Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/51

Cette page n’a pas encore été corrigée

1631 TRINITÉ. SAINT HIPPOLYTE 1632

il serait l’auteur d’une profession de foi que saint Hippolyte résume ainsi : « Le Verbe est le Fils même ; il est le Père même ; au nom près, il n’y a qu’un même Esprit indivisible. Le Père n’est pas une chose et le Fils une autre : ils sont une seule et même chose, l’Esprit divin qui remplit tout de haut en bas. L’Esprit, fait chair dans la Vierge, n’est pas autre que le Père, mais une seule et même chose. D’où cette parole de l’Écriture : « Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père « et le Père en moi ? » L’élément visible, l’homme, voilà le Fils ; et l’Esprit qui réside dans le Fils, voilà le Père. Je ne parlerais pas de deux Dieux, le Père et le Fils, mais d’un seul. Car le Père qui s’est reposé dans le Fils, ayant assumé la chair, l’a divinisée en se l’unissant et l’a faite une avec soi, en sorte que les noms de Père et de Fils s’appliquent à un seul et même Dieu. La personnalité de Dieu ne peut se dédoubler ; conséquemment le Père a compati au Fils. » Philosoph., ix, 12, col. 3383.

Saint Hippolyte n’hésite pas à condamner cette formule. C’est qu’il l’interprète en fonction de ses propres idées. En réalité, saint Calliste affirme, comme il le doit, l’unité divine, et lorsqu’il emploie le mot d’Esprit, il le fait, selon un usage que nous avons déjà relevé en lui donnant le sens général d’élément divin. Il ne nie pas que le Fils et le Père sont des personnes différentes ; il dit qu’ils ne sont pas des réalités différentes (allo est un neutre) ; et de même il ne dit pas que c’est le Père qui s’est incarné, mais l’Esprit, c’est-à-dire l’élément divin, ce qui est exact. Sans doute, le travail théologique des siècles suivants aboutira à des formules plus précises. Celle de Calliste ne nous paraît pas soulever d’insurmontables difficultés. Cf. A. d’Alès, La théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906, p. 11-15 ; voir pourtant ici l’art. Hippolyte, t. vi, col. 2507 au bas.

L’opposition des théologiens. Saint Hippolyte, Tertullien, Novatien. —

L’autorité ecclésiastique a pour mission de définir le dogme et de condamner les erreurs. Il ne lui appartient pas, du moins en vertu de ses fonctions, de faire progresser la théologie et de rechercher des explications susceptibles d’éclairer les mystères. Nous venons de voir que les papes, à la fin du IIe et au début du iiie siècle, étaient restes fidèles à leur tâche. Saint Victor avait condamné Théodote ; saint Calliste avait condamné Sabellius. Saint Zéphyrin et saint Calliste avaient d’autre part proclamé leur foi et celle de l’Église à l’unité de Dieu et à la divinité de Jésus-Christ qui est né et qui a souffert. Ils n’avaient rien à faire de plus.

Les théologiens entrèrent d’ailleurs en lice. Saint Hippolyte qui, à Rome, avait pu suivre toutes les étapes de la controverse, Tertullien, qui avait vu Praxéas à l’œuvre en Afrique, étaient admirablement placés pour reprendre l’énoncé du problème. Remarquons cependant qu’il faut tenir compte, dans l’appréciation de leurs témoignages, des coefficients personnels, spécialement importants ici. Saint Hippolyte est un adversaire des papes Zéphyrin et Calliste ; il réunit autour de lui un groupe important de fidèles ; et lorsque, à la mort de saint Zéphyrin, Calliste est élu pour lui succéder, il n’hésite pas à se poser en face de lui comme l’évêque légitime. De son côté, Tertullien est un violent, un emporté : au moment où il rédige l’Adversus Praxean, il est déjà séduit par l’hérésie montaniste dans laquelle il s’enfoncera de plus en plus. Si importants que soient les témoignages de ces deux hommes, ils ne sauraient être reçus comme l’expression de l’enseignement authentique de l’Église.

1. Saint Hippolyte. —

Hippolyte commence naturellement par affirmer le dogme fondamental du christianisme, l’unité de Dieu. Adv. Noet., 3, P. G., t. x, col. 808. Pourtant, cette unité essentielle comporte une économie mystérieuse, puisqu’elle se communique à trois personnes distinctes. Adv. Noet., 3-4, ibid.

