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VERTU. LES VKHTrs SURNATURELLES


(Irait répondre affirmativement. Sur cet accroissement, quantitatif, voir Suarez, Disp. metaph., disp. I.YI, scct. i. Mais, pour saint Thomas et son école, l’aspect qualitatif est le seul qui puisse entrer en ligne de compte. L’accroissement ne saurait donc se produire qu'à la suite d’actes « dont l’intensité est égale en proportion à celle de l’habitus, voire même la surpasse… Si l’intensité de l’acte est proportionnellement en deçà de celle de l’habitus, un tel acte ne prépare pas un accroissement, mais plutôt une diminution de l’habitus lui-même. » Q. lii, a. 3.

Ces principes, rappelés en quelques mots, sont gros de conséquences au point de vue spirituel. « Celui qui ne progresse pas recule », disait déjà saint Grégoire, voir col. 2747. On insistera sur ces conséquences à propos de l’accroissement des vertus surnaturelles.

Décroissance et perte de la vertu acquise.

C’est l’objet de la question lui.

1. Perte des vertus (a. 1). — Les vertus naissent et croissent par des actes conformes à leur objet ; elles disparaissent par l’accoutumance aux actes contraires. C’est vrai des vertus intellectuelles, dont la perte peut être provoquée par des raisons contraires à la vérité ; c’est vrai surtout des vertus morales, quand « le jugement de la raison… imprime un mouvement en sens contraire, de quelque manière que ce soit, ou par ignorance, ou par passion, ou même par libre choix ». Il est toutefois difficile, sinon impossible, qu’un homme normal perde l’habitus des premiers principes du raisonnement ou de la moralité.

2. Diminution progressive des vertus (a. 2). — La perte des vertus acquises ne se fait que progressivement. Diminution et croissance se correspondent. La répétition des mêmes actes moralement bons nous fait acquérir l’habitus vertueux ; la répétition des mêmes actes mauvais et contraires diminue l’habitus de la vertu. La diminution progressive peut venir d’une double cause : une extensivité moindre quant à l’objet et surtout une intensité moindre dans l’action. L’habitus de la vertu devient de moins en moins enraciné dans le sujet. Mais il est évident que la cause principale de toute décroissance vertueuse est l’intensité amoindrie, bien plus que l’extension diminuée.

3. Disparition de la vertu par cessation de ses actes (a. 3). — « Les habitus se corrompent ou s’affaiblissent sous des influences qui leur sont contraires. Or, chaque fois qu’on laisse se développer sous l’habitus, à la faveur du temps, ces influences contraires qui ne pourraient être éliminées que par l’exercice de la vertu, celle-ci s’affaiblit ou même disparaît tout à fait, simplement parce que, pendant longtemps, son activité a cessé de s’exercer. » S. Thomas, toc. cit.


IV. Vertus surnaturelles.

Existence.

1. Écriture.

A maintes reprises, l'Écriture affirme la nécessité de vertus dont l’exercice doit conduire le juste au bonheur éternel. De telles vertus sont donc en elles-mêmes surnaturelles.

a) Un texte expressif est II Pet., i, 3-11. La « participation de la nature divine », aboutissement de la mise en possession des « précieuses et magnifiques promesses faites par Dieu », doit s’entendre, avant tout, de la grâce sanctifiante. Mais, par elle-même, la grâce, habitus substantivus, ne saurait agir ; elle doit donc être complétée d’un cortège de vertus surnaturelles, habitus operativi, rendant l'âme capable d’une activité proportionnée à leur objet. Voir Grâce, t. vi, col. 1610.

