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VENTURA (JOACHIM) — VERBE

par passage à la limite et par négation », loc. cit. « Si donc, comme le suppose le P. Ventura, un homme était parvenu au développement intellectuel suffisant pour posséder la science des choses qui tombent sous nos sens, et qu’il n’eut jamais cependant entendu prononcer le nom de Dieu, cet homme pourrait certainement s’élever de lui-même à la conception de la divinité, Il donnerait dans sa pensée un titre ou un nom à cet « horloger » et, s’il ne lui donnait pas de titre, il le connaîtrait sans le nommer », ne fût-ce que « sous les traits d’un monarque puissant », représentation anthropomorphique qui lui permettrait ensuite de raisonner sur son Dieu. Vacant, op. cit., p. 337.

3. Quant au rôle actif de la parole et de l’enseignement, qui n’apparaît plus si indispensable dans la formation de nos concepts sur les êtres suprasensibles, c’est à la fois plus et moins qu’une simple image ou fantôme : « elle offre ce caractère particulier qu’elle est significative, et qu’elle ne peut aider l’entendement qu’autant qu’il en comprend dans une certaine mesure la signification. Si cette signification n’est pas comprise, les mots sont de simples sons articulés qui ne disent rien à l’esprit… Les mots n’éveillent donc d’autres idées que celles que l’esprit se forge à lui-méme… Ce ne sont donc pas les mots qui fournissent la matiére des idées » de Dieu, de conscience, de vertu. Ensuite, par contre, leur rôle dépasse celui des images particuliéres des choses, car ils invitent l’esprit à concevoir ou à se rappeler ce qu’ils signifient. Pour Dieu, par exemple, que l’idée en ait existé dans l’esprit avant que le mot fût prononcé, ou que les explications qui accompagnent les mots aménent l’esprit à se former l’idée que le mot exprime, il est manifeste que la parole est un instrument merveilleux : elle vient en aide à l’homme dans presque toutes ses opérations intellectuelles. Mais à vrai dire, « on a plus besoin d’un langage savant pour saisir et mettre en lumiére certains enseignements de la physique ou de la chimie, que pour comprendre les premiers éléments de la théologie ; les mots sont surtout comparables aux fantômes plus complexes formés d’associations élaborées par l’imagination ». Loc. cit.

Voir les encyclopédies de Michaud. Hoefer, etc…, et la préface des éditeurs au vol. Il de La raison catholique, Paris, 1851. Pour la doctrine, cf. A. Vacant, Études sur les constitutions du concile du Vatican.

P. Sejourné.


VERBE. — Le sens grammatical du mot « verbe », λόγος, est varié, même dans l’Écriture sainte. Cf. Hagen, Lexicon biblicum, t. ii, p. 974-977 ; Ε΄ Zorell, Novi Testamenti lexicon grecum, p. 332334, dans le Cursus Scripturae sacrae de Cornély. On étudiera ici ce terme uniquement en tant qu’il est appliqué à la deuxiéme personne de la sainte Trinité.

Mais il est impossible de rédiger cet article sans tomber dans d’inévitables répétitions, le sujet ayant été déjà abordé, soit directement, soit indirectement, dans un certain nombre d’études antérieures. Les articles Fils de Dieu et Trinité ont longuement exposé la théologie du Verbe et de multiples monographies d’écrivains ecclésiastiques en ont marqué les traits saillants au cours des âges.

Dans le Nouveau Testament, le mot « Verbe » ne se lit que chez saint Jean. L’employant sans explication, saint Jean en suppose le sens chrétien connu et compris de ceux à qui il s’adresse. L’historien du dogme doit cependant chercher à déterminer sous quelles influences saint Jean a pu l’employver. On s’efforcera donc ici de donner une synthèse de la pensée johannique sur le Verbe de Dieu avec quelques indications sommaires sur la théologie du Verbe dans la tradition, pour permettre au lecteur de se référer facilement aux autres articles du dictionnaire.
I. Les textes de saint Jean.
II. Origine du Logos johannique.
III. L’enseignement de la tradition.