Avant tous les temps, Dieu existait seul, mais tout en étant seul, il était multiple, monos on polus en, car il n’était pas sans parole ni sans sagesse. Ado. Noet., 10, col. 817. Dieu engendre d’abord, par sa pensée, le Verbe, non pas un Verbe qui serait une simple émission de voix, mais le Verbe qui est son raisonnement ou sa parole intérieure, et Hippolyte insiste sur le caractère de génération que possède l’acte divin : Theos loyon proton ennoeton apogenna, ou logon os phonen, all’endiatheton tou pantos logismon. Touton monon eks ouk onton engenna. To gar on autos o pater en, eks ou to tou gennethenai aition tois genomenos logos en Philosoph., x, 33, t. xvi c, col. 3447.

Au temps marqué par son libre choix, Dieu produisit son Verbe au dehors. Ainsi le Verbe apparut hors de Dieu, et il y eut ainsi un autre par rapport au Père ; non pas cependant de telle sorte qu’on ait le droit de dire deux dieux, car le Verbe est une lumière produite par une lumière ; il est comme une eau qui sort d’une source, comme un rayon qui s’échappe du soleil. Le Verbe est l’intelligence qui, apparaissant dans le monde, s’est montrée comme Fils de Dieu, Adv. Noet., 11. Ainsi, comme les apologistes antérieurs, saint Hippolyte met la génération du Verbe en rapport intime avec la création : le Verbe est montré, s’avance, pour créer ; en vertu de sa génération il a reçu et porte en lui les idées conçues par l’esprit du Père dont il exécute les desseins. Adv. Noet., 10, t. x, col. 817.

Saint Hippolyte va même plus loin que ses devanciers, car il rattache l’incarnation elle-même à la génération du Verbe. Le Verbe est Fils, puisqu’il est engendré, et on peut lui appliquer le titre de monogenos. Cependant, cette filiation ne devient complète que par l’incarnation qui y ajoute un nouveau titre et qui a été prévue dans les desseins éternels du Père. Si donc Dieu a appelé le Verbe son Fils, c’est par anticipation, en pensant qu’il le deviendrait un jour : Ton logon de uion prosegoreue dia to mellein auton genestai.. « Sans la chair, et considéré à part soi, le Verbe n’est pas Fils complet bien que, monogène, il fût Verbe complet. » Adv. Noet., 15, col. 824 C.

Le Saint-Esprit occupe une place très effacée dans l’enseignement d’Hippolyte et cela se comprend sans peine, puisqu’il n’y avait pas de controverses soulevées à son sujet. Il est cependant mentionné à plusieurs reprises, avec les deux autres personnes divines : t Le Père a tout soumis au Christ en dehors de soi-même et de l’Esprit-Saint ; et ceux-ci sont réellement trois. » Adv. Noet., 8, col. 816. « Nous contemplons le Verbe incarné ; nous pensons le Père par lui ; nous croyons au Fils ; nous adorons le Saint-Esprit. » Adv. Noet., 12, col. 820. Aussi peut-il conclure que le Père est glorifié par la Trinité. Adv. Noet., 14, col. 821 C. L’Esprit-Saint est-il une personne ? Hippolyte semble le nier, car il écrit : « Je ne dirai pas deux dieux, mais un seul, deux personnes (prosopa duo), et en économie comme troisième la grâce du Saint-Esprit : oiksonomia de triten ten karis tou agiou pneumatos » Adv. Noet., 14, col. 821 A. Il n’y a d’ailleurs pas lieu d’insister sur ce point. Pendant longtemps encore, la théologie du Saint-Esprit restera défaillante.

Disons seulement que, dans l’ensemble, saint Hippolyte suit la voie tracée par les apologistes. Peut-être même est-il en recul par rapport à saint Justin, car il semble insister plus que lui sur la subordination du Verbe par rapport au Père, et « à côté de textes qui affirment nettement l’unité de l’essence divine, il en est d’autres qui paraîtraient réduire l’économie divine à une union dynamique morale… Hippolyte ne venge le mystère contre les attaques modalistes qu’aux dépens de l’éternité des processions divines. Si le Verbe existe avant tous les temps, il ne prend possession de sa personnalité comme Fils de Dieu qu’au prix d’une