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VI 01,

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L’aspect moral.

1. Les moralistes anciens ont

considéré avant tout dans le viol le péché de luxure, caractérisé par le fait qu’il s’attaque à une vierge. C’est le point de vue de la Somme Ihéoloyique, IIa-IIæ, q. cliv, art. 6. Les modernes insistent davantage sur l’injustice qui résulte de la contrainte employée (que cette contrainte soit physique ou morale). Aussi étendent-ils leur définition à toute femme honnête à qui il est fait violence ; la question de virginité passe au second plan. Stuprum est luxuriosa oppressio personæ invitée, dit Vermeersch, Theol. moralis, t. ii, n. 031. « C’est une faute commise avec une femme, mais contre son gré », écrit Vittrant, Théol. morale, n. 1067, p. 581 ; cf. Muller, Somme de théol. mor., Paris, 1937, n. 339. Merkelbach, Summa theol. moralis, t. ii, n. 382-383, distingue entre le viol au sens strict qu’il définit : illicita virginis defloratio sub auctorilate paterna vivenlis, et le viol entendu au sens large qui implique l’oppression d’une femme « honnête », qu’elle soit vierge ou veuve, majeure ou mineure.

La contrainte exercée peut être physique : c’est le recours à la force et à la violence ; peu importe que la victime soit à l’état de veille, de sommeil, soit naturel soit hypnotique, ou d’ivresse. La contrainte morale comporte le recours à l’intimidation, à la fraude ou à la ruse, aux promesses fallacieuses et aux menaces injustes. De même, des prières instantes, des demandes pressantes, réitérées jusqu’à l’importunité, peuvent constituer une violence morale injuste, surtout si elles sont le fait d’un supérieur. Au contraire, de simples flatteries, des caresses, cadeaux ou autres procédés ordinaires de persuasion ne seront pas considérés comme des moyens injustes.

2. Certains auteurs font remarquer très justement que le viol n’est pas réalisé seulement par l’acte charnel consommé, mais aussi par toute action impudique perpétré sur une personne honnête, laquelle a droit au respect et à l’intégrité de son corps. C’est ainsi que Génieot-Salsmans, Theol. moralis, t. i, n. 391, p. 317, ont pu donner la définition suivante : Stuprum est in primis copula, sed etiam omnis usus venereorum cum persona quacumque non consentiente. Ce point de vue est celui de la morale, lorsqu’il s’agit de juger du péché et de déterminer la malice de l’acte : Malitia stupri invenitur, licet imperfeclo modo, in tactu turpi mulieris invitse, dit Marc-Gestermann-Raus, Institutiones mor., t. i, n. 776, éd. 19e. Dans l’ancien droit canonique, aussi bien que chez les canonistes et civilistes modernes, le viol ne se conçoit pas sans la conjunctio carnalis. Cf. Code pénal italien, art. 519. Les autres actes, consommés ou non, sont appelés de préférence « attentats à la pudeur ». Code pénal français, art. 331-332.

3. Il n’y a viol, à strictement parler, que si la victime est une personne « honnête », vierge ou veuve, et non une femme de mœurs faciles ou suspectes. A l’égard de cette dernière, la question d’injustice ou de dommage ne se pose guère.

4. Ajoutons que, théoriquement au moins, une sorte de viol moral pourrait être réalisé sur la personne d’un homme, que des femmes perdues de mœurs contraindraient au péché grave. Le péché est assurément de même espèce que le viol proprement dit. Cependant les moralistes n’ont pas coutume de s’attarder sur ce cas : a) parce qu’il est tout à fait exceptionnel, « à peine concevable », vix possibile, dit Bouvier, Dissertatio in sextum, 7e éd., p. 27 ; b) en raison du moindre dommage qui en résulte pour la victime : quia libidinosw violentiæ in alias personas per se non sunt corpori damnosse, nec habent consectaria etiam ordinis œconomici, quee involuntaria fecunditas secum trahit, note très à propos Vermeersch, Theol. moralis,

t. ii, n. 631. C’est pourquoi les auteurs s’occupent surtout ou même exclusivement de l’oppression d’une personne de sexe féminin : de sola oppressa muliere loquimur, dit Vermeersch, loc. cit., sans méconnaître l’autre forme de ce crime.

