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ZWINGLIANISME. LE MINISTÈRE


comme l’écrit A. Farner. Il explique que sans doute l’Écriture est claire à ceux que l’Esprit-Saint instruit dans l’intime de l’âme, mais qu’une exégèse scientifique est indispensable à raison de ceux qui en pervertissent le sens (ibid., 417, 31). Il distingue en outre entre V enseignement officiel dans l’Église, qui est réservé « aux prophètes, interprètes et linguistes », encore que la communauté ait permission d’intervenir, selon I Cor., xiv, 31 (cf. ibid., 427, 15 ; 429, 10. Zwingli observe de près l’ordre suivi par saint Paul : les membres de l’assistance n’interviennent que quand les prophètes ont fini de parler et dans le cas seulement où l’interprétation qu’ils donnent de l’Écriture n’est pas satisfaisante, ibid., 395, 3 sq. ; cf. i, 382, 6) ; — et l’entretien privé sur Dieu, que chacun peut avoir à son gré avec son voisin (C. R., iv, 430, 14). Encore est-il, et ceci est essentiel, que les prophètes et ministres quels qu’ils soient sont soumis au jugement de la communauté rassemblée : il est de la compétence de celle-ci de connaître de la doctrine, grâce « au Dieu qui habite en elle » (ibid., 395, 29 ; cf. C. R., iii, 64, 6 : Der Hirt ; 78, 28 : Anmerkungen zu « Der drei Bischofe Vorirag an die Eidgenossen » ; 751, 21 ; 756, 23 : Commentaire ) — comme aussi d’exercer la discipline (excommunication ; choix des pasteurs, après consultation des principaux de la communauté) (ibid., iv, 427, 10).

Bref, la tendance zwinglienne paraît bien être, à partir de 1525, tout en maintenant l’autonomie des communautés, de restreindre les prérogatives de celles-ci au bénéfice d’un corps constitué de pasteurs et de docteurs, chargés de la discipline et de l’enseignement. C’est l’impression qu’on éprouve à la lecture de ces pages, et en particulier de ce texte alambiqué : « De même qu’il ressortit partout à la communauté de porter les sentences d’excommunication, comme aussi d’enseigner, ainsi et à plus forte raison la nomination d’un docteur (Lehrer) n’est pas de la compétence d’un évêque étranger et orgueilleux, ni d’un abbé, mais de l’Église, s’adjoignant le concours de prophètes et évangélistes chrétiens de bon conseil ; car ce choix n’est pas du ressort de la communauté ordinaire toute seule : on peut l’inférer de I Cor., xiv, où l’enseignement de la doctrine lui-même n’est pas confié à la communauté comme telle, mais aux prophètes, interprètes et linguistes, encore que la communauté soit autorisée à dire son mot » (C. R., iv, 427, 8-17).

De la sorte, cet écrit éclaire la vie et l’évolution des communautés zwingliennes ; il nous les montre passant, comme dirait Sohm, du stade pneumatique au stade constitutionnel. Pour résoudre les problèmes de cet ordre qui se posaient à lui et dont l’urgence était rendue plus grande par suite des agissements des anabaptistes, Zwingli recourut instinctivement au précédent apostolique et entreprit de rétablir le ministère sur la base du Nouveau Testament. Cette reconstruction nous paraît artificielle ; elle était vouée à l’échec parce qu’elle considère le ministère comme définitivement fixé ; elle fait abstraction de l’évolution historique et des éléments culturels qui devaient par la suite entrer dans l’institution et lui donner à chaque siècle un visage nouveau, tout en respectant ses lignes essentielles. En outre, Zwingli se livre à l’égard du texte sacré à toutes sortes de manipulations, dans le but d’appuyer ses réformes. À cet égard, les anabaptistes et autres spirituels sont sans doute plus près de l’Écriture et des chrétientés primitives.