A cause de cela, ajoute saint Pierre, apportez de votre côté tous vos soins pour unir à votre foi la vertu, à la vertu le discernement, au discernement la tempérance, à la tempérance la patience, à la patience la piété, à la piété l’amour fraternel, a l’amour fraternel la charité. Si ces (vertus) sont en vous et y abondent, elles ne VOUS laisseront ni oisifs, ni stériles pour la connaissance de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, Car celui à qui elles font défaut est un homme a la vue courte, un aveugle ; il a oublié la façon dont il a été purifié de ses anciens péchés. C’est pourquoi appliquezvous d’autant plus à assurer par vos bonnes œuvres votre vocation et votre élection ; car, en agissant ainsi, vous ne ferez jamais de faux-pas. Et ainsi vous sera largement donnée l’entrée dans le royaume de Xotre-Seigneur et Sauveur.Jésus-Christ. II Pet., i, 5-11.

b) Un autre texte classique est I Cor., xiii, 8-13. Saint Paul y fait l'éloge de la charité. Les charismes passent, mais pas la charité. La foi, l’espérance demeurent sur la terre, mais elles ne font que nous préparer à la vision bienheureuse. Seule la charité demeurera dans l’autre vie ; aussi est-elle la plus grande des trois. L’expression manent marque qu’il ne s’agit pas seulement d’actes de foi, d’espérance et de charité. Elle implique l’existence de principes permanents dans l'âme.

c) D’autres textes pourraient être invoqués ; ils indiquent l’existence de secours permanents accordés par Dieu à l’homme pour l’orienter vers la vie éternelle. Cf. II Cor., iv, 7-v, 5 ; xiii, 9-10 ; Eph., iii, 16-17. L’homme, devenant « une nouvelle créature » dans le Christ, II Cor., v, 17, possède par là même des principes de vie surnaturelle qu’il n’avait pas auparavant. La charité de Dieu, « répandue en nos cœurs par l’Esprit-Saint », Rom., v, 5, doit littéralement être ente’ndue de l’amour de Dieu pour nous, cf. M.-J. Lagrange, L' É pitre aux Romains, Paris, 1916, p. 102, note 2 ; mais, avec saint Augustin (De Trin., t. XV, c. xviii, n. 31, P. L., t. xlii, col. 1082 ; De gratta Christi et de pecc. orig., t. II, c. xxiv, n. 28, t. xliv, col. 398 ; Enchiridion, n. 117, t. xl, col. 286) et le concile de Trente, sess. vi, c. vii, Denz.-Bannw., n. 800, on peut l’interpréter de l’amour permanent que nous avons pour Dieu.

2. Enseignement de l'Église.

L’enseignement de l’Eglise concernant l’existence des vertus surnaturelles s’est développé à l’occasion de controverses qui l’ont fait passer de l'état de croyance générale implicite à l'état de vérité explicitement affirmée.

a) Simple croyance. — Les Pères s’embarrassent peu de spéculations philosophiques ou, s’ils s’aventurent en ces considérations, c’est à propos des vertus cardinales. Voir ci-dessus. Le caractère surnaturel de ces vertus ne leur échappe pas. Toutefois les vertus théologales, foi, espérance, charité se situent pour eux dans une région supérieure, où la pensée évangélique semble échapper aux formules trop précises de la philosophie aristotélicienne ou stoïcienne. De l’enquête faite plus haut, il apparaît que, pour les Pères, les vertus surnaturelles existent, dons précieux accordés par Dieu à l’homme en vue de son salut. On peut ajouter à cette affirmation générale qu’ils considèrent ces dons comme permanents dans l'âme.

Saint Polycarpe énumère déjà les trois vertus théologales, Ad Philip., iii, 2 : « Vous pourrez être édifiés dans la foi qui vous a été donnée… l’espérance la suivant, mais la charité envers Dieu et le Christ et le prochain la précédant. » Saint Jean Chrysostome affirme que « le baptême donne, avec la rémission des péchés, la sanctification, la participation de l’Esprit-Saint, l’adoption et la vie éternelle, la foi, l’espérance et la charité qui demeurent. » In Act. Apost., homil. xl, n. 2, P. G., t. lx, col. 285. — Saint Augustin rappelle que l’ennemi peut ravir à l’homme ses biens extérieurs, malgré lui ; mais lui ravir sa foi est impossible, si lui-même ne la rejette pas. C’est Dieu qui lui a donné la foi, l’espérance et la charité. In ps. ly, enarr. xix, P. L., t. xxxvi, col. 659. Voir