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2005 TYRANNICIDE. APERÇU HISTORIQUE, CONTEMPORAINS 2006

n’est pas permis à un simple citoyen de porteiÇ la main sur le tyran de régime. Billuart se fait ensuite le rapporteur de la théorie suivant laquelle la nation, ayant réuni ses comices, peut décider la déposition ou même la mise à mort d’un tyran « trop insolent », lorsqu’il n’y a plus aucun autre remède possible : de l’avis de ces auteurs, rex habet a republica auctoritatem regiam, non in destructionem, sed in œdificaiionem et conservationem, per quam proinde potest lolli si in apertam perniciem vergat. Mais, note Billuart, « souvent, de cette manière de faire résultent des maux pires que la tyrannie elle-même… ». C’est pourquoi la dernière conclusion de notre auteur sera : « Mieux vaut supporter l’oppression et recourir à Dieu. » Summa sancti Thomæ, dissert. X, a. 2, Paris, 1877, t. iv, p. 212 sq.

Le nom le plus marquant de la théologie morale au xviii c siècle est incontestablement celui de saint Alphonse de Liguori (1696-1787). Ce Docteur, qui traite la question du tyrannicide de façon assez ample dans son Homo apostolicus, tract. VIII, c. ii, n. 13, inaugure dans son enseignement la réaction contre la doctrine scolastique, réaction qu’avait déjà entamée Bossuet. Certes, les exemples concrets de tyrannie ne manquaient pas de son temps, ne fût-ce que chez les rois de Naples. Mais peut-être notre auteur fut-il encore plus impressionné par les théories révolutionnaires qui s’élaboraient un peu partout et devaient aboutir, comme en France, à des explosions tragiques. Entre les déficiences qu’il constatait dans les gouvernants contemporains et les dangers que les séditions faisaient courir à l’ordre social, il a jugé que le second mal était le pire. Il écrit : Si subdili de titulo aut possessione principis judicium ferre possint, nunquam deesset iis, qui pravo animo affecti sunt, prsetextum invenire ad se conciiandos adversus principem. Homo apost., t. I, Paris, 1832, p. 277.

C’est dans cette perspective qu’il va résoudre la question du tyrannicide. Il n’ignore rien des doctrines antérieures, tant à propos du tyran d’usurpation qu’à propos du tyran de gouvernement. Quant à lui, il prend nettement position : Sed nos dicimus prioalis hominibus semper esse illicitum interficere tyrannum tam primée quam secundæ speciei. Op. cit., t. i, p. 277. Une affirmation aussi universelle (semper), prise isolément peut sembler trop absolue. Cependant, en lisant les explications qu’il donne, on s’aperçoit que le tyrannus in titulo (usurpateur) qu’il envisage n’est pas l’intrus « en acte d’usurpation », mais celui qui, à la suite d’un coup de force Inique, a été accepté par la nation et est devenu le gouvernement de fait, Vactualis dominalor. En réclamant pour lui l’obéissance, l’auteur ne s’écarte pas de l’enseignement de saint Thomas, à l’autorité duquel il fait appel. Mais il faut voir le motif qu’invoque le saint Docteur : Subdilorum est obedire, non judicare de principe, qui Deo solummodo subjacet circa res sui dominii, nec ab alia terrena potestate dependet. Ces mots indiquent assez toute la distance qui sépare saint Alphonse de Suarez et des scolastiqucs au sujet de l’origine et de l’attribution du pouvoir : alors que ces derniers professent des théories démocratiques, notre auteur se rapproche des partisans « lu droit divin des rois.

On comprend dès lors que le saint Docteur qualifie d’improbabilis, fatsa, jalsissima l’opinion de ceux qui admettent la licéité du meurtre du tyran in titulo et qu’il fasse un reproche a l’espagnol Jean Azor, S..1. († 1603) de ne la qualifier que de dubia, car, dit-il, le prince, tout comme un particulier, ne peut être dépouillé de ce qu’il possède sans avoir été entendu et jugé ; or les sujets n’ont aucun droit de porter une sentence contre leur Ktçnvir actuel ». Cette dernière phrase montre une lois de plus qui Saint Alphonse

n’entendait pas le tyran in titulo dans le même sens que les^théologiens antérieurs : ceux-ci voyaient en lui un usurpateur encore en acte, tandis que notre Docteur le considérait déjà comme un « seigneur actuel », un souverain de fait. Rien d’étonnant que la solution donnée de part et d’autre soit différente ; mais l’opposition en réalité existe à peine.

