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TYRANNICIDE. APERÇU HISTORIQUE, LA RENAISSANCE

tance eut à s’occuper d’un dominicain polonais, Jean de Falkenberg, qui, mêlé aux différends de l’Ordre teutonique avec le roi Ladislas, avait écrit un pamphlet contre ce dernier, dans lequel il promettait la vie éternelle à qui tuerait le souverain et tous ses sujets. L’affaire fut portée au concile par l’archevêque de Gnesen, qui avait eu connaissance du factum. La réprobation fut unanime. Mais, après l’élection de Martin V, lorsque le cas fut traité en congrégation générale, le pape déclara s’en tenir simplement à la condamnation portée à la xve session contre le tyrannicide. Cf. Hefele-Leclercq, op. cit., t. vii a, p. 505 sq.

Au xive siècle, le jurisconsulte italien Bartole (1313-1356) avait écrit son livre De tyranno, dans lequel il ne soulève pas explicitement la question du tyrannicide ; mais il distingue, parmi les actes du tyran, ceux qui sont légitimes et gardent leur valeur même après la chute du prince ; ce sont ceux qui sont faits per modum contractus : les pactes et contrats. Quant aux actes politiques accomplis per modum jurisconditionis, c’est-à-dire pour fonder un droit arbitraire, ils sont de nulle valeur. Cette distinction fera fortune chez les doctrinaires de la révolution aux siècles suivants.

La Renaissance et le protestantisme. — Au xvie siècle, sur cette même terre d’Italie, apparaît un écrivain aussi illustre que néfaste, Nicolas Machiavel. Secouant tout frein de la morale et de la religion, il ne voit dans la politique que l’art de vaincre et de régner par la force et la ruse. Bien qu’il n’ignore pas la distinction du bien et du mal, du juste et de l’injuste, il place au-dessus de tout la raison d’État, le succès et l’intérêt de la cité. Sans ériger le crime en norme, il le déclare légitime dès lors qu’il est utile ou avantageux ; la violence et la perfidie sont les armes politiques qu’il propose aux citoyens comme aux rois. Rien d’étonnant que Machiavel, dans ses ouvrages comme le De principe, le De Titi Liviiorationibus, traite ouvertement de la conspiration. Mais c’est moins pour légitimer théoriquement la chose que pour suggérer les moyens de la faire réussir : il indique avec précision les méthodes les meilleures pour se débarrasser d’un tyran ; il attire même l’attention sur les dangers qu’il y aurait à laisser subsister quelque rejeton de la famille du prince déchu, qui soit capable de le venger. De Titi Livii orat., l. III, c. vii. Ruse, violence, meurtre, appel à l’étranger, tout est bon, pourvu que les conjurés arrivent à leur fin. Le succès de ces théories fut considérable, non seulement auprès des despotes italiens, les Sforza, les Borghèse ou les Médicis, mais encore à la cour de France.

Parmi les hommes de la Renaissance, on ne trouve ni théoricien ni apologiste du tyrannicide. Dans ses Adages, Érasme (voir ce mot, t. v, col. 388), s’élève avec vigueur contre les misères de son temps, dont il rend responsable la méchanceté des rois ; mais il ne dépasse pas le stade de la plainte et de l’accusation. Cf. Adagiorum chiliades quatuor, chiliade III, centurie vii, n. 1. — De même, Étienne La Boétie, admirateur passionné de l’antiquité, élève des protestations indignées contre les tyrans et la tyrannie et plaide la cause des opprimés. Dans son ouvrage De servitute spontanea, qui ne fut pas publié de son vivant, il ne loue pas le tyrannicide, mais ne blâme pas les auteurs de l’antiquité qui l’exaltent. Personnellement, il réprouve la sédition et préfère remettre au jugement de Dieu dans l’au-delà le juste châtiment des tyrans. L’édition de son ouvrage par les calvinistes, après la Saint-Barthélémy, en un opuscule intitulé Mémoire de l’Estat de France sous Charles IX, charge d’invectives le pouvoir royal, mais ne représente pas la vraie pensée de l’auteur. — Quant à Montaigne, son ami, il professe un tel respect pour les institutions politiques du pays, qu’il ne peut qu’avoir en horreur la révolte et le tyrannicide.

