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VERITE OU VERACITE

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III. Point de vue moral.

La vérité ou véracité, vertu morale, annexe de la justice.

1. Notion de la véracité.

La vérité n’est pas prise ici au sens philosophique exposé plus haut, à savoir la conformité entre la réalité et l’idée qu’on s’en fait, mais au sens moral de véracité, sincérité, franchise. Sous cet aspect, « c’est la qualité qui consiste à se montrer vrai en tout ce qu’on fait et à dire vrai en tout ce qu’on dit. C’est la volonté bien ferme d’éviter toute duplicité, de se manifester tel que l’on est, en réglant, du reste avec mesure et discrétion selon les circonstances, cette exacte et franche manifestation de soi-même. » J.-D. Folghera, O. P., Les vertus sociales (Somme théol., édit. de la Revue des Jeunes), p. 415416. Citant une phrase d’Aristote, saint Thomas déclare que la véracité est la vérité « par laquelle on se montre, en paroles et en actes, tel que l’on est, ni plus, ni moins, ni autrement. » Sum. theol., II 1 -II æ, q. cix, a. 3, ad 3um.

2. Véracité, vertu réelle.

Considérée en général, sans distinction de vertu naturelle et de vertu surnaturelle, la vertu peut être définie : « Une disposition habituelle de l’âme à faire le bien. » La vertu a donc pour fonction de rendre bon l’acte humain, de l’établir selon l’ordre voulu par Dieu. Dieu a donné aux hommes la parole pour échanger entre eux loyalement leurs pensées : sans cet échange loyal, la société humaine ne pourrait durer. S. Thomas, loc. cit., a. 3, ad l um. La véracité est une vertu qui « a pour objet formel d’agencer convenablement tout notre extérieur, paroles, gestes, attitudes, façons même de se vêtir, etc., en vue de lui faire exprimer, sans plus ni moins, ce que nous sommes réellement, comme un signe doit traduire ce qu’il a à signifier. » Folghera, op. cit., p. 416 ; cf. S. Thomas, loc. cit., a. 2 et ad 2-.

3. Véracité, vertu morale. — La véracité n’est pas, à coup sûr, une vertu théologale. Bien qu’il s’agisse de vérité, elle n’est pas non plus une vertu intellectuelle, car elle n’a pas pour dbjet la vérité elle-même, mais l’ordre à mettre dans nos paroles, nos gestes, nos attitudes, pour nous manifester tels que nous sommes en réalité. Elle est donc une vertu morale, la vertu morale réglant l’emploi de nos activités, de nos ressources, de nos appétits intellectuels et sensibles conformément à l’ordre. Et, comme toute vertu morale, la véracité doit observer un juste milieu : « d’abord, dans les intentions, pour ne pas vouloir dire ni faire croire plus ou moins qu’il n’y a en réalité, puis dans les actes pour avoir soin de ne rien manifester quand il faudrait dissimuler et de ne rien cacher de ce qu’il faudrait produire. » Folghera, op. cit., p. 416 ; cf. Sum. theol., loc. cit., a. 1, ad 3um.

Cette dernière remarque est d’une importance considérable, car si le prochain a un certain droit à connaître la vérité, précisément parce que nous devons vivre en société et « que nous sommes membres les uns des autres », Eph., iv, 25, la vie sociale exige parfois que la vérité soit tenue secrète. Voir Mensonge, t. x, col. 561, 563-569 ; Secret, t. xiv, col. 1757. Ajoutons qu’elle répond à l’objection formulée par saint Thomas, ad 2um, à savoir qu’il n’est pas toujours louable de parler de soi et de se manifester tel qu’on est. Faire son propre éloge, à supposer qu’il soit vrai, ne sera un acte bon que « si toutes les circonstances sont ce qu’elles doivent être. » Voir Gloire humaine, t. vi, col. 1426 sq. Et, à l’inverse, il faut en dire autant du mal véritable qu’on rend public : c’est une faute quand on le fait « soit par forfanterie, soit simplement que la manifestation n’ait aucune utilité ». Voir Médisance, t. x, col. 489.

