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ZWINGLI. JEUNESSE ET FORMATION

l’école paroissiale de Saint-Martin de Bâle, ce qui ne l’empêchait pas de poursuivre ses chères études à l’université du lieu. Ce fut à Bâle qu’il prit, en 1504, le grade de bachelier ; en 1506, celui de maître es arts, correspondant à notre licence. L’un de ses amis de Bâle était l’Alsacien Leo Jud, né en 1482, que nous retrouverons plus loin. Le séjour à Bâle eut sur Zwingli une influence décisive, en ce qu’il acheva de s’y dégoûter de l’antique scolastique et de se ranger dans les rangs de ces humanistes réformistes dont l’ambition était de régénérer la chrétienté par un nouveau système éducatif. L’initiateur, pour lui, fut ici un maître arrivé à Bâle en novembre 1505, Thomas Wyttenbach, de Bienne, qui lui apprit à recourir à l’Écriture et aux Pères, comme aux vraies sources de la vérité chrétienne. C’était ce que nous appelons maintenant l’adhésion à la « théologie positive » par opposition à la « théologie de l’École », devenue prédominante depuis le Moyen Age. Toutefois, il faut bien se garder de croire que les tenants de la nouvelle théologie eussent la moindre pensée de se mettre en état de rébellion contre l’Église catholique. Longtemps encore, Zwingli devait rester fils soumis de l’Église. Il venait à peine de conquérir le titre de maître es arts, quand il fut élu curé de Glaris. Il s’empressa donc de se faire ordonner prêtre à Constance. Il donna son premier sermon à Rapperswil, sur le lac de Zurich, et, après avoir célébré sa première messe à Wildhaus, son village natal, vint prendre possession de sa paroisse, vers la fin de 1506. Il devait rester dix ans curé de Glaris.

Deux traits dominent ses débuts dans la vie ecclésiastique : il se pose en humaniste et en patriote, lin tant qu’humaniste, il se fait remarquer par son amour des livres, sa passion de l’étude et spécialement son amour du grec, si peu connu encore en Suisse. Su correspondance dont les premières pièces remontent, dans ce qui nous en reste, à l’an 1510, nous le montre en rapports étroits avec les humanistes suisses, Henri Loriti (Glareanus) et Joachim de Watt (Vadianus). Ses amis ne manquent jamais, en répondant à ses lettres, de vanter son érudition et son style. Ils lui communiquent les nouvelles de la République des lettres. Ils le nomment « le philosophe et théologien », le « très docte », le « très éloquent maître de la lyre d’Apollon », le « Cicéron de notre temps ». On lui écrit dans une langue recherchée et précieuse, comme à un critique délicat et difficile. Les écoliers qu’il patronne, dont un de ses frères, Jacques Zwingli, confié par lui à Vadian, à Vienne, ne sont pas les moins enthousiastes à son égard. Sur tout cela voir la Correspondance de Zwingli, dans Corpus Reformatorun, Opera Zwingli, t. vii, p. 1 sq.

Or, le prince des lettres, à cette date, était le grand Érasme de Rotterdam. Qui n’avait alors, parmi les humanistes en herbe, l’ambition d’être honoré d’une épître de sa main ? Zwingli brûlait du même désir que tous les autres. A une date, où Luther sentait déjà profondément ses différences d’avec le célèbre écrivain et déclarait à Spalatin qu’Érasme ne donnait pas assez à la grâce et trop a la volonté humaine, Zwingli témoigne envers l’idole d’une vénération presque comique. Il lui écrit de Glaris, le 29 avril 1516, une lettre que nous possédons et qui est un monument

« le flatterie enfantine et de naïve adulation :

« Au moment de t’écrire, ô le meilleur des hommes,

D. Érasme, je me sens terrifié par la splendeur de ton érudition, à qui conviendrait seul un monde plus vaste que celui que nous contemplons… Tu es en effet pour nous cet amant qui nous ravit le sommeil quand nous ne pouvons lui parler… Pour ta bienfaisance universelle. Je me suis, bien tard sans doute, donné à toi, comme jadis Aeschine à Socrate. Si tu n’acceptes pas ce don indigne de toi, j’ajouterai plus que les Corinthiens, dédaignés par Alexandre : à savoir que je ne me suis donné ni ne me donnerai jamais à un autre. Que si tu n’acceptes même pas cela, ce sera assez pour moi d’avoir été repoussé, car rien ne corrige mieux la vie que d’avoir déplu à un homme tel que toi. Que tu le veuilles ou non, tu me rendras donc meilleur. Use désormais comme tu le voudras de ton esclave ! … » Opera, ibid., t. vii, p. 35-36.

