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    1. TRINITÉ##


TRINITÉ. SEMIRATIONALISME CATHOLIQUE

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Schleiermacher, ne peut être envisagé que comme le couronnement de l’édifice : il ramène à l’unité et exprime dans leur ensemble les expériences religieuses faites par la conscience chrétienne sous l’impression de la rédemption et de la régénération. Cf. Schleiermacher, Glaubenslehre, § 170-172 ; Ueber den Gegensatz der sabellianischen und der athanasianischen Vorstellung von der Trinitàt, dans Theol. Zeilschrijt de Schleiermacher, 1822. Cette étude, dans laquelle l’auteur justifie historiquement sa préférence pour la Trinité économique, se trouve dans ses Œuvres complètes, Berlin, part. I, vol. ii, p. 485-574. Cf. Alex. Schweitzer, Christliche Glaubenslehre, Leipzig, 1872, § 102 ; Lobstein, Essai d’une introduction à la dogmatique protestante, Paris, 1896, p. 224-227. Voir aussi Hase, Evangelische protestantische Dogmatik (2e éd.), Stuttgart, 1870, p. 222-224 ; M.-H. Schultz, Theol. Literaturzeilung, 1879, p. 500 ; Die Lehre von der Gotlheit Christi, Gotha, 1881, p. 605 ; M. Bovon, Dogmatique chrétienne, Lausanne, 1893, t. i, p. 236 sq. ; t. ii, p. 389-408.

Cette perspective nouvelle, qui transforme totalement la nature du dogme en lui enlevant son caractère objectif pour en faire un simple couronnement ou mieux une traduction de nos expériences religieuses, a exercé, en France, une profonde influence sur le protestantisme contemporain. De Harnack, Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1899 (tr. fr., Paris, 1902 et 1907), ce symbolo-fidéisme est passé chez A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire, Paris (7e éd.), 1903 ; Les religions d’autorité et la religion de l’Esprit, Paris (2e éd.), 1904. Mais, de cette expérience religieuse, que peut-on déduire touchant la réalité objective du mystère ? En somme, c’est nous qui créons le dogme, ou tout au moins nous l’envisageons comme un postulat de notre vie religieuse. Pratiquement, certains auteurs, poussant à l’extrême logique le système, en viennent à nier purement et simplement la Trinité : « La piété chrétienne connaît un seul Dieu, personnel, saint et aimant, vraiment paternel. Elle connaît la personnalité de Jésus et l’action personnelle de l’Esprit au plus secret des cœurs… La théologie chrétienne doit examiner les problèmes qui en résultent et conclure à la divinité morale de Jésus sur la terre, à la divinité actuelle ( ?) du Christ, en écartant la divinité préhistorique de Jésus et la divinité personnelle de l’Esprit. Aussi, elle n’aboutit pas à une réelle Trinité, mais bien à l’unité de Dieu, à la paternité du Dieu unique, à la filialité non métaphysique, mais morale de Jésus ; à la communion filiale de Jésus avec son Père sur la terre, à la dualité de Dieu et du Christ dans la puissance céleste, à l’action de Dieu ou du Christ sous la forme de l’Esprit… La doctrine de la Trinité est une doctrine philosophique… parfaitement inutile à la vie religieuse. » G. Fulliquet, Précis de dogmatique, Genève-Paris, 1912, p. 219, 222. Cette conclusion d’un auteur protestant estimé est la meilleure critique qu’on puisse faire de la prétendue rénovation religieuse opérée par le modernisme de Schleiermacher et de ses innombrables disciples.

Conclusion. —

On voit par ce qui précède la courbe suivie par le protestantisme. Finalement, avec des nuances diverses — sauf chez un petit nombre d’auteurs fidèles à l’orthodoxie — c’est un rationalisme explicite ou déguisé qu’on trouve sous les formules traditionnelles, conservées peut-être uniquement parce qu’il est difficile de les récuser devant les simples fidèles. Sans doute, la plupart des protestants, même libéraux, s’élèvent contre l’appellation d’antitrinitaires. Pfleidcrer, par exemple, considère que l’unitarisme, loin d’être un progrès, constitue au contraire un retour à la théologie inférieure des Juifs. Et pour tant le dogme officiel n’a, pour lui, qu’une valeur symbolique et c’est en ce sens seulement qu’il peut justifier l’adoration due au Christ. Cf. Grundriss der christlichen Glaubenslehre, Berlin, 1880, p. 118-123. On retrouve les mêmes idées, quant au fond, chez É. Saisset, Michel Servet, dans la Revue des deux mondes, 1848, t. xxi a, p. 606, et chez Vacherot, Histoire critique de l’École d’Alexandrie, t. i, Paris, 1846, p. 290-293.

