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    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. LE TYRAN DE GOUVERNEMENT

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rite… ; b) Il n’est jamais permis de se rebeller. « À ce sujet, dit saint Liguori, il faut regarder comme très pernicieux le principe de Jean Gerson, qui a osé affirmer qu’un monarque peut légitimement être jugé par toute la nation, s’il gouverne injustement son royaume…, principe non seulement faux, mais très pernicieux… » Et l’auteur termine en indiquant, d’après saint Thomas, le remède à la tyrannie qui est le recours à Dieu et la cessation du péché. Comp. theol. mor., n. 387.

Un autre jésuite, Lehmkuhl, le rénovateur de la théologie morale en Allemagne, donne une solution qui n’est guère différente : « La fidélité oblige les sujets à ne susciter contre l’autorité légitime ni rébellion ni révolution ; cela est défendu par la loi naturelle et par la loi chrétienne, lors même que celui qui est dépositaire du souverain pouvoir en abuserait par la tyrannie. » Theol. moralis, t. i, n. 797. Soulignons une nuance : l’auteur dit « les sujets » et non pas la société, réservant à la nation des droits qui n’appartiennent pas aux simples particuliers. Tant que la communauté accepte ou tolère le tyran, il demeure gouvernement légitime et conserve ses attributions. C’est ce qu’a souligné saint Alphonse de Liguori : « Les lois et sentences portées par les tyrans obligent, si ceux-ci possèdent pacifiquement le royaume et sont tolérés par la nation. Cela est vrai de la sentence en tant qu’elle provient positivement du tyran, mais non en tant qu’elle provient de la volonté (au moins interprétative et implicite) de la nation qui, pouvant chasser le tyran et les juges institués par lui, leur confère tacitement le pouvoir de gouverner et ratifie leurs lois et leurs actes. » De legibus, c. i, dub. i. Voir aussi l’Ami du clergé, t. xvii, 1895, p. 272.

2. Réponse affirmative.

Cependant on ne saurait dire que les autorités précitées représentent à elles seules « toute la théologie catholique ». Il s’est trouvé des auteurs modernes pour faire écho à l’antique tradition scolastique, laquelle est à peu près unanime à reconnaître à la nation le droit, au moins théorique, de résistance, droit qui peut aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à la révolte et à la déposition du tyran.

Voici comment saint Thomas s’en explique dans la Somme théologique : « Le gouvernement tyrannique n’est pas juste, parce qu’ordonné non au bien public, mais au bien particulier du gouvernement… Aussi le renversement de ce régime n’a pas le caractère d’une sédition, hors le cas où le renversement du régime tyrannique se ferait avec un tel désordre, qu’il entraînerait pour le pays plus de dommages que la tyrannie elle-même. Mais c’est bien plutôt le tyran qui est séditieux, lui qui entretient discordes et séditions dans le peuple qui lui est soumis, afin de pouvoir plus sûrement le dominer. » II » -II B, q. xlii, a. 2, ad 3°™. En traitant le tyran de « séditieux », le Docteur angélique semble bien indiquer que c’est le mauvais prince qui est l’agresseur ; le peuple ne fait qu’user du droit de légitime défense qui appartient aux sociétés comme aux individus. Mais la nation ne saurait elle-même prendre l’initiative d’une sédition contre un pouvoir établi.