L’année précédente, Érasme avait daigné recevoir avec bienveillance, à Bâle, le curé de Glaris venu tout exprès pour le voir et n’avait pas méprisé « ce littérateur inconnu » ! La reconnaissance de Zwingli avait été sans bornes. Les termes lui manquent pour l’exprimer et il manie l’encensoir avec une admirable insistance !

Et pourtant, le prêtre, le curé qui s’abaissait à de tels compliments, à de telles fadeurs, n’était plus tout à fait un jeune homme. En 1516, il a trente-deux ans et dix années de ministère paroissial. Il exerce autour de lui une influence qui semble considérable. Il est très mêlé à la vie de sou peuple. Il s’est fait connaître comme prédicateur éloquent et érudit. Mieux que cela, il a suivi ses ouailles sur les champs de bataille, où, depuis Granson et Morat, s’exerçait, au compte des puissances étrangères, la vaillance irrésistible des Suisses. Il a partagé avec eux la victoire de Novare, en 1513, puis la terrible défaite de Marignan, en 1515. Bullinger nous assure qu’il s’était partout montré un entraîneur d’hommes courageux et ardent. Sa renommée s’était accrue par la publication de quelques écrits, que nous possédons encore. Dans le premier, La fable du bœuf, il avait tenté, sous la forme ingénieuse d’un apologue transparent, de détourner ses compatriotes de l’alliance française pour les porter vers l’alliance du pape. Das Fabel Gedicht vom Ochsen, automne 1510, Opera, t. i, p. 1 sq. Il n’était donc, à cette date, nullement opposé à l’autorité papale, bien au contraire. Dans le second, — une relation de la campagne franco-suisse en Italie, de 1512, il demeurait sur le terrain strictement politique et patriotique. Dans le troisième, intitulé Le labyrinthe, le lecteur attentif pouvait, par contre, discerner l’apparition d’idées toutes nouvelles et de préoccupations toutes différentes. La critique la plus récente date ce troisième écrit du début de 1516 ; il serait donc contemporain de la lettre à Érasme, qui est de la fin d’avril. Opera, t. i, p. 39-53, étude critique, puis p. 53-60, texte.

Il n’en est que plus étonnant qu’un tel homme, si conscient de sa valeur et si énergique, ait pu écrire à Érasme une lettre aussi plate que celle dont on a vu plus haut les extraits les plus significatifs. Il faut qu’il se soit passé quelque chose dans sa vie et que la solennité de son adhésion à la doctrine d’Érasme ait revêtu pour lui une importance exceptionnelle, pour que le ton en soit admissible. Les historiens de la Réforme ne paraissent pas qvoir attaché à l’année 1516 une attention suffisante, en ce qui concerne l’évolution de Zwingli. Nous allons donc y insister quelque peu.

Toutes les fois que, dans la suite, il voulait donner une date marquant son passage à une conception nouvelle de son ministère do prédicateur, c’était toujours à l’année 1516 et à l’influence d’Érasme que Zwingli se référait. On notera que Luther est encore totalement inconnu à cette date, que la fameuse liste des 95 thèses sur les indulgences, dont l’affichage à la porte de la collégiale de Wittenberg allait donner le signal de la Révolution, ne devait paraître ainsi en public que le 31 octobre 1517. Notons enfin que Zwingli se défendra toujours d’avoir imité Luther. Ainsi, dans son Exposition et démonstration articles, qui est du 14 juillet 1523, se plaignant d’être