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UBIQUISME. LUTHER


part. VIII, c. x, P. L., t. clxxvi, col. 469. Ce problème de la fraction de l’hostie, relativement à la présence du Christ dans les fragments, a donné lieu, au xiie siècle, à diverses solutions, les unes outrancières et fausses, voir Eucharistie, col. 1275, d’autres (Roland Bandinelli moins clairement et Pierre Lombard plus nettement), s’arrêtant à une doctrine solide, que les grands théologiens du xiiie siècle mettront en relief : fractio et parlitio… fît non in substantia sed in sacramento, id est in specie. Le Christ est présent dans l’eucharistie per modum substantise ; donc la fraction — et conséquemment la multilocation — ne peut concerner que les espèces sacramentelles qui gardent leur relation avec l’espace ; le Christ luimême n’est pas multiplié ; sa présence seule est multipliée en raison de la multilocation des espèces sacrées. Mais, au xiie siècle, nos auteurs, pour la plupart, ne sont pas encore arrivés à cette solution métaphysique. Pour Honorius Augustodunensis, la foi ne permet pas de douter d’un fait que la raison est impuissante à expliquer. L’auteur du Brevis tractatus de sacramento allaris invoque, sans le préciser, un mode d’existence consécutif à l’intervention de la puissance divine. C’est aussi la réponse de Robert Pulleyn, d’Hugues de Rouen et d’autres. Voir Eucharistie, col. 1272-1273. Tous admettent que le corps du Christ échappe aux lois de l’espace, mais hésitent sur les raisons à en fournir. Voir, en particulier, Pierre de Poitiers concluant, pour le Christ, à un état très spécial de localisation, sicut habuit singularem statum bealitudinis, ita etiam singularem modum localilatis. Sent., t. V, c. xii ; cf. c. xiii, P. L., t. ccxi, col. 1251 A ; 1254 B. Cet état de localisation ne peut s’expliquer que par le miracle.

Un seul auteur de cette époque, Folmar de Triefenstein, a pu être invoqué nettement comme précurseur de l’ubiquisme eucharistique. Cf. Hunzinger, art. Ubiquitât, dans Protestant. Realencyclopâdie, Leipzig, t. xx, 1908, p. 183. C’est sur un texte d’un de ses adversaires, Arno de Reichenberg († 1175) qu’on l’accuse d’ubiquisme : Non quod doceamus sicut Follis ille amarus nobis imponit, corpus Christi quod sumimus non aliter in tam multis locis simul esse posse, nisi Christus corporaliler sil ubique, sed quod virtutem specialem in corpore Christi essendi ubi ipse voluerit prœdicamus. Et htec quidem facilitas in eodem corpore Christi etiam adhuc mortali erat, sed donec tempus dispensatoriæ obœdientise transiret, exercenda non erat. Apotogeticus contra Folmarum, éd. Weichert, Leipzig, 1888, p. 162. La dernière partie du texte montre que l’accusation d’ubiquisme pourrait se retourner contre les adversaires de Folmar (voir également la suite, p. 164) : la vertu spéciale propre au corps glorifié du Christ et lui permettant d'être présent là où il veut, constitue précisément une des échappatoires de l’ubiquisme. Voir plus loin, col. 000.

4. Deux siècles plus tard, on retrouve chez Occam, une explication bien voisine de l’ubiquisme luthérien. Les grands théologiens du xiir » siècle avaient distingué la substance de la quantité et, en s’aiguillant dans la voie qu’on a rappelée tout à l’heure, avaient pu résoudre — sans contradiction, quoi qu’en pense Hunzinger, loc. cit. — les difficultés inhérentes aux multiples présences du Christ dans l’eucharistie. Ils affirment que le Christ n’y est pas localiter et « par ses propres dimensions, puisqu’il s’y trouve per modum substantise, quoiqu’il y soit réellement et t avec » ses dimensions. Le nominnlisme outrancier d’Occam entreprit de résoudre différemment la difficulté. Pour lui, la quantité n’est pas réellement distincte de la substance, voir ici Eucharistiques (Accidents), t. v, col. 1394 ; elle fait seulement que la substance devient res quanta. Mais elle peut croître