Et cependant on ne saurait leur donner raison. Car, comme l’écrit W. Kôhler, a on n’a jamais réussi à bâtir une organisation sociale sur l’enthousiasme : un François d’Assise l’a expérimenté comme un Georg Fox. Aussi Zwingli l’emporte-t-il sur les anabaptistes,

quand il se prononce en faveur de l’office de prédicateur, substitue à l’inspiration sans mandat l’ordre et le choix de la communauté, et met à la charge de celle-ci l’entretien des P/arrer. Ce sont là les éléments dont une vie ecclésiastique organisée ne peut se passer. I Et d’autre part, il suffit de lire la lettre de Markus I Murer à Zwingli, avec son manque de connaissance I scientifique de la Bible, son alignement mécanique de textes scripturaires, pour se sentir porté à donner raison à Zwingli, quand il exige une bonne formation scientifique des Pfarrer. La simple « lecture » de la Bible ne va pas loin, et les prédicateurs d’aujourd’hui qui ont affaire avec les Cemeinschaften (cercles piétistes ) savent à quelle confusion le biblicisme aboutit. L’humaniste, et en même temps l’homme qui vit au contact des réalités, défendent ici en la personne de Zwingli les intérêts vitaux de la Réforme. Le succès du christianisme laïc des anabaptistes eût signifié l’infériorité culturelle de la Réforme et l’eût reléguée en marge des grands courants de l’histoire » (au t. iv des Œuvres, C. R., p. 378).

4° Derniers développements. Prédominance du Prophète. — Par ailleurs, encore que Zwingli étaye ses vues sur le ministère à l’aide du même texte (Eph., iv, 11) qui suggérera à Bucer et à Calvin l’instauration d’un quadruple ministère (cf. les études de Strohl et Fr. Wendel), on chercherait en vain chez lui l’idée d’une pluralité de ministères ; elle est même exclue expressément par le 62e article de Y Auslegung der Schlussreden (C. R., ii, 441, 1 sq.). De même, Zwingli assimile les fiyoûiævoi de Hebr., xiii, 17 à de simples ministres de la parole (C. R., ii, 312, 16) ; et la fonction d’Ancien (Act., xv, 6) n’a pas pour lui de connotation proprement religieuse (C. R., ix, 455, 33 ; cf. A. Farner, op. cit., p. 115).

Tout au plus prévoit-il que dans la même ville les ministres se partagent les tâches pastorale et d’enseignement, en vue sans doute de libérer ceux qui sont spécialement chargés de la doctrine (C. R., iv, 416, 19). À ceux-ci il incombe, non seulement d’instruire les communautés, mais aussi et plus encore de former les futures recrues au ministère et d’établir ainsi une certaine unanimité ou tradition doctrinale. Voir plus haut, col. 3767, le rôle de la Prophezei, dont l’institution à Zurich est contemporaine du Von dem Predigtamt (C. R., iv, 398, 6).

Dans la suite, Zwingli donnera la prééminence au prophète, qui sera, à lui seul, comme une personnification ou une sorte d’épitomé du ministère : ainsi dans le prologue à la Complanatio Ieremise Prophetse (1531) (Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 1 sq.). Dans la Fidei ratio (1530), Zwingli superpose au ministère régulier des ministres du culte ou pasteurs et des docteurs le ministère prophétique (Sch.-Sch., vol. iv, p. 16). De la sorte, finalement, le ministre-type de l’Église zwinglienne, ce ne sera donc ni le prêtre ni le pasteur, mais le prophète, avec l’ambiguïté que ce terme implique déjà dans l’Écriture (C. R., iv, 397, 33). A Zurich même, il y aura des prophètes en sous-ordre, qui feront plutôt fonction de magistri es sciences bibliques, tandis que Zwingli sera le grand inspiré, présidant aux destinées de l’Église et de la société civile elle-même. Comme l’écrit A. Farner (op. cit., p. 22), « c’est sa situation personnelle de prophète qui a imprimé à sa conception de l’Église la direction qu’on lui voit prendre ».

/II. RELATIONS DE L’ÉGLISE ET DE L’ÉTAT. —

Position de la question. Interprétations modernes. — a) Avant de s’attaquer aux textes de Zwingli sur le sujet, il convient d’abord de déblayer le terrain de toutes les théories accumulées depuis un demi-siècle, lesquelles procèdent d’un point de vue trop exclusivement juridique ou juridico-ecclésiastique et ne