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ZWINGL1ANISME. L’ASSISTANCE PUBLIQUE


elles concernent l’éthique individuelle et n’ont rien à faire avec la politique économique officielle. Il s’agit alors non pas d’un effort pour faire passer des tendances radicales dans la législation, mais d’un appel à la réflexion, à la conscience de l’individu. L’idéalisme de Zwingli, qui ne perd jamais de vue l’idéal absolu, est tenu en échec par un sentiment très fort des exigences de l’équité et de l’honorabilité bourgeoises. Ajoutons que, mesurée à l’échelle de son christianisme paulinien, l’opinion radicale lui apparaît comme non biblique, et dans l’Évangile lui-même il ne trouve rien qui appuie les tendances révolutionnaires de ses adversaires… Ce n’est donc pas par inconséquence que Zwingli adopte une attitude conservatrice. Sans doute des raisons politiques empêchent toute collusion de l’Évangile avec la question sociale — ce serait là une tactique dangereuse qui compromettrait le progrès de la Réforme — mais ce n’est pas là le facteur décisif. Il se laisse guider non par des considérations d’opportunité, mais bien par des motifs religieux » (P. Meyer, op. cit., p. 71-73).

3. Assistance publique.

Cf. W. Kôhler, Armenpflege und Wohltâtigkeit in Zurich zur Zeit Ulrich Zwinglis, dans 119. Neujahrsblatt hrsg. von der Hùlfsgesellschajt in Zurich auf das Jahr 1919, Zurich, 1919.

C’est surtout dans le domaine de l’assistance publique que Zwingli fit œuvre positive et féconde. Il a eu une vue claire du but à atteindre : la suppression de la mendicité, cette lèpre qui s’étendait alors sur les villes de Suisse comme d’Italie ; et il a disposé de nouveaux moyens qui lui ont permis de réaliser son programme : savoir les biens d’Église et des couvents qui, après liquidation, revenaient de droit, estimait-il, au soulagement de la misère et à l’entretien des maîtres ; les fondations pieuses ou de messes — il s’opposa au nom de la justice à ce qu’elles fassent retour au donateur — ; les offrandes volontaires qui, ne trouvant plus de destination dans le culte, furent canalisées au profit des pauvres. On peut dire sans hyperbole que dans la cité zwinglienne les pauvres héritèrent l’auréole des saints, en ce que l’on vit en eux, selon l’expression du réformateur, i les vivantes images de Dieu » (die lûbenden bilder goltes, C. R., m, 51, 28 ; cf. ibid., 179, 33 ; 184, 13).

Mais ces moyens n’eussent pas suffi à assurer le succès de l’entreprise, si Zwingli n’avait trouvé dans la municipalité un auxiliaire capable de les mettre en œuvre. C’est qu’en effet avec lui l’organisation de la charité change de mains ; elle passe du pouvoir ecclésiastique au pouvoir séculier, et c’est là la grande réforme. Elle s’opéra en plusieurs temps. Mentionnons : a) la fondation d’une caisse municipale pour les pauvres (Satzung vom Almosen, 8 septembre 1520). Contre Stæhelin, V. Kôhler a prouvé que cette mesure avait été réellement appliquée et qu’elle constituait la première initiative de ce genre connue ; la priorité était attribuée jusqu’alors à la Wiltenberger Beutelordnung de fin 1521 (cf. O. Winckelmann, Ueber die âltesten Armenordnungen der Reformationszeit, dans Histor. Vierteljahrschrift, 1914, p. 207, n. 33). — b) Les mesures de sécularisation des couvents au bénéfice des pauvres (13 mai 1524) (cf. P. Schweizer, Die Behandlung der Zùrcher Klostergiiter in der Reformationszeit, 1885). En de telles mesures, Zwingli eut parfois à lutter contre la municipalité qui voulait s’approprier le bénéfice de ces fonds (W. Kôhler, op. cit., p. 54 et G. Pestalozzi, Das zurcherische Kirchengut in seiner Entivicklung zum Staatsgul, 1903).

