarder d’une vue d’ensemble parce qu’ils se font valoir l’un l’autre, et qu’ils ont été, comme bien l’on pense, confondus par les témoins de la tradition.

Dans la tradition.

Les premiers témoins, les Pères grecs, qui passaient au-dessus des accusations d’anthropomorphisme, ont mis en relief, nous l’avons dit, l’hommage désintéressé de l’âme qui offre à Dieu « sa justice », qui lui fait un don, un cadeau, dont Dieu la remerciera en lui conférant sa propre justice et ses bienfaits. « Dieu, en effet, veut d’abord recevoir quelque chose de nous, pour ne pas avoir l’air, dit Origène, de faire ses largesses à des gens qui ne le méritent point. » Le geste est d’autant plus désintéressé qu’il précède l’exaucement du vœu, et même la prière de demande qui le termine (voir plus haut) ; car le vœu précède la prière.

Saint Cyprien parle également de ces deux amours qui commandent le vœu de ses vierges : l’amour du Christ dans la foi jurée, si ex fide Christo dicaverunt, Epist., iv, édit. Hartel, p. 474, et l’amour de la pureté, corpora pudori ac pudicitiæ dicata, De habitu virginum, c. xix, P. L., t. iv, col. 471 : deux motifs désintéressés qui définissent ce qu’un moraliste moderne appelle « le vœu, qui est offert dans le seul amour de la chose promise et de l’honneur de Dieu, non pour obtenir un avantage personnel ». Merckelbach, Theol. mor., t. ii, p. 733.

Saint Augustin fait un léger reproche à saint Cyprien d’avoir montré les charges du vœu, plus que ses avantages. De doctrina christiana, t. IV, c. xxi, n. 48, P. L., t. xxxiv, col. 113. Pour lui, qui agit ut virginitatem voveant, et qui pousse à toutes espèces de vœux avec une telle… audace, il ne méconnaît certes pas le caractère désintéressé de la promesse : « Que votre consentement mutuel » de garder la continence « soit une oblation à l’autel de là-haut, l’autel du Créateur ». C’est même par là que débute VEpist., cxxvii, ad Armentarium, n. 1, t. xxxiii, col. 487. Il est sûr qu’il faut penser d’abord à l’honneur de Dieu : « vœu d’abord et puis prière », Confess., t. III, c. iv, n. 7 ; cf. S. Grégoire, In I Regum, ii, t. 7, P. L., t. lxxix, col. 58.

En tout cas, et cette fois sans figure, le vœu est ce sacrifice au sens large qui est le but de tout acte religieux et que saint Augustin définit : sacriflcium