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ZWINGLIANISME. LA THEOCRATIE ZWINGLIENNE


vons la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur : l'Église, synonyme de communauté des croyants ou des élus, qui est sans contact avec le monde, s’occupe de l' « homme intérieur » ; en revanche, les « choses extérieures » tombent dans le domaine de la théocratie, qui enveloppe la communauté locale pour autant que celle-ci se compose de croyants vrais ou nominaux et est en rapport avec le monde. Ainsi la ligne qui traverse l’ecclésiologie zwinglienne (col. 3856) se dévoile.

Bien entendu, ce rattachement des « choses extérieures au pouvoir séculier, organe réformateur de l'Église, ne se fait pas sans le sacrifice de la liberté individuelle, qui était déjà fortement compromise. « A Zurich comme partout où ils ont surgi et ont été réprimés, souligne W. Kôhler, l’anabaptisme et le mouvement paysan ont renforcé le gouvernement de l'Église par l'État (Kirchenregiment) et restreint la « liberté du chrétien ». La collusion de la politique et de la religion, selon la formule zurichoise, devait se produire fatalement aux dépens de cette dernière, dès lors que la théocratie s’affirmait comme pouvoir dominateur dont la présupposition fondamentale est un ordre unitaire » (Huldrych Zwingli, 1943, p. 154). Si la foi reste une affaire de conscience (cf. C. R., ix, 461, 18 sq. ; Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 274), il n’y a plus place dans la Cité réformée pour la libre profession de foi ou le libre exercice du culte. Jadis, sans doute sous l’influence érasmienne, Zwingli préconisait une certaine mesure de tolérance à l'égard des faibles (cf. Von Erkiesen und Freiheit der Speisen, avril 1522 ; C. R., i, 1Il sq. et la section De scandalo du Commentaire, 1525 ; C. R., iii, 888 sq.). À présent qu’il est livré tout entier à son génie propre, il est pour les solutions violentes. Ainsi la lettre à Ambroise Blaurer, charte de la théocratie nouvelle et en même temps document psychologique de premier ordre, achève de nous éclairer à la fois sur le progrès des idées et sur les ressorts secrets de l'âme de Zwingli. Le dénouement tragique de Kappel est déjà en vue.

b) Confessions de foi : le Prologue de Jérémie. — Les Confessions de foi et surtout le majestueux Prologue du Commentaire de Jérémie ont un autre ton. Ce dernier surtout présente l’idéalisation mi-chrétienne, mi-mythologique des rôles de prophète et de magistrat. Un certain dualisme subsiste donc, suffisamment attesté par les termes dont Zwingli se sert à propos de l’une ou l’autre fonction (doceant, corrigant ; docendo, animadverlendo ; prædicant, imminent, etc.). Mais il est surmonté du fait que Zwingli remonte à la source qui leur est commune : la lumière divine, YEsprit souverain. C’est lui véritablement le chef et l’inspirateur, l’Empereur, dirait-on, de la théocratie nouvelle (est igitur imperiali isto Spiritu … opus, Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 2, c. fin).

Par ailleurs, délaissant le cadre étroit de la communauté et de la Cité et élargissant les rôles aux limites de l’humanité, Zwingli retrouve les vues universalisles du Moyen Age, symbolisées par le Corpus christianum. Sans doute les vocables subissent certaines adaptations. Zwingli dit : ecclesiaslicum corpus, ibid., vol. iv, p. 59 ; ou : Sic Ecclesia, sic regnum, sic respublica, ibid., vol. vi, p. 1 ; cf. ibid, , p. 2 : Ecclesia et respublica ; sive Ecclesiæ, sive regni, sive reipublicæ corpus, termes qui se recouvrent. Ailleurs, X’Ecclesia sans plus sert à désigner le complexe Église-État (ibid., vol. iv, p. 60, c. init.). Mais l’idée sous-jacente est identique. En accord avec la Tradition, Zwingli pense ; i une société organique et unifiée, où la distinction des pouvoirs ou fonctions constitue toute la diversité (l’idée d’organisme ou corps social est mise en valeur par des analogies d’ordre animal empruntées à l’Antiquité ; cf. ibid., vol. vi, t. i, p. 2-3). Le pouvoir séculier est intégré à ce corps qui, sans lui,

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

serait imparfait et tronqué : Constat Ecclesiam sine magistralu mancam esse ac mutilam … eum (magistralum se.) necessarium esse ad perfectionem ecclesiastici corporis (ibid., vol. iv, p. 59). C’est sous cette forme seulement que l’on trouve chez Zwingli l’attestation de l’office du magistrat comme præcipuum membrum Ecclesiæ (contre A. Farner).

