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ZWINGLIANISME. DOCTRINE DE L’ÉTAT


analyse, donne la clé d’intelligence de sa sociologie. Il explique aussi que pour lui action sociale et politique n’est nullement synonyme d’action profane, mais participe à la dignité même de tout ce qui est ordonné et voulu par Dieu. La sociologie du réformateur est donc un chapitre indispensable de sa théologie.

I. doctrine de l’état. — 1° Orientation de la doctrine. — Zwingli s’intéresse à l’État pour des raisons religieuses, confessionnelles. On ne trouve donc pas chez lui de théorie complète de l’État, mais seulement une prise de position sur des points déterminés pour faire échec aux doctrines adverses. Il combat sur trois fronts : a) contre l’autoritarisme ecclésiastique et la confusion des deux pouvoirs ; — b) contre les princes catholiques persécuteurs de la religion réformée et la papauté elle-même, en qui il voit une grandeur d’ordre temporel ; — c) contre les anabaptistes qui, arguant de la liberté évangélique, récusent toute autorité. À l’inverse, sa position est la suivante : affirmation de l’État et de l’autorité, mais non point inconditionnée. Le pouvoir étatique se voit assigner une double limite. Zwingli insiste sur la relativité qui lui est inhérente du fait même de son objet, le bien temporel (das zeitliche Gut) ; encore que celui-ci ait chez les réformateurs une certaine élasticité, il restreint la sphère d’action de l’État à la protection des intérêts temporels. En outre, même dans son domaine, l’État est sujet à une règle supérieure ; quand il la transgresse (usser der schnur Christi fahren ; C. R., il, 342, 26), il n’a plus droit à l’obéissance. Mais, à part ces réserves, on peut caractériser la doctrine zwinglienne comme une affirmation réfléchie du pouvoir étatique, avec tout ce que cela implique pour la vie du croyant.

1. Zwingli est amené à cette affirmation par des raisons polémiques, disons mieux, de politique confessionnelle. Sa critique de l’autorité ecclésiastique a fait craindre un instant une hostilité de la religion réformée à l’égard de tout pouvoir. Le mouvement anabaptiste accentua ce soupçon (cf. C. R., ii, 473, 1). Vers le milieu de 1523, Zwingli sépare sa cause de celle des anabaptistes ; et dès lors la pointe de sa doctrine est tournée contre eux. Commencé dans le Von gôltlicher und menschlicher Gerechligkeit (30 juillet 1523), traité auquel l’article 39 de Y Auslegung der Schlussreden sert de brouillon, l’exposé culmine dans le Commentaire (mars 1525) : De magistratu (C. R., m, 867 sq.) : c’est une apologie de l’État chrétien.

2. Zwingli suit son adversaire sur le terrain qu’il a choisi, Y Écriture. Cependant, au radicalisme biblique des anabaptistes, il oppose une interprétation beaucoup plus mesurée et compréhensive du texte sacré. Les Tâufer avaient surtout retenu le Sermon sur la montagne, qui semblait placer le chrétien dès cette terre au delà du légalisme étatique et le fixer dans un royaume régi par l’amour ; Zwingli s’attache aux paroles et à l’exemple du Christ qui indiquent de sa part une acceptation franche de l’État et de ses exigences ; il s’appuie aussi sur Rom., xiii, 1 sq., corroboré par Hebr., xiii, 17 (interprété à tort de l’autorité séculière) ; I Tim., ii, 1 ; I Petr., ii, 13. Ce texte majeur lui fournit tous les éléments dont il a besoin : l’ordination divine de l’État, sa fonction et ses limites. Les anabaptistes abusaient aussi du texte de Act., v, 29 : Mieux vaut obéir à Dieu qu’aux hommes. » Zwingli le ramène à son vrai sens et en souligne la portée exacte. En même temps, il s’applique à dissiper les préjugés et les inquiétudes des grands : l’évangélisme adopte par rapport à l’autorité, à la culture, au monde, une attitude positive (C. R., ii, 473, 1 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 59). Loin donc de voir en lui un ennemi, on doit s’eflorcer d’en faire un allié. Zwingli, de son côté, vise

à gagner les princes. Il place le pouvoir uniquement entre leurs mains, à une condition toutefois : c’est qu’ils l’exercent « chrétiennement » (christenlich), c’est-à-dire évangéliquement, en défenseurs ou promoteurs de la religion réformée.