ou diminuer au point que la res quanta se réduise à un point mathématique, tout en contenant l’intégralité de la substance. C’est ainsi que le corps du Christ est présent dans l’hostie et dans chaque parcelle de l’hostie non plus circumscriptive, mais définitive, pour ainsi dire à la manière des esprits. (Cette doctrine se retrouvera plus tard chez nombre de théologiens des xvie et xvii c siècles ; voir Transsubstantiation, col. 1400. Évidemment, c’est par la puissance divine seule qu’une présence de ce genre peut être réalisée ; mais si l’esse définitive des esprits peut être ainsi conféré au Christ avec la multiprésence, rien n’empêche de concevoir la possibilité d’un esse repletive propre à la divinité et communiqué par la puissance divine à la chair eucharistiée du Sauveur : quia potest esse in divinis locis simul immo ubique per potentiam divinam, non virtute propria. In /V uln Sent, t. IV, q. iv ; cf. Quodlibet, i, 4, de sacramento allaris, 6. Voir ici Eucharistie, col. 1312. C’est ainsi que Steitz a pu logiquement présenter la possibilité de l’ubiquité du corps eucharistie du Christ comme une thèse spécifiquement occamienne. Protest. Realencyclopâdie 2e éd., art. Transsubslanlialio und Ubiquitdt, p. 355 sq. Cf. Rettberg, Occam und Luther, dans Theologische Studien und Kritiken, t. i, 1839, p. 81 sq. ; Hunzinger, Realencycl… (3e éd.), art. Ubiquitât, p. 184 ; R. Seeberg, ibid., art. Occam, p. 189 et ici Occam, t. xi, col. 894. La doctrine d’Occam peut être résumée en quatre points : 1. Le réel esse repletive propre à la divinité ; 2. la présence unilocale du corps du Christ dans le ciel ; 3. la multiprésence du corps du Christ dans l’eucharistie sans extension locale par une sorte de condensation en un point mathématique ; 4. la possibilité de l’ubiquité communiquée à la chair du Christ par la toute-puissance divine. G. Biel qui admet, à la suite d’Occam, la réduction ad punclum, Expositio in can. missse, lect. xlhi, ne suit pas son maître jusqu'à la possibilité de l’ubiquité. Gerson combat formellement cette dernière hypothèse.

5. Luther s’est peut-être inspiré d’Occam ; mais à coup sûr il a connu la formule de Lefèvre d'Étaples sur l’ubiquisme, formule énoncée d’ailleurs sans préoccupation eucharistique. On a lu les textes de Lefèvre à Hypostatique (Union), col. 543. Dans ses Vindicire bellarminianæ, le P. Erbermann fait observer que l’assertion de Lefèvre d'Étaples fut censurée par la Sorbonne le 15 février 1526. Dans Bellarmin, Controv., De Christo, t. III, c. i, vindiciæ, n. 2. (La censure ne se trouve pas indiquée dans la Collectio… de Duplessis d’Argentré ; elle est relatée par L. Fourier, Testifîcatio orbis contra Chrisfi ubiquilatem, Paris, 1658.)

Origine immédiate.

1. Luther et l’explication

de la consubslantiation. — Si, dès le début (15161518), Luther s’insurgea contre l’opus operatum catholique, c’est peu à peu seulement que sa pensée sur l’eucharistie a revêtu une forme définitive. En 1519, dans le sermon Vom hochwiirdigen Sakrament (éd. de Weimar, t. ii, p. 738 sq.), il se sert encore du terme de transsubstantiation. Sa lettre aux chrétiens de Strasbourg (15 décembre 1524) pourrait laisser supposer qu’il fut un instant tenté de se ranger du côté de l’interprétation symbolique ; mais à mesure que l’idée purement sacramentaire s’affirme chez les autres réformateurs, Luther prend nettement position et ce sera tout d’abord en face de Carlostadt. Voir Eucharistie, col. 1341-1342. Il s'élève avec véhémence rontre ceux qui enseignent es sei im Sakrament des Altars schlrchl und eitel lirod und Wein. Cf. Vom Anbclen des Snkranr. (1523), éd. cit., t. xi, p. 434. Il s’agit, non plus de transsubstantiation, mais de ronsiihstniitiation : la substance du corps du Christ s’ajoutant à la substance du pain dans l’eucharistie,