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VINCENT DE LÉRINS

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exclu par la règle formulée. D’où une seconde règle, non moins importante que la première : Crescal igitur oportet et multum vehemenlerque proficiat tam singulorum quam omnium, tam unius hominis quam totius Ecclesise, œtatum ac sœculorum gradibus, intelligenlia, scienlia, sapientia, sed in suo dumlaxal génère, in eodem scilicet dogmate, eodem sensu eademque sententia. xxiii. L’application de cette nouvelle formule doit permettre de distinguer les progrès légitimes des nouveautés profanes : l’accord des Pères qui ont vécu et enseigné dans l'Église catholique en prouve la bienfaisance et la fécondité.

Vincent doit naturellement éclairer sa doctrine par des exemples, à tout le moins par un exemple décisif et il l’annonce en ces termes : « Le moment est venu de donner l’exemple promis et de montrer où et comment l’on a réuni les avis des saints Pères, afin de fixer d’après eux la règle de foi, conformément aux décrets et à l’autorité du concile. Pour plus de commodité, terminons ici ce Commonitorium et prenons un autre début pour ce qui va suivre. » xxviii. A prendre ces mots à la lettre, nous avons ici la fin du premier Commonitorium mentionné par Gennade ; et dans tous nos mss., nous trouvons, en effet, la note suivante, due au copiste de l’archétype. « Le second Commonitorium est tombé ; il n’en est plus resté que la dernière partie, c’est-à-dire une simple récapitulation que voici. » Vincent lui-même s’exprime ainsi : « Le moment est donc venu de récapituler, à la fin de ce second Commonitorium, ce qui a été dit dans le premier et dans celui-ci. » xxix. Nous n’avons pas de raison pour suspecter ces formules. Le second Commonitorium a été rédigé par Vincent de Lérins, comme un achèvement du premier qu’il devait illustrer par un exemple bien choisi, celui du concile d'Éphèse, tenu trois ans plus tôt, xxix, et de ce second commonitorium, nous ne possédons plus que le résumé qui en formait la conclusion. Quand l’ouvrage a-t-il été perdu ? De très bonne heure, assurément ; car Gennade, qui rédigeait son catalogue vers 467-469 ne le connaissait déjà plus et racontait que le brouillon (ex schedulis) en avait été volé à l’auteur. Un tel vol n’a rien que de fort vraisemblable. Ce qui l’est moins c’est l’affirmation de Gennade que le résumé conservé aurait été rédigé pour suppléer au dommage causé par ce larcin. Notre récapitulation semble bien faire partie de la première rédaction, elle achève normalement l’ouvrage et les mots par lesquels elle se termine et qui font allusion à la mémoire défaillante de l’auteur rejoignent aussi bien que possible la formule parallèle de l’introduction. Inutile de supposer, comme le dit Gennade, que le résumé en question est une pièce de remplacement : il n’a pas été volé avec le reste et s’est seul conservé de l’ouvrage disparu. Inutile aussi, et à plus forte raison, de supposer avec A.. d' Aies que l’auteur lui-même a délibérément sacrifié une grande partie de son travail. De tels sacrifices sont à peu près inouïs dans l’histoire littéraire et il est imprudent de les imaginer sans preuves.

A lire le début et la fin du Commonitorium, on dirait que le moine de Lérins n’a écrit que pour luimême, sans aucune intention de publier son ouvrage : « Il me suffira, dit-il, de rédiger pour moi-même, ce Commonitorium, afin de suppléer à mes souvenirs ou plutôt à mes oublis. Je m’efforcerai toutefois, en méditant à nouveau sur ce que je sais, de le corriger et de le compléter peu à peu chaque jour avec l’aide de Dieu. » Prsejat. « Mon but a été… de rafraîchir ma mémoire, pour le soutien de laquelle j’ai écrit mon opuscule, sans toutefois l’accabler par une prolixité fastidieuse. » xxxiii. Comment croire cependant qu’un écrivain, quel qu’il soit, ne pense qu'à

