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VERTU. NATURE DES VERTUS INFUSES


nature, Dieu entend lui communiquer un principe intérieur d’activité lui permettant de produire des actes d’intuition de l’essence divine, des actes d’amour de Dieu possédé en lui-même.

Cette participation, de toute évidence, ne sera qu’une participation analogue et bien inadéquate de la nature divine : per quemdam similitudinem, per quamdam regenerationem sive recreationem. S. Thomas, I a -II ffl, q. ex, a. 4. Sans nous arrêter aux multiples déficiences de cette participation, il suffît de dire que l’ordre surnaturel en nous est une participation de la nature divine exclusivement considérée sous le rapport de l’intelligence et de la volonté, en tant que principes de l’acte par lequel Dieu se connaît et s’aime. Cette participation n’est pas, dans l'âme humaine, la superposition d’un ordre d’activité supérieur à l’ordre de l’activité humaine : dans l’ordre surnaturel, c’est encore la nature humaine qui agit, mais surélevée. Selon l’expression de saint Paul, l’homme devient nova creatura, non pas en ce sens qu’il reçoit en lui un nouvel ordre d’existence et d’activité créé pour lui, mais parce qu’il est, comme l’exprime exactement saint Thomas, recréé selon cet ordre. Tiré par Dieu de sa puissance obédientielle, l’ordre surnaturel le compénètre, le perfectionne, s’identifie pour ainsi dire à lui au point de lui donner et de donner à ses puissances naturelles la possibilité d’agir conformément aux exigences de la vie surnaturelle et divine. Cf. S. Thomas, I », q. xiv, a. 4 ; [-II", q. ex, ad 3 ura ; De veritate, q. xxvii, a. 3, ad 9<"".

b) La ç/râce, habitus entitatif. — Dans ce but, l'âme doit d’abord être surélevée dans son essence même par la grâce sanctifiante, élément radical et primordial de la participation divine. Voir Grâce, col. 1610. Cet élément ne peut être une substance, puisque ['âme est déjà constituée naturellement dans son être substantiel. Cf. I a -II ! C, q. ex, a. 2, ad 2um. La grâce sanctifiante est donc en soi une forme accidentelle, que l’analyse philosophique ramène au prédicament de la qualité, « qualité divine inhérente à l'âme », dit le Catéchisme du concile de Trente, part. [[, n. 50. Dans le prédicament qualité, c’est l’espèce habitas qui convient le mieux à la grâce sanctifiante. Cf. De veritate, q. xxviii, a. 2, ad 7um ; P-II*, q. ex, a. 3, ad 2um. Cet habitas ne peut perfectionner les facultés de l'âme si, avec la métaphysique thomiste, nous supposons celles-ci distinctes de l'âme ellemême. Quoi qu’il en soit, n'étant pas ordonnée immédiatement à l’action, la grâce sanctifiante ne peut être qu’un habitas d'être, entitalivus ou substanlivus, inhérent à la substance même de l'âme. Ce qui est inconcevable au point de vue naturel, devient une réalité dans l’ordre surnaturel.

e) Les vertus, habitas d’opération. — La grâce, n'étant pas ordonnée immédiatement à l’action, appelle dans les facultés naturelles de l'âme la présence de principes supérieurs d’activité, permettant à l’homme fie se diriger selon les exigences de l’ordre surnaturel. Ce sont les vertus surnaturelles. À leur tour, ces vertus ne sautaient être conçues comme des principes d’action superposés aux principes naturels. Sans doute, sous un certain rapport, on pourrait les assimiler aux puissances de l'âme: sans les vertus, etl effet, l'âme est radicalement incapable d’activité surnaturelle, comme sans ses puissances, elle est Incapable de la moindre activité naturelle. Les vertus surnaturelles confèrent donc à l'âme, simplement et absolument, un pouvoir d’action qui n’est en aucune raçon présupposé à leur infusion, tandis que les habitas acquis présupposent déjà les puissances naturelles de l’activité humaine. Cependant, malgré cette différence essentielle entre vertus surnaturelles et