Le point de vue du droit.

1. Pour définir le

viol, les anciens canonistes étaient surtout attentifs à un fait matériel et aux conséquences qui en découlaient, la virginis defloratio. À leurs yeux, la perte de l’intégrité charnelle constituait par elle-même un dommage sérieux, en raison de l’estime professée pour la virginité. Gratien, voulant distinguer le viol de la fornication, de l’adultère, de l’inceste ou du rapt, le définissait ainsi : Stuprum est proprie virginum illicita defloratio, 2 a pars, caus. XXXVI, q. i, c. 2. Selon lui, le caractère « illicite » du stupre venait de ce qu’il n’avait pas été précédé d’un consentement matrimonial librement échangé : quando, non prsecedente conjugali pactione, virgo corrumpitur. Il en résulte que toute défloration d’une vierge constitue un viol, même si la victime est consentante, et même si le père, informé après coup, ne considère pas la chose comme une injure, pâtre injuriam ad animum siatim post cognitionem non revocante, Gratien, ibid. C’était là le stupre simple.

2. Le viol devenait qualifié lorsque le stuprator avait recours à la violence, ou lorsque les circonstances le rendaient particulièrement odieux (p. ex. séduction, dol, déception, menaces, crainte injuste…). C’est le cas prévu par les Décrétâtes, t. V, tit. xvi, c. 1 et 2 : virginem seduxerit, virginem stupro decepit.

3. Ce furent les commentateurs postérieurs qui qualifièrent de stupre toute « oppression violente d’une femme honnête », qu’elle fût vierge ou non. C’était revenir à la définition donnée par le droit romain dans la Lex Julia de adulteris. Cf. Institut., t. IV, tit. xviii, § 4 ; Dig., t. XLVIII, tit. v. On l’appela viol au sens large. Cf. Schmalzgrueber, Jus eccl. universum, t. V, tit. xvi, n. 16. Au sens propre, le viol continua à désigner strictement, comme au temps de Gratien, la defloratio virginis, non prsecedente pacto conjugali. Cf. Reiffenstuel, Jus canonicum univ., t. V, tit. xvi, n. 44. C’est pourquoi, même au xviiie siècle, la plupart des canonistes ont encore conservé la terminologie de Gratien ou de saint Thomas : le stuprum ou viol est avant tout virginis oppressio, ce qui impliquerait l’idée de contrainte, mais aussi de corruptio. Cf. IIa-IIæ, q. cliv, a. 6. On ne devra pas le perdre de vue, si l’on veut apprécier correctement leurs théories sur le dommage qui en résulte, les réparations qui s’imposent et les peines à infliger. Cf. Schmalzgrueber, Jus eccl. univ., t. V, tit. xvi, n. 28 sq.

4. Les canonistes contemporains tendent de plus en plus à adopter la notion de viol telle qu’elle ressort des codes civils ou pénaux modernes. Ce crime n’est qu’une sorte de fornication imposée par une contrainte physique ou morale, à laquelle la victime n’avait pas la possibilité de se soustraire. La question de virginité tend donc à passer au second plan. Bien plus, des commentateurs du Code ont admis récemment que le stupre pouvait porter sur une femme mariée à laquelle il est fait violence. Cf. Eichmann, Das Slrafrecht des Codex, Paderborn, 1920, p. 190 ; Augustine, A Commentary on the new Code, t. viii, n. 414.

Quelques-uns ont même admis, à la suite de certains codes civils, que ce crime pouvait être réalisé sur une personne du même sexe. Code pénal italien, art. 519 ; voir aussi Code pénal français, art. 331-332, s’il s’agit de mineurs. Cf. Chelodi, Jus pcenale, n. 84, p. 98, notes 5, 6 ; M. Conte a Coronata, Institutiones juris can., t. iv, n. 2052. En ces deux derniers cas, la sodomie et l’adultère se distingueraient du viol par