En revanche, l’opposition avec la doctrine de Gerson et de Suarez est nette à propos du tyran de gouvernement. S’il n’est pas permis aux sujets de tuer un tyran in titulo, même s’il a occupé le trône sans aucun droit et continue à l’occuper injustement, combien à plus forte raison sera-t-il défendu de chercher à donner la mort à un prince qualifié de tyran de régime, qui possède le royaume avec un juste titre. » Ibid., p. 279. Jean Gerson avait essayé de légitimer son point de vue en disant que « la nation constitue le tout du royaume, le prince n’en est qu’une partie ; c’est pourquoi l’autorité suprême réside dans la nation ». Principium non tantum falsum, sed perniciosissimum, écrit le saint Docteur, nom hoc modo duo essent in regno supremæ potesiates, unde enormissima evenirent schismata, regnique desolatio. Dans cette ambiance d’idées, on n’est pas surpris de voir saint Alphonse se montrer favorable à l’opinion de Dominique Soto, De just. et jure, t. V, q. i, a. 8, qui interdisait à un sujet de basse condition de défendre sa vie contre un roi ou prince agresseur, dont l’existence est utile à l’État : car, dit-il, « ce qui vaut pour la vie des particuliers ne vaut pas pour la vie des rois ». Le roi est l’oint du Seigneur, sa personne est sacrée, sa vie est précieuse, trop nécessaire à la paix des peuples et à la conservation du bien commun. Homo apost., t. i, p. 281.

Saint Alphonse n’a pas traité explicitement le cas du tyTan en acte d’usurpation. Mais, vu ses conceptions sur l’origine du pouvoir et les représentants de l’autorité, il est probable qu’il eût répondu négativement à la question de la licéité du tyrannicide en cette occurrence. C’est dans ce sens d’ailleurs que ses disciples et ceux qui se disent les héritiers de sa doctrine, ont interprété sa pensée.

A l’heure où saint Alphonse écrivait son ouvrage, un vent de libéralisme et de scepticisme commençait à souiller sur l’Europe. Les ministres philosophes des différentes cours soutenaient les idées nouvelles, répandues principalement en France par d’Alembert et Diderot.

Le fameux dictionnaire, connu sous le nom d’Encyclopédie, et qui fut achevé en 1772 après maintes interruptions et interdictions, parle ainsi du tyran et du tyrannicide : Il faut distinguer entre l’abus extrême de la souveraineté qui tend à la ruine des sujets et l’abus médiocre, tel qu’on peut l’attribuer à la faiblesse humaine »… Dans le premier cas, c les peuples ont tout droit de reprendre la souveraineté qu’ils ont confiée à leurs conducteurs et dont ils abusent excessivement ». Dans le deuxième cas, il est du devoir des peuples de souffrir quelque chose, plutôt que de s’élever par la force contre leur souverain ». Mais si la tyrannie est extrême, « les peuples ont le droit d’arracher au tyran le dépôt sacré de la souveraineté…, de marcher, pour ainsi dire, enseignes déployées, à l’assaut de la tyrannie ». Cf. t. xxxiv, Genève, 1777, p. 490-492. Quelques années auparavant avait para un ouvrage curieux intitulé Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des EaropétM dans les deux Indes, l n éd. en 1770 ; éd. corrigée en 1780, Genève, 5 vol. L’auteur en était l’cx-abbé Guillaume Raynal, qui avait ! exercé le ministère paroissial à Paris, après un essai infructueux chez les jésuites. La Sorbonne condamna, I le l or août 1781, huit propositions extraite* de l’ou-