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URBAIN II

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l’omnipotence des légats permanents du Saint-Siège. Quelques-uns de ces légats avaient laissé d’assez fâcheux souvenirs, en France, par exemple, Amat d’Oloron ou Hugues de Lyon dont l’intransigeance et la rudesse étaient proverbiales, en Espagne, Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille. Ces légats permanents perdent leurs pouvoirs, sauf en Allemagne, où Gebhard de Constance continue à représenter le Saint-Siège. On revient au régime des légations temporaires. C’est ainsi que le cardinal Renier de Saint-Clément, le futur Pascal II, sera envoyé de Rome en Espagne et dans le midi de la France pour régler diverses affaires. Kncore cette activité des légats temporaires est-elle beaucoup réduite ; en somme on voit se relâcher la surveillance méticuleuse sur les évêques qui avait rendu si impopulaires les légats permanents.

Sur la question brûlante de l’investiture laïque, Urbain II n’urge pas non plus les sévères interdictions portées par Grégoire VIL Quand il constate la bonne foi de celui qui a passé outre aux prohibitions canoniques, il se montre arrangeant et, par l’exercice du droit de dispense, donne des solutions que n’aurait pas imaginées son prédécesseur. La plus heureuse est celle qui concerna Yves de Chartres, élu régulièrement par le clergé et le peuple, mais qui, pour avoir reçu l’investiture royale, s’était vu refuser la consécration épiscopale par l’archevêque de Sens. Urbain II le sacrera lui-même. Il n’est pas jusqu’à des pratiques, plus ou moins entachées de simonie, sur lesquelles on ferme les yeux. Jusqu’en 1094, on ne relève aucune indication de censures ecclésiastiques contre des princes laïques, qui ont plus ou moins trafiqué des choses saintes, ou mis la main sur des biens d’Église. Enfin la Curie se montre aussi moins intransigeante sur la question des rapports entre orthodoxes d’une part, schismatiques et excommuniés de l’autre. Pas davantage n’insiste-t-on sur la nullité des ordinations conférées par les simoniaques, question difficile s’il en fut et qui avait suscité tant de controverses à l’époque précédente.

Cette attitude prudente, on pourrait dire opportuniste, Urbain la prend très consciemment et, pour la justifier, il fait état d’une doctrine dont les canonistes pontificaux commencent de s’aviser, la doctrine de la dispense. En permettant que sur tel ou tel point particulier ne soit pas appliquée la rigueur des canons, le pape manifeste tout autant la plénitude de son droit qu’en urgeant l’application de la loi. Son droit de lier les consciences a comme contre-partie le droit de délier. La bulle du 18 avril 1089, adressée au légat en Allemagne, Gebhard, est particulièrement instructive à ce point de vue. Jafïé, n. 5393. Elle confirme les sentences portées contre l’antipape Clément III, Henri IV, son protecteur, et ceux qui se mettraient à leur service, mais elle permet de recevoir à la pénitence ceux qui auraient « communiqué » avec ces excommuniés. A. Fliche conjecture que cette théorie de la dispense peut avoir été suggérée à Urbain par Rernold de Constance, qui la formule dans son traité De excommunicatis vitandis, de reconcilialione hipsnrumel de fontibus juris ccciesiastici, dans Libelli de lite, t. ii, p. 112-142. Elle sera reprise par Yves de Chartres.

On se tromperait d’ailleurs si l’on voyait dans cette attitude d’Urbain un abandon des principes qui s’étaient exprimés dans les Dictatus papse. Le nouveau pape est tout aussi pénétré que Grégoire VII du sentiment de ses droits souverains. Il s’attribue par exemple le droit de modifier, si de besoin, les circonscriptions ecclésiastiques ; ainsi agit-il dans l’affaire de Cambrai-Arras en 1092-1094, où il soustrait à la juridiction de Cambrai l’Église d’Arras, en dépit des protestations de l’évêque Manassès et du métropolitain

de Reims qui entendait défendre les droits de Cambrai. Comme L’écrit très justement A. Fliche, « cette affaire est vraiment symbolique… en la circonstance. Le Saint-Siège a usé avec une tenace énergie d’une des prérogatives inscrites dans les Dictatus papa ;, celle de scinder les évêchés et de les réunir à son gré ; l’autorité romaine sur les Églises locales reste intacte. Histoire de l’Église, t. viii, p. 222.