Est-ce à dire, comme certains l’ont prétendu, que Zwingli fasse sienne sans restriction la conception du Moyen Age ? Non pas : car il a vidé le Corpus christianum d’une part importante de son contenu : loi naturelle, caractère sacral du pouvoir, personnification de l’ordre dans le pape et l’empereur, toutes notions qu’il critique (cf. sur la dernière : C. R., iii, 442, 17). Et plus encore il interprète le Corpus christianum dans le sens de son universalisme spirilualisle. Il dit bien que l’Esprit est l'âme de ce corps (Spirilus, inquam, est qui corpus ecclesiie et intus animât et foris régit, Sch.Sch., vol. vi, 1. 1, p. 2). Mais de quel Esprit s’agit-il ? De l’Esprit universel, qui, « de même qu’il a créé toutes choses, les dispose et les régit » (ibid., p. 3). Le Corpus christianum du Moyen Age est un prolongement du Corps mystique et à ce titre il est axé sur le Christ (il est essentiellement chrétienté) : d’où le caractère sacral des pouvoirs spirituel et temporel, chez l’un et l’autre dérivé du Christ grand-prêtre et chef. Dans la théocratie zwinglienne, le Christ le cède à l’Esprit, dont l’influence est perceptible au delà de l'Église, dans le monde païen. De cet Esprit le prophète et le magistrat sont également l’organe (ibid., p. 2).

Par ailleurs, Zwingli introduit dans cette métaphore le dualisme de l'âme et du corps, qui est l’un des traits essentiels de son anthropologie : « De même que l’homme est composé d'âme et de corps, encore que le corps soit la partie la plus basse et vile, de même l'Église ne peut se passer de l’autorité séculière, encore que celle-ci ait pour objet des choses plus matérielles et éloignées de l’esprit » (ibid., vol. vi, t. i, p. 60 ; cf. vol. iv, p. 2, c. fin.). Ce qui n’exclut nullement une autre considération fondée sur la nature déchue (cf. Prof. Jerem. : Ni more præceptorum, Magistratus, quæ contra ius et fas gesta sunt, cmendent ; Sch.-Sch., vol. vi, p. 2 c. init, ). (Ce rôle de précepteur dévolu au magistrat qui fait observer la loi est chez Zwingli comme chez saint Paul consécutif au péché.) Nous retrouvons ici l’ambiguïté de la morale zwinglienne où le paulinisme alterne avec le dualisme philosophique.

IV. CONCLUSION GÉNÉRALE DE L’ECCLËSIOLOQIE

zwinglienne. — En conclusion, on peut figurer par le schéma suivant l'évolution de la pensée zwinglienne en matière d’ecclésiologie :

D’une part, il y a approfondissement du concept d'Église proprement dite : la « communauté des croyants » (A) devient la « communauté des prédestinés » (A'). Cette communauté en effet s’entend par référence à Dieu, qui seul voit le fond des cœurs et appelle les individus à la foi (synonyme d'élection). D’autre part, la communauté ecclésiastique (13) et la Cité (C), un moment distinctes, sont bloquées ; plus exactement, la première est absorbée par la seconde. qui, en même temps, se transforme et se modèle intérieurement sur clic (B* = C), soit dans ses structures (conformisme doctrinal et cultuel ; législation appropriée), soit même par son esprit, car l’esprit de l’EgllM (ingenium, cf. C. R., iii, 868, 24) tend à pi ni trer la Cité, soit enfin selon les organes directeurs qui

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