vertus acquises, les vertus surnaturelles ne peuvent être ramenées, dans le prédicament qualitas, à Lespèce potentia, mais bien à l’espèce habitus. En effet, elles ne donnent pas la puissance d’agir indépendamment de l’action des puissances naturelles. De même que l'âme est élevée par la grâce à l’ordre divin, ainsi les facultés de l'âme sont élevées à cet ordre par les vertus surnaturelles. Ce sont les mêmes facultés qui agissent dans l’ordre naturel et qui, grâce aux vertus surnaturelles qui les perfectionnent, deviennent capables d’agir dans l’ordre surnaturel. D’où il apparaît clairement que le principe immédiat de nos actes surnaturels est moins la vertu que la puissance de l'âme, intelligence ou volonté, perfectionnée par cette vertu. Il est donc plus logique de ramener les vertus surnaturelles à la catégorie des habitus. Et, comme elles donnent aux facultés de l'âme de devenir principes immédiats d’opérations surnaturelles, ces vertus doivent être conçues comme des habitus d’opération. Cf. S. Thomas, Ia-IIæ, q. ex, a. 3 ; De veritate, q. xxvii, a. 2 ; a. 6, et ad 3um.

2. Vertus surnaturelles et facilité d’opération. — D’après saint Thomas, « la vertu permet à l’homme d’agir facilement et avec un attrait réel pour le bien ».

Les vertus naturelles, précisément parce qu’elles sont acquises par la répétition fréquente de leurs actes, non seulement sont des habitus, mais encore créent en nous des habitudes au sens moderne du mot, habitudes orientant notre activité vers le bien, « avec fermeté, sans hésitation, avec plaisir » ( fîrmiter, expediie, delectabiliter). S. Thomas, De virl., q. i, a. 1, ad 13um ; cf. I a -II ffi, q. lxxviii, a. 3. Ce qui relève ici plus spécialement de l’habitude, c’est la faculté de plus en plus grande qui, normalement, accompagne le développement de Vhabitus dans l'âme. Sans doute, la vertu acquise ne supprime pas pour autant l’inclination au mal créée en nous par le jeu des passions mauvaises. Mais, en raison de son origine et de sa formation en nous, la vertu acquise nous a fait perdre l’habitude d’obéir aux passions et acquérir celle de leur résister. De là, une facilité d’exercice provenant moins des dispositions intérieures de l'âme que de la diminution progressive des obstacles extérieurs, grâce à l’accoutumance prise à l'égard des actes vertueux, accoutumance qui crée en nous comme une seconde nature.

Les vertus surnaturelles, du moins au début de leur présence dans l'âme, ne sauraient communiquer à nos facultés cette facilité d’exercice. La « facilité » se réduit ici, dès l’abord, au pouvoir d’agir dans l’ordre surnaturel. Ce pouvoir, certes, n’est pas une simple possibilité physique d’action ; il y a plus. Prenant conscience du bien surnaturel, objet de la vertu, notre âme en saisit la valeur et doit ressentir, à son égard, un penchant réel et un véritable attrait. Ce sentiment se traduira par une ferme adhésion à ce bien, adhésion que l’exercice de la vertu, soutenu par la grâce divine, rendra victorieuse des passions contraires et des difficultés extérieures. La foi et l’esprit de foi sont à la base de cet attrait, que la nature laissée à elle-même sérail incapable de provoquer et de maintenir.

Mais les passions mauvaises et les difficultés extérieures peuvent encore offrir de grands obstacles à l’exercice des vertus surnaturelles. À moins d’intervention miraculeuse de Dieu, le cas se réalise dans la plupart des conversions. Qu’on songe aux lui les que doivent soutenir les habitudinaires des fautes d’Intempérance ! Ce n’est que peu à peu, par la répétition des actes vertueux, que la vertu surnaturelle trouvera la facilifé d’exercice de la vertu acquise. L’expérience montre que le pécheur converti.