Pas de place non plus pour les doctrines politiques subversives chez les premiers protagonistes de la Réforme. Si Luther tire le glaive, c’est contre le pape, non contre l’empereur. Il reconnaît qu’il n’appartient pas à un simple particulier de mettre à mort un tyran, en vertu du précepte divin : Non occides. Calvin fait preuve de la même modération : pour propager le nouvel évangile, il croit davantage à la vertu du martyre et à celle de la prédestination, qu’aux exploits des soldats en armes. Il n’en fut pas de même chez tous les adeptes de la religion réformée. La passion partisane autant que le zèle religieux excitèrent certains d’entre eux à l’opposition, puis à la guerre ouverte contre les représentants catholiques du pouvoir. Des chefs, comme Condé ou Henri de Navarre, tirèrent le glaive pour la cause de Dieu. A l’esprit de douceur de l’Évangile, ils préférèrent les leçons de force données par Aod, Jahel, Judith ou Jéhu. Quand François de Guise fut assassiné, les réformés applaudirent, comparant l’assassin à Brutus ou à David vainqueur de Goliath, et promettant au meurtrier la récompense éternelle.

Pendant que le glaive frappe, la plume ne demeure pas oisive : une foule de pamphlets, le plus souvent anonymes, paraissent pour exciter les esprits à la révolte et pousser les hésitants à prendre les armes. Citons, à titre d’échantillon, un passage d’un opuscule ayant pour titre : Le réveille-matin des Français et de leurs voisins, composé par Eusèbe Philadelphe, cosmopolite, en forme de dialogue (1574). L’auteur véritable est inconnu ; peut-être est-ce une œuvre collective dans le genre de la Satyre Ménippée'. Dans cet ouvrage, dédié à Élisabeth d’Angleterre, le tyrannicide est loué et présenté comme un droit : « C’est de tous les actes le plus illustre, le plus magnanime, étant, comme très bien le montre Cicéron, un tel acte, quand bien il sera exécuté par un familier du tyran, tout plein d’honnêteté et de bienséance, conjointe avec le salut et l’utilité publique. » Cf. Douarche, De tyrannicidio, p. 60. D’autres textes ont été réunis par Janssen, L’Allemagne et la Réforme, t. v, p. 584 sq.

Plus modéré de ton et plus juste est l’ouvrage calviniste imprimé en 1579 et intitulé Vindiciæ contra tyrannos, dont on a attribué la paternité à du Plessis-Mornay, ou, avec plus de probabilité, à Hubert Languet. Voici les solutions qu’il donne à la question de la légitimité du tyrannicide. S’il s’agit d’un tyran d’usurpation (absque titulo), un simple particulier peut chasser l’intrus, attendu qu’aucun serment, aucun pacte public ou privé ne crée d’obligation à son égard. Quant au prince légitime qui abuse de son pouvoir (tyrannus ab exercitio), il faut d’abord le tolérer ; s’il ne s’amende pas, il sera considéré comme rebelle et renversé, non par la multitude agissant tumultueusement, mais par ceux qui ont reçu du peuple la charge de pourvoir au bien commun : Quum de universo populo loquimur, eos intelligimus qui a populo authoritatem acceperunt : …ejus generis sunt, in omni regno bene constituto, officiarii regni. principes. pares, patricii, optimates et cæteri ab ordinibus delegati, e quibus constat aut concilium extra ordinem, Parlamentum, Diæta, cæterique conventus…, in quibus ne quid aut Respublica aut Ecclesia detrimenti capiat providendum est. Quant à tirer vengeance du tyran par le meurtre, Languet ne reconnaît pas ce droit à un particulier, sauf mission reçue de Dieu, comme ce fut le cas de Moïse, Aod, Jéhu. Cf. Labitte, De la démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, Paris, 1841, p. 201-295.

Dans son ouvrage intitulé De jure regni apud