Il suffit d’ailleurs de lire l’article de Lobstein, Trinité, dans l’Encyclopédie de Lichtenberger, pour se rendre compte de cette tendance. Nous en avons cité plus haut, voir col. 1772, un passage se rapportant à l’interprétation des données scripturaires. D’après cet auteur, l’Écriture ne nous donnerait que les éléments d’une trinité économique et non « de la trinité toute spéculative de la métaphysique ecclésiastique ». Il ajoute que « l’histoire de la lente et laborieuse formation du dogme est, en outre, alléguée comme un critique décisive de celui-ci ; il suffit, dit par exemple Strauss, d’en décomposer et d’en examiner les facteurs pour en achever la ruine : solidaire de la christologie, il tombe avec elle et les indécisions qui enveloppèrent longtemps des points essentiels de la doctrine prouvent combien peu celle-ci est autorisée à en appeler au consensus de l’Église… » Enfin, le dogme en lui-même présente, dit-on, d’inextricables difficultés. Et l’on conclut par la condamnation des méthodes et des procédés de l’orthodoxie, laquelle, abandonnante terrain de la révélation historique et de l’expérience chrétienne, a eu la prétention de nous initier aux mystères de la vie divine, d’en fixer les relations essentielles, d’en préciser les modalités internes. N’est-ce pas méconnaître entièrement le caractère moral et religieux de l’œuvre du salut que de faire dépendre ce salut de l’admission d’une doctrine qui, dans la formule précise qu’on veut imposer à l’intelligence, relève exclusivement de la théologie et non de la religion ? » Art. cit., p. 228. Et comme conclusion dernière : « il ne nous est pas permis de transformer les affirmations de la conscience chrétienne en axiomes métaphysiques exprimant des relations essentielles et immanentes en Dieu », p. 230. Voir en ce sens, Baur, Entwickelungsgeschichle von der Menschwerdung Gottes und der Trinitàt, 3 vol., Tubingue, 1841-1843 ; W. Meyer, Die Lehre von der Trinilât in ihrer historischen Entwickelung, Gœttingue, 1844 ; F. Strauss, Die christliche Glaubenslehre, § 32, Tubingue, 1840-1841 : A.-E. Biedermann, Christliche Dogmatik, Zurich, 1869, p. 412-417 ; 611-616 ; Chenevière, Du système théologique de la Trinité, Genève-Paris, 1831 sq.

V. LE SEMIRATIONALISME CATHOLIQUE ET LES INTERVENTIONS DE L’ÉGLISE. —

Caractères généraux du semirationalisme catholique (Voir Semirationalistes, t. xi v, col. 1850). —

L’exposé qui précède était indispensable pour montrer comment la position adoptée par nos théologiens catholiques catalogués « semirationalistes » s’explique en raison des erreurs qu’ils avaient la prétention de combattre, tout en s’inspirant des principes qui les avaient engendrées chez les protestants.- Hermès tient de Kant la distinction entre raison théorique et raison pratique ; Gûnther adopte l’évolutionnisme hégélien ; Frohschammer ne recule pas devant le rationalisme appliqué aux mystères : essais qui pouvaient paraître séduisants à leurs auteurs, essais cependant d’avance voués à l’échec : tels principes, telles conclusions.

1. Hermès, le premier, a voulu faire de la foi un assentiment de la raison comme telle à des vérités qui s’imposent nécessairement à elle. C’est ainsi que le concile du Vatican a compris son système et l’a rangé parmi les erreurs semirationalistes. La foi dont Hermès s’est fait le protagoniste n’est pas la foi qui adhère