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VALENCIA. DOCTRINES, PRESCIENCE DIVINE


qu’ainsi disposée elle demeure libre de produire ou non tel ou tel acte. Valencia, au surplus, le redira souvent, ni le savoir divin ni sa valeur ne dépendent en rien de la cause créée. Pour le connaître comme pour l’être, l’aséité commande. De sa plénitude émane, relativement aux futurs libres soit absolus soit conditionnels, la certitude du savoir divin. « Aucune raison, en effet, ne se présente contraignant de refuser à Dieu cette perfection du savoir qui lui donne de connaître avec une certitude infaillible, même s’ils ne doivent pas se produire, ce qu’il en serait, dans tel cas supposé, des futurs libres et contingents. Bien plus, que Dieu possède pareille connaissance, me paraît découler de la perfection infinie de sa science : car, ce que Dieu peut savoir d’une chose, si cette chose existe dans une catégorie du temps, il peut le savoir également si elle n’existe dans aucune. Or, pour un futur libre ou contingent qui doit un jour exister, Dieu peut savoir de science certaine et infaillible ce qu’il adviendra dans tel cas supposé. Donc il peut aussi bien savoir cela s’il doit n’exister jamais… En effet, infiniment parfait, le savoir divin ne dépend point de l’existence actuelle du créé ; il peut, que l’objet soit ou non existant, exister également… La science… divine… étant infinie, ayant en soi et de soi force et perfection, ne peut dépendre d’aucun objet extrinsèque. Mais, ce que l’objet fournit d’ordinaire à l’essence du connaître, elle peut, pour ainsi parler, se le fournir à soimême. » Ibid., col. 322-323.

Tout à fait net et franc, en ce qui regarde la science divine absolument certaine et souveraine des futurs libres même conditionnels, ce texte de 1591 sera maintenu tel quel par Valencia dans son édition de 1603. Il formule une doctrine personnellement conquise et définitive. Dieu, explique ensuite notre théologien, connaît par simple intelligence et vision les futurs libres absolus, par simple intelligence seulement, les futurs libres conditionnels. Il voit, sans rien entreprendre sur la libre détermination de l’agent créé, comment cet agent se déterminera lui-même vel naturaliler vel per auxilium divinse gratise, en toute liberté. Divina præscientia fulurorum idcirco potissimum est certa et infaltibilis quia fertur in fuluras res secundum illud esse actuale, quod sunt ipsse habiturse, et sicut sunt habituræ. Ibid., col. 326. Une obscurité reste à éliminer en ce qui touche à la prescience de simple intelligence des futurs libres conditionnels. Par elle Dieu sait, outre ce qui pourrait librement arriver, ce qui arriverait en effet librement. Il y a là dualité spécifique d’objet intelligible. S’il ne s’impose pas de créer, comme l’a fait Molina, un vocable nouveau, au moins convient-il de distinguer deux sortes de « science de simple intelligence » : l’une de la possibilité, l’autre de la futurition conditionnelle. Mais, au lieu d’interroger ainsi Grégoire de Valencia, posons-nous avec lui une ultime question.

c. Comment s’accorde prescience divine et contingence libre des futurs ? — Relativement aux actes libres qui de fait existeront, la prescience de Dieu est certaine mais non nécessitante. Éternellement présent à tout ce qui fut, est ou sera librement, Dieu le voit tel qu’il fut, est ou sera, comme libre production d’une cause libre. Aux stoïciens et à Cicéron, saint Augustin répondait en ces termes, que reproduit à peu près exactement Valencia : Non ergo propterea nihil est in nostra voluntate quia Deus præscivit quid futurum effet in nostra voluntate. Non enim qui hoc prœscivit, nihil prsescivit. Porro si ille, qui preescivit quid futurum effet in nostra voluntate, non utique nihil, sed aliquid præscivit, profecto et Mo prsesciente est aliquid in nostra voluntate. De civ. Dei, t. V, c. x, n. 15-20, P. L., t. xli, col. 209. Non moins décisives se révèlent les formules concises du Concordia præscientiæ et prædestinationis necnon gratise Dei cum libero arbitrio, que Grégoire emprunte à saint Anselme. Quant à sa propre argumentation, qui expli cite ou même complète à bon escient la doctrine de saint Thomas, elle est originalement nuancée. C’est en soulignant une dernière fois son accord foncier avec ce maître qu’il la conclut. Ibid., col. 337.

