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VENGEANCE

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formité avec la raison, c’est louable et c’est le zèle ; mais c’est péché que la désirer en désaccord avec la raison sur un point quelconque : personne, mesure, manière, fin : si la vengeance doit tomber sur un innocent, si elle est excessive, si elle est désordonnée, si elle n’est point voulue pour le maintien de la justice et l’amendement du coupable. » Sum. theol., loc. cit., trad. Folghera, La tempérance, Somme lliéol., édit. de la Revue des jeunes, t. ii, p. 66. Cette vengeance qui, d’une façon ou d’une autre, s’exerce injustement sur autrui constitue, en soi, un péché mortel. S. Thomas, De malo, q.xii, a. 3. C’est, au moins, une faute contre la justice. Mais la colère, qui prétend toujours venger une injustice commise par autrui, se complique fréquemment de haine ou d’envie ; et la haine veut du mal au prochain, uniquement pour lui causer du mal ; l’envie, de son côté, veut du mal au prochain par un sentiment d’amour-propre ou d’orgueil froissé. Sum. theol., II a -II aî, q. clviii, a. 4. En pénétrant dans la vengeance, ces sentiments la rendent plus coupable : péché à la fois contre la justice et contre la charité due au prochain, même aux ennemis. La haine, d’ailleurs, est faute plus grave que l’envie, et l’envie, faute plus grave que la colère. Id., ibid. Il y a donc des différences de degré, sinon de nature, dans l’esprit de vengeance : « Le vindicatif veut châtier, mais il ne veut pas d’autre mal à celui qu’il punit ; au fond, il ne demande pas mieux que de voir l’amendement de celui qu’il estime coupable. Il n’a pas cette volonté arrêtée du mal, ce parti-pris malveillant qui sont le fait du haineux et de l’envieux. » Folghera, op. cit., p. 339. C’est donc chez les gens envieux et surtout haineux que l’esprit de vengeance s’affirme implacable, prend les proportions les plus considérables et devient le plus coupable. Cf. Sum. theol., IIa-IIæ, q. clviii, a. 5, ad 2um ; Ia-IIæ, q. xlvi, a. 8. Il devient facilement cruauté, quand il excède dans la punition, soit en punissant un innocent, soit en infligeant un châtiment disproportionné. Si cette vengeance va jusqu’à faire souffrir uniquement pour le plaisir de voir souffrir, elle devient sauvagerie et bestialité. Sum. theol., II » -II*, q. clxi, a. 1 et 2.

En bref, c’est parce que la vengeance s’écarte des normes de la justice qu’elle devient vice. Et c’est sous l’influence de la colère, commandée par l’envie, l’orgueil, l’ambition, la haine, la cruauté, que s’opère cette déviation. Parfois le vice se pare des dehors de la vertu : la vengeance se couvre du sentiment de l’honneur à défendre, des intérêts de famille à sauvegarder, du patriotisme à exalter. De là, les rivalités entre particuliers, l’esprit de vengeance conduisant les adversaires aux pires injustices dans leurs relations ; les haines de familles se transmettant de génération en génération (la vendetta corse) ; l’hostilité irraisonnée contre les nationaux d’un autre État. Tout cela est fort éloigné de l’esprit du Christ.

Culpabilité. —

Puisqu’il y a des différences de degré et peut-être de nature dans les différentes manifestations de l’esprit de vengeance, on ne peut apprécier la culpabilité de la vengeance qu’en la rapportant aux sentiments qui l’inspirent. Cette culpabilité a déjà été étudiée à propos des vices qui sont à l’origine de la vengeance. Voir Colère, t. iii, col. 359 ; Envie, t. v, col. 132 ; Orgueil, t. xi, col. 1423-1427 ; cf. col. 1430-1431 ; Ambition, 1. 1, col. 941 et, en’ce qui concerne la haine, Charité, t. ii, col. 2262-2265. Quand la vengeance devient sauvagerie et bestialité, elle n’est plus seulement un péché, elle est un crime.