3. Mais ni l’opportunité, ni l’Écriture ne suffisent à rendre compte de l’orientation de la doctrine zwinglienne en ce domaine : le facteur décisif, c’est l’inclination même du tempérament de Zwingli, qui le pousse à affirmer d’emblée la réalité sociale, quitte à chercher ensuite le moyen de la rattacher à l’Évangile nouveau. Zwingli a bien vii, et c’est là l’intuition fondamentale qui le guide et l’oppose aux anabaptistes, que la vie en société a des exigences auxquelles, dans l’état de nature déchue, il n’est pas suffisamment pourvu par le seul idéal évangélique de l’amour : il faut un droit, s’énonçant en principes, dont Yautorité est la gardienne. Cependant, loin d’en rester à une constatation purement empirique, comme beaucoup de modernes, ou de chercher, à la suite du stoïcisme et de la scolastique, à ancrer ce droit sur la nature humaine, Zwingli remonte à Dieu lui-même, auteur de tout bien, et il fonde immédiatement en Dieu, dans la volonté divine, l’ordre juridique.

Notion théologique de l’État.

1. Fondement et

fonctions de l’autorité. — a) « Apprends donc que si tu fais fonction d’autorité, c’est contre la nature corrompue » (in die zerbrochnen natur ; C. R., ii, 327, 24). L’État n’est pas une création du péché, mais il a été institué par Dieu, en vertu d’une ordination positive, pour remédier au péché (cf. C. R., iii, 875, 1). Le péché est, en effet, au jugement de Zwingli, non seulement offense de Dieu ou impuissance de l’individu, mais facteur de désagrégation sociale (cf. C. R., ii, 633, 5 sq. ; iv, 308, 10 et passim). C’est qu’en effet la déchéance de la nature consiste essentiellement pour lui dans Yégoïsme, qui rend toute vie sociale impossible. A moins d’admettre la lutte de tous contre tous, force est d’établir un ordre et de l’imposer du dehors par la force aux volontés rebelles (C. R., iii, 880, 13). Ailleurs, Zwingli explique que sans cet ordre la vie sociale risque de descendre à un niveau infra-humain (ibid., il, 488, 3 ; 523, 18). On voit que pour lui la cohésion sociale repose sur la force et la violence : ce sont là des éléments inséparables de la notion d’autorité (ibid., ii, 483, 25 ; 523, 20). Il aime à comparer celle-ci à un remède violent, à un cautère qu’on applique, quand tous les emplâtres, ou moyens de conciliation, n’ont pas réussi (C. R., ii, 305, 20). L’autorité est pour lui synonyme de pouvoir judiciaire (ibid., ii, 328, 10 ; 483, 20 ; iii, 402, 11 ; iv, 388, 23).

C’est dire que, si elle est tournée principalement contre les méchants, elle a aussi un rôle à remplir à l’égard des bons et des faibles, rôle de protection, de sauvegarde (C. R., ii, 332, 7 sq. ; 333, 3) ; — voire d’arbitrage, ainsi entre les riches et les pauvres (ibid., ii, 332, 25). La force est nécessaire à l’autorité, dès lors qu’elle est chargée de faire appliquer une loi et de la sanctionner par des peines, mais elle l’est plus encore du fait que les transgresseurs sont le plus souvent des riches et des puissants qui abusent de leur prestige ou de leurs moyens. Une autorité qui se laisserait intimider et abdiquerait, amènerait avec sa propre déchéance celle du corps social (C. R., ii, 333, 3 ; Sch.-Sch. , vol. vi, t. I, p. 562-564).

Ainsi Zwingli conçoit la fonction étatique comme une fonction de police, nécessitée par la corruption de la nature : c’est là son aspect primordial et essentiel. Il s’inspire ici de Rom., xiii, 3 et se place dans la tradition augustinienne. Il se rapproche aussi de Luther ; cependant, même alors, il se distingue de lui. Pour Luther, le chrétien est transféré dans le Reich Gottes, il n’a plus besoin pour lui-même de l’ordre étatique,