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UNIGENITUS LITTÉRATURE AUTOUR DE LA RULLE
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contingemment et peut absolument ne pas arriver, parce que telle est la nature de cette faculté, quoique conditionnellement et supposé que Dieu le veuille, cela ne se puisse autrement. » Voilà la doctrine commune de l’École. Ainsi la grâce de Jésus-Christ est toujours victorieuse, « elle fléchit invinciblement les cœurs les plus obstinés et les fait voulants de non voulants qu’ils étaient auparavant, volentes de nolenlibus, comme parle perpétuellement saint Augustin et tous les autres saints docteurs de la grâce » (§ 6). La grâce de Jésus-Christ donne toujours l’effet, cela veut dire « son caractère particulier, sa propriété spécifique, sa différence essentielle d’avec la grâce d’Adam », laquelle ne donne que le pouvoir de persévérer dans le bien, et n’en donne pas l’action (§ 7). L’Instruction pastorale de 1696 à laquelle Bossuet avait collaboré, atténuant la pensée de Quesnel, expose la doctrine de saint Thomas. La toute-puissance de la grâce efficace ne détruit pas la liberté humaine. « Dieu tire l’âme après lui, mais c’est en faisant qu’elle suive cet attrait avec toute la liberté de son choix… La puissance de la grâce ne détruit pas la liberté et la liberté de l’homme n’affaiblit pas la puissance de Dieu… Dieu qui a fait l’homme libre, le fait agir librement et le met en état de choisir ce qu’il lui plaît. Quelque pouvoir que nous sentions en nous de refuser notre consentement à la grâce, même la plus efficace, la foi nous apprend que Dieu est tout-puissant et qu’ainsi il peut faire ce qu’il veut de notre volonté et par notre volonté ». Suit un beau passage de saint Bernard : « La grâce excite la volonté, en lui inspirant de bonnes pensées ; elle la guérit en changeant ses affections ; elle la fortifie en la portant aux bonnes actions, et la volonté consent et coopère à la grâce, en suivant ses mouvements. Ainsi, ce qui d’abord a été commencé dans la volonté par la grâce seule, se continue et s’accomplit conjointement par la grâce et par la volonté, mais en telle sorte que tout se faisant dans la volonté et par la volonté, tout vient cependant de la grâce, lotum quidem hoc et tolum Ma, sed ut tolum in Mo, sic tolum ex Ma. »

2° Commandements de Dieu. - Au sujet de l’observation des commandements tic Dieu par les justes, Quesnel, d’après Bossuet, n’aurait fait que développer les textes du concile de Trente : Dieu ne commande pas de choses impossibles, mais, en commandant, il avertit de faire ce qu’on peut, et de demander ce que l’on ne peut pas, et il aide afin que l’on puisse. Il ne commande rien qui ne soit possible, mais il avertit le fidèle qu’il y a des choses même commandées que souvent il ne peut pas faire, afin qu’il apprenne à recourir sans cesse à la prière, par laquelle seule il peut obtenir ce pouvoir. C’est pour exciter a la prière que l’auteur des Réflexions écrit » qu’il y a des (luises même commandées qu’on ne peut pas en certains moments. Cette impuissance vient de ce qu’on ne veut pas assez, fortement, de ce qu’on est trop faible, de ce qu’on n’a pas de courage et de volonté. C’est pourquoi il ne faut pas se fier à la bonne Volonté, quand on est faible. C’est donc, par le défaut de notre volonté et non point des secours absolument nécessaires pour pouvoir exiler tous les péchés, quc lis |ilus justes pèchent quelquefois. Dieu accorde à tous les justes les grâces nécessaires pour ne pas pé( her, mais il sait par sa prescience que fous les hommes

rendront ces grâces inefficaces, faute d’employer, comme ils le pourraient, toutes les forces (le leur volonté. Ce qui ne manque que par le défaut de la volonté est attribué par le concile de Trente à une

espèce d’impuissance : neminem poste, in Iota vita, peccala etiam venialia vitare. Cependant on n’est pas excusable, parce qu’on pourrait, si on voulait avec