— Enfin et surtout : c) Le Mandat du 15 janvier 1525 (Ordnung und Artikel betr. das Almosen), qui consacrait la politique charitable de Zwingli (cf. rétamé dans l’article d’A. Bouvier, Zwingli précurseur social, dans Le Christianisme social, 8 « année, 1937, p.

420). Dans son sermon sur l’usure, de 1519, Luther avait exprimé le désir que la mendicité fût bannie ; avec Zwingli, ce souhait devenait réalité. Seulement, tandis que le réformateur allemand envisageait l’exercice de la charité comme un acte de la vie communautaire de l’Église, son émule suisse le confiait à l’autorité séculière (cf. C. R., iii, 450, n. 8).

Or, comme W. Kôhler l’a montré, ce développement était préparé du côté du pouvoir séculier lui-même qui, depuis quelques années, au lieu de faire ses charités par l’organe de l’Église, entretenait ses pauvres. Peu à peu, il se substitua a l’Église, créant notamment un hospice (Spital) destiné à recevoir les malades indigents ou les pauvres sans asile. La Réforme arriva à point nommé pour lui permettre d’exécuter tous ses projets et d’acquérir en quelque sorte le monopole de la charité publique (la charité ou assistance privée demeura). Le résultat ou la rançon de cette transformation, ce fut l’installation de la bureaucratie dans l’administration même de la charité : sous l’impulsion de Zwingli, on se mit à établir des curateurs ainsi que des préposés par quartier, voire à tenir registre des pauvres, des baptisés, des mariés, etc. Cette méthode fit école, et les registres de baptême et de mariage furent introduits de ce jour dans nombre de villes d’Allemagne. Bref, toutes les personnes et catégories de personnes furent étiquetées, et les pauvres assistés reçurent même un insigne (les pauvres honteux étaient dispensés du port). Il est à noter d’ailleurs que, s’il entendait éliminer la mendicité, Zwingli ne songeait nullement à faire disparaître la pauvreté. La société continua à se composer pour lui de deux classes : les riches et les pauvres (C. R., m, 451, 10.23.25). Rien donc chez lui d’un humanitarisme utopique ni d’un idéalisme révolutionnaire.

Mais, en même temps qu’elle se particularisait et se faisait plus méticuleuse, la charité se refermait sur la cité. On n’admit à l’assistance que les pauvres indigènes ; les étrangers n’étaient tolérés que quelques heures et encore hébergés pendant ce temps, afin qu’on ne vît en ville aucun mendiant. Comme aux pauvres locaux, les couvents leur servaient d’asile, selon la devise ancienne que Zwingli remettait en honneur en en altérant le sens : Monasleria monachorum xenodochia pauperum (C. R., iii, 422, 7). On éliminait ainsi, par le fait même, les spirituels et les colporteurs de nouvelle doctrine qui, souvent, erraient sur les grands chemins, et on contribuait à stabiliser, avec la situation sociale, le progrès de la Réforme zwinglienne. Il est vrai que, à la suite de certaines représailles subies, des réfugiés d’un autre genre se présentèrent : non seulement les employés de l’assistance acceptèrent de leur octroyer des secours, dont les mentions figurent en nombre toujours grandissant sur les registres conservés, mais les portes mêmes de la ville s’ouvrirent pour les accueillir : les Hutten, les Pellican, les Hofmeister, etc. Cet exemple ne fut pas perdu : sous l’impulsion de Zwingli, la Suisse découvrait sa vocation de terre d’asile.

Sur la couverture d’un registre de mendicité conservé aux archives de Zurich, on lit, écrite au crayon rouge d’une main contemporaine de Zwingli, cette inscription : « Soyez miséricordieux, dit le Seigneur, comme votre Père qui est dans les cieux est miséricordieux. » Ainsi jusque dans l’exercice de la charité qui désonnais, en vertu de l’évolution que nous avons suivie, allait revêtir un caractère officiel, Zwingli restait fidèle à ses grandes vues théologiques : Dieu, idéal absolu de perfection et de bonté proposé à notre imitation, en même temps qu’il l’Inspirait du plus pur évangélisme.

v. ZWINOLI f.t la guerre, la politique zwixglienne. — 1° La pensée de Zwingli sur la guerre a