III. La vertu de vengeance.

Saint Thomas a étudié la vengeance comme vertu dans la Secunda Secundse, q. cvm. La vengeance qui a pour objet le I châtiment du pécheur comme tel se présente directement comme une vertu. Est-elle licite ? Est-elle une j vertu spéciale ? Comment doit-elle s’exercer ? Sur qui doit-on l’exercer ? Tels sont les sujets de quatre articles de la Somme.

Licéité de lu vengeance (a. 1). —

L’Ecriture a surtout rappelé que Dieu se réserve le droit de vengeance. Toutefois une autorité humaine peut, en certaines circonstances déterminées, l’exercer légitimement. Si la vengeance était inspirée par l’intention de nuire à celui qu’elle frappe, elle serait de la haine et deviendrait illicite, parce qu’incompatible avec la charité due à tous les hommes. Voir ci-dessus..Mais si celui qui exerce la vengeance a principalement en vue un bien résultant du châtiment infligé au coupable, par exemple son amendement ou du moins sa répression, la paix publique, le maintien de la justice ou l’honneur de Dieu », la vengeance peut être permise, si elle respecte certaines conditions.

Ces conditions peuvent être réduites à deux principales :
1. La vengeance ne peut être exercée que par celui qui a autorité pour le faire. Cette autorité est avant tout l’autorité publique. Parce que son autorité vient de Dieu, « le prince » a le droit de châtier les coupables : « Si tu fais le mal, crains ; car ce n’est pas en vain qu’il [le prince] porte l’épée, étant ministre de Dieu pour tirer vengeance de celui qui fait le mal et le punir. » Rom., xiii, 4. Mais, de son autorité privée, un homme peut aussi parfois tirer vengeance d’une faute ou d’un crime, quand l’amour de Dieu, le bien de la patrie, l’intérêt de la société sont en cause. Cf. S. Thomas, op. cit., q. cviii, a. 1, ad 2um et ad 4um ; Priimmer, Theol. moralis, t. ii, n. 610. —
2. La vengeance doit respecter les bornes de la justice. Un excès de rigueur serait une faute et deviendrait de la cruauté ; un excès d’indulgence compromettrait la sécurité publique : « N’ayant, en fin de compte, à protéger que l’ordre social, l’État n’inflige ses sanctions qu’à titre de moyens efficaces de restitution des victimes en leurs droits et en leurs biens lésés, et de correction, d’intimidation ou de suppression (temporaire ou définitive, selon qu’il s’agit de la prison ou de la peine de mort) des délinquants et des criminels. Il doit donc tenir compte de l’efficacité de ces moyens et n’user des punitions que dans la mesure exacte où elles réalisent les fins qui sont leur raison d’être, où elles servent le bien commun. » Baudin, Cours de philosophie morale, Paris, 1936, p. 493.

La vengeance, vertu spéciale (a. 2). —

Toute vertu présuppose une aptitude naturelle foncière que l’habitude ou toute autre cause transforme en vertu. La vertu nous perfectionne donc en vue d’un développement ordonné de nos inclinations naturelles. Ainsi à toute inclination bien définie correspond une vertu spéciale. Or, nous sommes naturellement portés à repousser les choses nuisibles. L’homme suit ce penchant en repoussant les injures pour ne pas en être atteint ou en punissant celles qui l’ont déjà blessé ; ce faisant, il a l’intention, non de nuire à autrui, mais de se préserver lui-même. C’est là la vertu de vengeance.

Si la vengeance n’était que l’acte de la justice publique châtiant le criminel comme il le mérite, elle serait, à proprement parler, un acte de justice commutative ; elle devient une vertu spéciale qustice vindicative), lorsqu’elle émane d’une personne habilitée par sa situation ou par les faits eux-mêmes à se faire justice. Saint Thomas rapporte la parole de saint Jean Chrysostome (cf. In epist. ad Ephesios, hom. xxii, n. 5, P. G., t. lxii, col. 163-164, accusant d’impiété ceux qui resteraient insensibles devant des injures faites à Dieu, q. cviii, a. 1, ad 2um : « S’il arrive, dit-il. que l’injure faite à une personne atteigne par contrecoup Dieu et l’Église, cette personne doit venger