Nous avons eu, relisant le P. de la Taille, la curiosité de comparer avec ses réflexions sur diverses classifications de la science divine, parues dans les Recherches de science religieuse de 1923, le commentaire de Valencia sur l’art. 8 de la q. xiv de la I".Recherches, p. 7. De ce commentaire, qu’il estime suggestif et lucide à souhait, le P. de la Taille dit s’être inspiré. L’inspiration se reconnaît, en effet, à plus d’un trait. Comme Valencia commentant saint Thomas, le P. de la Taille rejette de notre conception de la science divine toute tendance à y impliquer indétermination, changement ou progrès. Avec lui, notamment, il veut que l’on attribue « au Créateur une science immuable des conditionnels irréels comme des futurs contingents ». Ibid., p. 13. Par contre, ce n’est point sous l’inspiration de Valencia, mais de son propre mouvement que le P. de la Taille reproche à Molina d’imaginer en Dieu une science des « conditionnels suspensifs, indéterminés par conséquent à l’égard de l’être et du non-être », une connaissance « des futurs libres, provisoirement conditionnels ». Ibid. p. 13. Pareil grief est absent du commentaire de Valencia. Ibid., punct. 8, col. 350-360. Aux termes près, tout au contraire, l’essentiel moliniste de la doctrine du « futurible libre » et de la « science moyenne » se trouve enseignée dans le texte très net et définitif, de lui, que nous avons traduit et reproduit plus haut. Ci-dessus, col. 2475. Mais le futur libre conditionnel dont il s’agit n’a rien de suspensif » ou de « provisoire ». Ceci seulement doit être dit, en fonction de cette théorie : il dépend de l’éternel et souverainement libre décret divin de création que soit un jour réalisé ce qui, sans ce décret, serait seulement possible et futur conditionnel. Aucune suspension, mais cette éternelle dépendance du créé.

Au thème de la science divine se rattache celui des idées. Sur ce thème augustinien de l’exemplarisme, Grégoire de Valencia ne trouve qu’à prendre dans la q. xv de la I a, a. 1-3.

b) Dieu comme volonté : l’ordre des vouloirs. — A propos de la q. xix de la 1% Valencia résume ainsi sa théorie du vouloir sauveur. « D’un seul vouloir, Dieu voulut les mérites de Pierre avec sa persévérance et sa béatitude. Pourtant, parce qu’en ce seul acte il ne voulut la béatitude de Pierre qu’en voulant ses mérites comme cause morale de cette béatitude, et, posé qu’en voulant ainsi ses mérites il voulut ainsi sa béatitude, il est vrai de dire que Dieu prédestina la béatitude à Pierre en raison de ses mérites tenus pour cause morale ; par suite, que, selon notre manière de comprendre et dans cet ordre de causalité morale, il voulut d’abord les mérites de Pierre, puis lui donner la béatitude. Dans l’ordre, dis-je, de la causalité morale et, pour ainsi parler, dispositive ; car, dans l’ordre de la causalité finale, Dieu voulut la béatitude de Pierre puis ses mérites. Bref, selon la loi ordinaire, Dieu n’aurait pas voulu donner à Pierre de mériter et de persévérer s’il n’avait voulu lui accorder la béatitude comme but de ses mérites. Item, poursuit Valencia, unico cl eodem actu vidit Deus peccata Judée, et voluit eum in œternum punire. Nihilominus, quia punire eum non voluisset, nisi vidisscl ejus peccata ; recte dicitur voluisse illum punire propter peccata, tanquam propter causam moralem ac disponenlem ad pœnam ; ac proinde prius juxla nostrum intelligendi modum vidisse illius peccata, quam constituerit ei pœnam. Ibid., q. xix, punct. 5, col. 419. Très caractéristique du valencianisme, tout comme ce que nous avons résumé plus haut sur la science divine, s’avère cette doctrine de l’ordre des vouloirs divins. Sur un fond thomiste bien pur, le>commentateur édifie un ensemble doctrinal délibérément pesé, finement nuancé. Ce cachet original dans la fidélité caractérise, on va le voir, les commentaires de Valencia sur la providence, la prédestination et la réprobation.