Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1171

Cette page n’a pas encore été corrigée

3871 ZWINGLIANISME. L’EGLISE ET LA SOCIETE TEMPORELLE 3872

tion de Zwingli est prise à son compte et promulguée par le Conseil. Or cette mesure n’aboutit à rien moins qu’à soustraire la Cité à la juridiction épiscopale et à faire de l’Évangile la norme unique de l’enseignement et, du moins indirectement, des relations sociales (cf. C. R., i, 467, 14 ; ii, 628 ; Bullinger, i, 135). La voie est désormais libre pour l’instauration de la Réforme. La parole et les écrits de Zwingli, rédigés parfois sur commande, achèveront de préparer les esprits en faisant l’unanimité entre les prédicateurs et par eux entre leurs ouailles (comp. l’occasion et le but de Eine kurze christliche Einleitung, 17 novembre 1523 ; C. R., ii, 626 sq.).

On verra alors le Conseil réglementer en maître le nouveau culte (Mandat concernant les images, 21 mai 1524, et l’abrogation de la messe, 12 avril 1525), non sans avoir procédé au préalable à de nouvelles disputes (IIe Dispute publique, 26-28 octobre 1523 ; Dispute avec les catholiques, 13-14 janvier 1524, qui achèvent d’éliminer ceux-ci ; cf. C. R., ii, 805) ou à des consultations. Il est intéressant d’ailleurs de noter que, même en ce qui concerne le culte des saints et la messe, sont consultés non seulement les desservants (Leutpriester) de la ville, mais une fraction de conseillers (Ratsherren), le Conseil se réservant la décision (cf. C. R., ii, 804 ; iii, 114). Cette procédure culmine avec l’introduction en 1525 du baptême obligatoire des enfants ( Taufzwang) et la législation concernant la tenue des registres de baptême et de mariage. Voir encore d’autres mesures d’ordre strictement religieux énumérées dans Kreutzer (op. cit., p. 48 sq.).

Il revient à W. Kôhler d’avoir souligné l’importance du tribunal matrimonial (Ehegericht) érigé à Zurich le 25 mai 1526, dont la compétence alla sans cesse s’élargissant et qui, pratiquement, faisait dépendre des injonctions de l’autorité civile toute la vie morale de la communauté zurichoise (cf. W. Kôhler, Zùrcher Ehegericht und Genfer Konsistorium, i, Das Zùrcher Ehegericht und seine Auswirkung in der deutschen Schweiz zur Zeit Zwinglis, dans Quellen und Abhandlungen zur schweiz. Reformationsgeschichte, t. vii, Leipzig, 1932). Déjà avant le xvie siècle, la tendance se manifestait de soustraire bon nombre de causes à la juridiction épiscopale. Cette tendance strictement territorialiste et les exigences de la Réforme se rencontrèrent et conduisirent à l’érection de tribunaux matrimoniaux municipaux, qui en outre, à Zurich et ailleurs, se comportaient en tribunaux de mœurs. Remplaçant le tribunal diocésain, ils avaient sans doute un certain caractère ecclésiastique — il s’avère à ceci qu’à Zurich deux Leutpriester siégeaient avec les quatre membres délégués respectivement par le Grand et le Petit Conseil — mais ils étaient institués par l’autorité étatique, tenaient de celle-ci leur compétence et lui étaient exclusivement subordonnés. Non content de juger les affaires matrimoniales, ce tribunal se mit à Zurich à poursuivre la prostitution, le jeu, le blasphème, le luxe exagéré, la non-pratique religieuse, et même les propos défavorables à l’autorité et à Zwingli lui-même. À rencontre d’A. Farner, pour qui Zwingli s’est abstenu de pousser aussi loin que le fera Calvin la surveillance de la conduite privée, W. Kôhler montre, à l’aide des registres conservés, avec quelle rigueur le tribunal de mœurs contrôlait la vie des Zurichois, jusqu’où il étendait ses tentacules et avec quels moyens (dénonciations) il travaillait. On ne peut donc parler de la discipline des mœurs comme d’une innovation genevoise.