I. Les textes de Saint Jean.

On trouve le mot « Verbe » λόγος, appliqué au Fils de Dieu, quatre fois dans le prologue du IVe évangile, i, 1, 14 ; deux fois dans la première épître, i, 1 ; v, 7, du moins telle que nous la lisons actuellement (verset des trois témoins), et une fois dans l’Apocalypse, xix, 13.

1o Prologue du IVe évangile.

Le prologue se divise en deux sections :
un préambule sur les relations du Verbe avec Dieu, avec le monde, avec les hommes, ꝟ. 1-6;
l’exposé sommaire de la manifestation du Verbe incarné en ce monde, ꝟ. 6-18.

1. — Le préambule.

a) Le Verbe et Dieu.

Le ꝟ. 1 montre les relations du Verbe avec Dieu sous un triple aspect.

L’antériorité du Verbe par rapport à la création est marquée par les premiers mots, ἐν ἀρχῇ, allusion à Gen., I. 1. Plusieurs Pères, notamment saint Irénée, rapportent le « principe » au Verbe : le mot peut avoir cette signification ; cf. Col., i, 18 ; Apoc., iii, 14 ; mais il est plus exact et plus conforme à la pensée de saint Jean de comprendre simplement que le Verbe existait (ἣν) quand déjà commença le monde. Cf. I Joa., i, 1; ii, 14. Ainsi l’évangile pose l’existence du Verbe d’une façon absolue, avant que rien ait commencé, précisément parce que le Verbe est sans commencement.

Le Verbe est près de Dieu (πρὸς τὸν θεόν), non d’une proximité locale, ni en raison d’une subordination, mais par suite d’une inhérence essentielle qui laisse cependant subsister une distinction. Il convenait d’énoncer tout d’abord la distinction des personnes, pour ne pas laisser croire que θεός était un nom qui convenait à Dieu comme tel. Cf. Lagrange, Évangile selon saint Jean, p. 2.

Enfin le Verbe est Dieu. L’imparfait ἣν est répété trois fois, comme pour montrer que le Verbe est dans une situation immuable. Et, pour inculquer cette vérité, saint Jean affirme en terminant que « le Verbe était Dieu ». Il avait dit auparavant : « Le Verbe était près de Dieu, πρὸς τὸν θεόν »; ici θεός est sans article. Ainsi est prévenue une équivoque : ὁ θεός a valeur de nom personnel, tandis que θεός sans article a valeur d’un nom de nature et signifie que le Verbe a la nature divine. Cf. J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, 4e édit., t. 1, p. 499. Pour appuyer cette affirmation de la divinité du Verbe, saint Jean insiste une dernière fois sur son éternité : « Il était au commencement avec Dieu », ꝟ. 2.

b) Le Verbe et le monde.

L’évangéliste décrit ensuite l’action du Verbe dans le monde : « Tout s’est fait par lui et sans lui rien ne s’est fait de ce qui s’est fait », ꝟ. 3, selon la ponctuation de notre Vulgate. La préposition διὰ indique un intermédiaire. Mais ici l’intermédiaire ne saurait étre concu à la façon d’un instrument : toute la tradition juive savait que le monde avait été créé par la Parole de Dieu. Cf. Gen., i, 3 ; Ps., xxxi (xxxi), 6, 9 ; cxlviii, 5 ; Eccli., xxii, 15 ; xlviii, 26. De même est dévolu à la Sagesse le rôle d’assistante, de conseillère dans la création. Prov., viii, 30 ; Sap., vii, 12. Le Verbe, parole intérieure, concept de l’intelligence, est donc bien celui par qui Dieu a tout créé : « Si quelqu’un entreprend une œuvre, il est nécessaire qu’il la conçoive d’abord dans sa sagesse. Ainsi Dieu ne peut rien faire sinon par la conception que forme son intelligence. Or, c’est là la sagesse divine, éternellement conçue, c’est-à-dire le Verbe de Dieu. » Saint Thomas, in h. l. C’est la même idée qu’exprime saint Paul, I Cor., viii, 6 ; Col. i, 16 ; Heb., i, 2.