La pensée de saint Thomas est à compléter par un passage du De regimine principum, où il traite des remèdes à apporter à la tyrannie : Il semble que c’est plutôt par l’autorité publique que l’on doit s’opposer à la tyrannie des princes, et non par les entreprises de quelques particuliers. Parce que, d’abord, si une société a le droit de se donner un roi, elle a également celui de le déposer ou de tempérer son pouvoir, s’il en abuse tyranniquement. Et il ne faut pas croire que cette société agisse d’une manière injuste en chassant un tyran qu’elle s’est donné, même à titre héréditaire, parce qu’en se conduisant en mauvais prince dans le gouvernement de l’État, il a mérité que ses sujets brisassent le pacte d’obéissance. C’est ainsi que les Romains renversèrent du trône Tarquin le Superbe… » Opusc. xx, t. I, c. vi. Ainsi, d’après saint Thomas, le droit qu’a la nation (non les particuliers) de s’opposer à la tyrannie, peut aller jusqu’à la déposition du souverain. Mais toujours la prudence et le souci du bien commun doivent guider une telle entreprise : « S’il n’y a pas d’excès insupportable, il vaut mieux tolérer pour un temps une tyrannie modérée, que de faire opposition au tyran et s’engager dans des dangers multiples, plus graves que la tyrannie elle-même. En effet, il peut arriver que les opposants ne puissent prendre le dessus et que, par suite de cette provocation, le tyran sévisse avec plus de violence qu’auparavant. Si au contraire quelqu’un réussit à l’emporter sur le tyran, il s’ensuit le plus souvent de très graves dissensions parmi le peuple. Soit pendant l’insurrection, soit après l’expulsion du tyran, la multitude se divise en partis à propos de la constitution du nouveau régime. Il arrive aussi que, la multitude ayant chassé le tyran grâce à un meneur quelconque, celui-ci reçoive le pouvoir, s’empare de la tyrannie, et, craignant de souffrir d’un autre ce que lui-même vient de faire à autrui, écrase ses sujets sous une servitude encore plus lourde que la première. » De regimine principum, t. I, c. vi. Dans la même ligne de pensée, on peut lire Cajétan, In J/ » m -//", q. xlii, a. 2.

De son côté, Suarez a pu écrire : « Si le roi légitime gouverne tyranniquement et que la nation n’ait pas d’autre moyen de se défendre que d’expulser et de déposer le roi, la nation entière pourra, dans une assemblée publique et commune des cités et des chefs, déposer le roi ; cela en vertu du droit naturel, qui permet de repousser la force par la force, et parce que toujours le cas de nécessité de conserver la république est compris comme exception dans la première convention où la nation confia le souverain pouvoir au roi. » Defensio fid. cath., t. VI, c. iv, § 7 ; cf. De caritate, dist. XIII, sect. viii ; De censuris, dist. XV, sect. vi, § 7. C’est toujours le même droit de défense qui est accordé à la nation.

Bellarmin se contente de dire que, « s’il y a une cause légitime, la multitude peut changer la royauté en aristocratie ou en démocratie et réciproquement, comme cela s’est vu à Rome ». Dispulationes de controv. christianee fidei, t. III, c. vi, § 4. Banès exprime une opinion semblable, In 7/ » m -//", q. xliv, a. 3, concl. 1 : « Dans le cas où le roi gouverne tyranniquement, la nation demeure en droit de déposer le prince. » Et Sylvius ne s’écarte pas de la doctrine de Suarez lorsqu’il écrit : « Un tyran par trop insolent peut être légalement déposé et chassé ou par la nation elle-même, ou par les assemblées du royaume, ou par une autorité supérieure si cette autorité existe… En effet, le pouvoir souverain a été donné au roi par la nation qui peut le lui retirer s’il en fait manifestement usage au détriment de la chose publique… » In II* m -II iii, q. lxiv, a. 3, concl. 2.

Parmi les anciens, on pourrait encore citer Lessius, qui accorde à tous, laïques et clercs, le droit de défendre leur vie contre un injuste agresseur, « même si c’est un supérieur ». Cela est permis, dit-il, « au serf contre son seigneur, au vassal contre son prince ». De justitia et jure, sect. ii, c. ix, dub. 8. Gerson, de son côté, enseigne que, si le souverain « fait subir à ses sujets une persécution manifeste, obstinée, clin tive, alors s’applique cette règle naturelle : il est permis de repousser la force par la force ». Decem considerationes principibus et dominis utilissimæ, cons. vii, dans Opéra omnia, Paris, 1606, t. ii, pars II, col. 628. C’est en effet une règle de droit qui figure à maintes