L’apogée du pontificat.

Il est marqué par les

grands conciles de Plaisance (mars 1095) et de Clermont (novembre de la même année). C’est à ce moment surtout que se remarque le retour non plus seulement aux idées mais aux méthodes grégoriennes.

Ce retour avait été préparé dans les années qui précédèrent. Et d’abord par les faveurs accordées à certains groupements monastiques dont le pape voulait faire les auxiliaires de la réforme. Plus que jamais Cluny, où s’est jadis formée la conscience et la mentalité du pape, devient dans la chrétienté occidentale la grande puissance. Cf. Jafîé, Regesta, n. 5372, bulle du 1 er novembre 1088 à l’abbé Hugues, confirmant et amplifiant ses privilèges, lui subordonnant un certain nombre de monastères récemment réformés. L’exemption de la juridiction épiscopale sera accordée à d’autres abbayes, ainsi à Saint-Victor de Marseille, dont les religieux sont « sous la protection et l’immunité romaines et sous la juridiction du seul pontife romain ». Jaffé, n. 5392 (20 février 1089). Cette exemption amène le rattachement direct à Rome d’un nombre croissant de monastères. En même temps que l’on assure ainsi à la Curie des ressources matérielles qui ne sont pas négligeables, on prive les évêques simoniaques de revenus importants. Et c’est déjà travailler pour la cause de la réforme. Mais il y a mieux, on vise à se faire de ces moines des auxiliaires dans l’œuvre même de la rééducation chrétienne, en confiant à certains d’entre eux la cura animarum. Ceci ne se réalisera définitivement que vers la fin du pontificat. En attendant on cherche à étendre le plus possible l’institution déjà ancienne des chanoines réguliers qui reprend vigueur surtout en France. Voir des précisions dans A. Fliche, op. cit., p. 228, note 4.

De même qu’au temps de Grégoire VII, les canonistes, disons mieux les publicistes pontificaux, contribuent par leurs ouvrages à créer l’atmosphère où peut s’épanouir la réforme ecclésiastique. Aussi bien était-il indispensable d’opposer des répliques à toute une littérature favorable au schisme de Guibert. Au temps du pape Victor III s’était répandu le Liber ad Heinricum du trop fameux Benzon d’Albe, œuvre truculente, moitié vers, moitié prose, où l’auteur attribuait à l’empereur la plénitude du pouvoir judiciaire et législatif sur tous, clercs ou laïques, et voyait dans le souverain la source même des prérogatives pontificales. Une critique véhémente de Grégoire Vif servait de fond à ces théories aventurées. Édition dans Mon. Germ. hist., Scriptores, t. xi, p. 591-681. C’était aussi une soi-disant histoire du grand pape, qu’avait prétendu écrire le cardinal Benon, déserteur du camp grégorien en 1084 dans ses Gesta Romanæ Ecclesiæ contra Hildebrandum ; en réalité, c’était une accusation fort partiale des actes de Grégoire. Texte dans Libelli de lite, t. ii, p. 369-373. Sous une forme qui visait davantage à l’objectivité, Guy de Ferrare, dans son De scismate Hildebrandi, avait étudié l’élection d’FIildebrand, dont il enseignait la nullité ; il prenait parti pour Clément III, en même temps qu’il proposait, pour résoudre la question de l’investiture, un compromis entre les deux doctrines extrêmes. Texte dans Libelli de lite, t. i, p. 529-507.

A cette littérature de combat les partisans de la monarchie pontificale s’efforçaient d’en opposer une autre. Aux dernières années de Grégoire VII avaient