force, On peut tout, par la grâce, qui donni le simple

pouvoir, sans donner la volonté actuelle, et, en même temps, on ne le peut pas, parce que, pour pouvoir, en un certain sens, une chose si difficile, il faut le vouloir assez fortement pour vaincre tous les obstacles qu’une volonté faible et qui ne déploierait pas toutes ses forces, ne surmonterait pas. » Il faut vouloir puissamment pour pouvoir efficacement. Ainsi on peut et on ne peut pas. On peut, puisqu’on a la grâce qui donne plein pouvoir dans le genre de pouvoir ; on ne peut pas, puisqu’on doit attendre une autre grâce qui tire, qui donne de croire actuellement, enfin qui inspire le vouloir où saint Augustin a mis une sorte de pouvoir, sans lequel très certainement on n’obtient pas le salut, parce qu’on ne le veut pas assez fortement. Non potest, nisi adjutum (liberum arbilrium). Nul ne peut venir à moi, si Dieu ne le tire, en le faisant vouloir ce qu’il ne voulait pas. »

Ainsi, sans la grâce, on ne peut rien en un certain sens, par le défaut du pouvoir qui est attaché au vouloir même, de même qu’on ne peut venir à Jésus-Christ sans la grâce qui nous y tire et qui nous donne actuellement de venir à lui. C’est ainsi que le concile de Trente n’a pas voulu définir que Dieu n’abandonne personne à lui-même et à sa propre faiblesse, mais .qu’il n’abandonne personne, si on ne l’abandonne le premier… La grâce ne manque pas aux justes, il ne leur manque que la volonté, qui ne leur manque que par leur faute. Quesnel aurait pu ici reconnaître expressément la grâce suffisante, au sens des thomistes, mais il n’a pas voulu employer un terme d’école, dans un ouvrage de piété.

C’est atténuer fortement la portée des textes de Quesnel que de les interpréter ainsi, dans le sens thomiste, et la bulle Unigenitus, qui a condamné les propositions de Quesnel, n’a pas adopté l’interprétation favorable de Bossuet, après avoir constaté que Baius et Jansénius avaient abusé nettement des mêmes expressions ambiguës.

II. LES « RÈGLES DE L’ÉQUITÉ » l’AH NICOLAS PETIT-PIED. — Le plaidoyer de Bossuet en faveur du livre des Réflexions morales a été repris après la condamnation définitive du livre. Un janséniste célèbre, Nicolas Petitpied, dans un écrit intitulé : Les règles de l’équité naturelle et du bon sens pour l’examen de la constitution du X septembre 1713 et des propositions qui g sont condamnées, comme extraites du livre des Réflexions morales, demande qu’on applique au livre de Quesnel les mêmes règles qu’un jésuite, le 1*. Lallemand a mises en tête de ses Réflexions morales avec des Notes sur le Nouveau Testament, et il essaie de montrer que l’application de ces règles de bon sens justifierait les propositions condamnées par la bulle.

1° Dans un ouvrage de piété, on se propose d’édifier les fidèles, et non point de leur apprendre à disputer. L’auteur ne fait pas de dissertations Ihéologiques, mais (les réflexions morales, pour exciter chez ses lecteurs des sentiments de piété. On ne doit donc pas s’occuper de questions d’école, et on n’a pas le droit d’exiger une précision rigoureuse, comme on le pourrait dans un livre de théologie, (.elle première remarque suffit pour justifier plus du tiers des propositions condamnées par la bulle, en particulier les propositions qui concernent l’Église, OÙ Quesnel ne parle que de ce qui est de foi et n’aborde pas les questions controversées, par exemple, si les pécheurs sont de l’Église ou seulement dans l’Église.

2° On ne doit pas chicaner sur les expressions cm ployées dans un livre de piété ; il faut lire simplement, bonnement, avec bienveillance, ne pas prendre en mal Ce qui peut être pris en bien, nu ce qui n’es ! mal que si on l’entend dans l’extrême rigueur des termes, cl sans tenir compte du reste du livre et des passages

qui corrigent ce qui pourrait n’être pas rigoureuse-