lui au moment où il rédige ce qu’il a dans l’esprit ? Vincent lui-même ne peut pas s’empêcher de parler de ses lecteurs éventuels : « Si l’ouvrage venait à tomber entre les mains de quelques saints personnages, qu’ils ne se hâtent pas trop d’y reprendre certains passages et qu’au contraire ils retiennent l’engagement que je prends de le retoucher. » Pree/at. Il y a plus : l’auteur se dissimule sous le nom de Pérégrinus, nom d’humilité sans doute qui convient éminemment à un moine dégagé de tous les soucis du siècle, mais pseudonyme destiné à voiler sa vraie personnalité : pour qui aurait-il agi de la sorte, s’il n’avait pas destiné, tout comme les autres écrivains, son ouvrage à la publicité?

L’emploi d’un pseudonyme nous oriente même vers un autre problème. À côté du but avoué que poursuit Vincent et qui est la recherche d’un critère pour le discernement de la vraie doctrine, ne peut-on pas trouver à son ouvrage un autre but, celui de condamner, sous prétexte de nouveauté dangereuse, les opinions d’un personnage en vue, voire d’une autorité reconnue par un grand nombre de ses contemporains ? On a, depuis longtemps, remarqué la vivacité avec laquelle le moine de Lérins poursuit les erreurs et surtout certaines d’entre elles : pourquoi, se demande-t-il, Dieu permet-il que des personnages éminents, occupant un rang dans l'Église, annoncent aux catholiques des doctrines nouvelles ? x. Là-dessus, il parle d’Origène et de Tertullien ; mais on sent que sa pensée est ailleurs et atteint, par de la ces vieux maîtres, un contemporain. Ailleurs, il va plus loin : « Tout ce que tel aura pensé en dehors de l’opinion générale ou même contre elle, quelque saint et savant qu’il soit, fût-il évêque, fût-il confesseur et martyr, doit être relégué parmi les menues opinions personnelles secrètes et privées, dépourvues de l’autorité qui s’attache à une opinion commune, publique et générale. N’allons pas, pour le plus grand péril de notre salut éternel, agir selon l’habitude sacrilège des hérétiques et des schismatiques et renoncer à l’antique vérité d’un dogme universel pour suivre l’erreur nouvelle d’un seul homme. » xxviii. Ce n’est pas en vain qu’il écrit le mot d'évêque, car c’est bien à un évêque qu’il en a et nous n’avons pas de peine à découvrir l’adversaire qu’il veut atteindre lorsque nous lisons : « , Voici par quelles promesses 'les hérétiques ont l’habitude de duper étrangement ceux qui ne se tiennent pas sur leurs gardes. Ils osent promettre et enseigner que, dans leur Église, c’est-à-dire dans le conventicule de leur communion, on trouve une grâce divine considérable, spéciale, tout à fait personnelle ; en sorte que, sans aucun travail, sans aucun effort, sans aucune peine, et quand bien même ils ne demanderaient, ni ne chercheraient, ni ne frapperaient, tous ceux qui sont des leurs reçoivent de Dieu une telle assistance que, soutenus par la main des anges, autrement dit, couverts de la protection des anges ; ils ne peuvent jamais heurter du pied contre une pierre, c’est-à-dire être jamais victimes d’un scandale. » xxvi. C’est saint Augustin lui-même qui est ici visé et nous reconnaissons, dans les formules de Vincent, non seulement les expressions employées par Prosper d’Aquitaine pour exprimer la doctrine imputée à l'évêque d’Hippone par les adversaires gaulois de la prédestination, mais les expressions de saint Augustin luimême dans le De dono perseverantiæ, xxiii, 64. D’autres remarques conduisent à la même conclusion : « Il y a une bien frappante analogie entre le Commonitorium, xxiv, 11, et les cinquième et sixième de ces Objectiones Vincentianæ, P. L., t. xlv, col. 1843-1850, dirigées contre la doctrine augustinienne sur la prédestination et que nous connaissons par la