Dans l’art. 4, saint Thomas, après Aristote, apporte une nuance nouvelle « à laquelle on reconnaît la

parfaite courtoisie de la vertu de vérité ». Nuance à la fois très humaine et très chrétienne, puisque le Philosophe (Éthique, t. IV, lect. 15, n. 9) et l’Apôtre (II Cor., xii, 6) l’ont notée tour à tour. « Ce n’est pas dire qu’on doive nier ce qu’on a en soi, mais il est bien de ne pas déclarer tout. D’abord, cette affirmation atténuée est sans préjudice de la vérité, puisque sans dire toute la vérité, on dit tout de même la vérité, car le moins est dans le plus. Ensuite, c’est plus discret : cela écarte le danger de s’en faire accroire à soi-même et celui d’être à charge aux autres en ayant l’air de vouloir se mettre au-dessus d’eux. Enfin, c’est faire preuve de gracieuseté et parfois de condescendance. » Folghera, p. 417.

4. Véracité, vertu annexe de la justice. — « Entre la justice et l’une quelconque de ses vertus annexes, il doit y avoir quelque chose de commun et quelque chose de différent. La vérité (véracité) a deux traits communs avec la justice : 1. Elle est altruiste (ad alterum) ; son acte consiste à manifester quelque chose à autrui : un homme révèle ses pensées et ses sentiments à un autre homme ; 2. Elle établit une certaine égalité entre les signes des réalités et les réalités elles-mêmes. Par contre, elle diffère de la justice et n’en réalise pas la notion parfaite par le caractère de sa dette. Il ne s’agit pas pour elle de dette légale comme celle qu’acquitte la justice, mais plutôt d’une dette morale : c’est par honnêteté qu’on doit être véridique. La vérité (véracité) fait donc partie de la justice à titre de vertu annexe. » S. Thomas, Sum. theol., II a -II s, q. cix, a. 3. — Il est un cas cependant où la véracité relève de la justice stricte, c’est quand nous sommes obligés à faire un aveu ou à porter un témoignage devant le juge : « La vérité ainsi entendue est un acte particulier de la vertu de justice…, car cette manifestation du vrai a pour objet principal le droit d’autrui. » Ibid., ad 3. um. Voir Témoignage.

L’amour de la vérité et ses manifestations.

1. Dans l’ordre moral.

C’est ce que saint Thomas, après saint Jérôme, appelle « la vérité de la vie ». Loc. cit., Dans cet ad 3um, il définit d’un mot cette vérité de la vie : « la règle de notre vie personnelle », c’est-à-dire cette conformité réciproque de nos actes extérieurs et de nos pensées et sentiments intérieurs. Cet amour de la vérité, règle de notre vie morale, implique principalement trois vertus, dont saint Thomas a esquissé les traits les plus caractéristiques : 1. la simplicité (IP-II 88, q. cix, a. 2, ad 4um ; q. cxi, a. 3, ad 2um), qui est l’habitude d’éviter la ruse dans les paroles, d’éliminer des paroles, des faits et des gestes tout ce qui pourrait tromper les autres. La simplicité se rattache à l’amour de la vérité en ce qu’elle cherche à n’avoir pas double façon de signifier, à ne pas jouer double jeu ; 2. La fidélité (ibid., q. ex, a. 3, ad 5um ; q. lxxxviii, a. 3, ad l um ; voir le commentaire de Cajétan sur q. cxiii, a. 2, n. 4-5), qui consiste à tenir ce qu’on a promis. Comme la vertu de vérité, elle repose, en fin de compte, sur l’honnêteté qui doit régner entre les hommes et, à ce titre, elle est obligatoire et de droit naturel, antérieurement aux obligations légales ou civiles qui peuvent s’y ajouter. Il y a sans doute une différence entre « dire ce qui est ou se montrer tel qu’on est » et « tenir ce qu’on a promis » ; mais, au fond, c’est moralement la même chose ; le souci est identique de s’affirmer tel qu’on est ou d’être tel qu’on s’est affirmé ; 3. Le respect des secrets (ibid., q. lxii, a. 1). Ce respect est un acte de fidélité ; il est de droit naturel et peut devenir de droit positif ou légal, par exemple dans le secret confié ou le secret professionnel. La vertu de fidélité qui fait à l’homme une obligation de se montrer tel qu’il est ou de dire ce qu’il sait, peut aussi lui faire