Par ailleurs, ce tribunal se considérait comme un tribunal chrétien : il reflétait donc la conviction qui animait l’autorité civile, d’être essentiellement une autorité chrétienne. L’excommunication ne subsista donc que comme peine infligée par le tribunal de

mœurs civil (elle ne fut pas appliquée en ville, guère à la campagne). Alors que Zilis à S.-Gall s’efforçait d’introduire une excommunication purement ecclésiastique, Zwingli s’y opposa. Enfin, la signification de ce tribunal est rehaussée de ce fait qu’il devint créateur de droit, et on peut le dire, le premier interprète de la conception réformée du mariage. Ici encore on ne saurait minimiser la part de Zwingli qui, s’inspirant du Lévitique, revisa la liste des empêchements du droit canonique. Ce faisant, Zwingli entendait d’ailleurs accroître le rayonnement de son œuvre dans toute la Suisse ; il semble qu’avant Calvin il eut l’idée de faire de Zurich une Cité-Église modèle, dont l’exemple ferait loi et qui contribuerait à donner forme à Févangélisme dans d’autres villes et cantons. L’établissement de ce tribunal, comme aussi certaines réformes sociales, ainsi concernant l’assistance publique (cf. infra, col. 3909), sont à interpréter dans ce sens.

Sans doute, en cette fédération entre l’Église et l’État, disons concrètement entre prédicateurs et conseillers zurichois, le point de vue des uns et des autres était différent ; — on en a un indice dans le langage tenu par le Conseil, lors de la promulgation des différents édits (cf. E. Egli, Aktensammlung zur Geschichte der Zurich. Reformation in den Jahren 1Ô19-1533, Zurich, 1879). Mais le but est le même : faire l’unité des esprits au dedans afin d’assurer l’action commune au dehors (cf. C. R., ii, 629, 5 ; ix, 463, 5). Les agissements des anabaptistes, en même temps que certains facteurs d’ordre extérieur (cf. H. Ëscher, Die Glaubensparteien in der Eidgenossenschaft und ihre Beziehungen zum Ausland, 1882), poussèrent à une coopération plus étroite encore de Zwingli avec les pouvoirs publics ; ils brusquèrent ainsi une évolution que Zwingli s’efforcera parallèlement de justifier théoriquement.

3. Le transfert des compétences et sa justification théorique dans le « Subsidium ». — Sous le couvert de la légalité, une révolution silencieuse s’opérait dans les institutions. Plutôt que de simples mesures ou modalités nouvelles, c’était bien d’un changement de structure qu’il s’agissait. L’opinion publique finit par s’en émouvoir, et la résistance vint de ceux mêmes sur qui Zwingli s’était d’abord appuyé. Déjà lors de la IIe Dispute, il s’entend reprocher de faire le jeu de l’autorité séculière (C. R., ii, 784, 12) ; il s’en tire en répondant que pas plus elle que la communauté (Gemeinde) n’est établie juge sur la Parole de Dieu, qu’il s’agit seulement de savoir ce que celle-ci contient. Sans doute ; néanmoins le Conseil jugea désormais des doctrines et des maximes selon qu’il les trouvait conformes ou contraires à l’Écriture (cf. ibid., 628, 18). Les récriminations ne firent que croître au cours des années suivantes ; elles devinrent particulièrement vives en 1525, alors que l’on ne pouvait plus douter de l’orientation de la politique religieuse de Zwingli. Tandis que l’on verra à Bâle et à Strasbourg s’élaborer une juridiction d’Église constituée par les Anciens, se réservant la surveillance des pasteurs et la discipline sur les membres de la communauté, la tendance zwinglienne était de faire confiance à l’autorité séculière et de mettre l’Église en tutelle, avec ce correctif bien entendu que le prédicateur, ou comme on dirait bientôt, le prophète, rappellerait sans cesse celle-là aux exigences de sa mission en la replaçant devant le pur Évangile. Aussi Zwingli crut-il nécessaire de s’en expliquer et de justifier ses démarches ; il le fit dans une digression du Subsidium sive Coronis de eucharistia (17 août 1525 ; C. R., iv, 479, 5-480, 29) — au demeurant, on pourrait composer une petite autobiographie avec les excursus de ses ouvrages.