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ZINZENDORF. LES FRÈRES MORAVES

avaient eu alors, en la personne de Jean-Amos Komensky (Comenius), un évêque remarquable, à la fois théologien et éducateur, d’esprit large et instruit, qui rêvait d’une réconciliation générale des chrétiens, mais par la destruction de la papauté et de l’empire. Ce personnage était mort en exil à Amsterdam, en 1670, sans laisser de successeur. La secte paraissait vouée à la disparition totale. Il en restait cependant des « germes cachés », selon le mot de Komensky.

Le jeune comte de Zinzendorf ignorait tout de cette secte, quand, au mois de mai 1722, le pasteur Rothe lui présenta un charpentier morave, nommé Christian David qui sollicitait, pour lui et quelques-uns de ses compatriotes, désireux de fuir le territoire soumis à l’Autriche, un refuge sur ses terres. Le comte n’y attacha d’abord qu’une importance secondaire, n ne comptait pas retenir les réfugiés sur son domaine, mais il accepta de leur donner un abri provisoire. Les nouveaux venus s’installèrent sur les pentes du Hutberg, qu’ils appelèrent Herrnhut, poste de garde du Seigneur. Zinzendorf ne s’occupa que fort peu d’eux, dans les premières années. Il avait fait de son château de Berthelsdorf une sorte de chapelle très fervente. Avec son pasteur et deux autres amis, il avait conclu le « Pacte des quatre frères », destiné à gagner des adhérents à la foi et à la religion du cœur, que le comte regardait comme la seule qui comptât. L’amour de la personne du Christ était le lien de cette association. On avait fondé d’abord un collège pour la jeunesse noble, mais il ne dura que trois ans (1724-1727), on créa ensuite un orphelinat du genre piétiste. Zinzendorf écrivait des tracts pieux, rédigeait des cantiques, publiait un périodique intitulé le Socrate de Dresde, à l’adresse des incrédules. Il voulait réconcilier la raison et la foi. Mais cette propagande n’eut qu’un succès médiocre. Pendant ce temps, l’émigration morave se poursuivait. Elle se prolongea plus de dix ans. L’installation provisoire se consolidait. Le protecteur dut peu à peu s’occuper toujours davantage des réfugiés, parmi lesquels des divisions fâcheuses avaient éclaté. Il demanda un congé de l’administration, puis démissionna complètement, en 1728, pour se consacrer entièrement aux moraves. Le 12 mai 1727, avait eu lieu, à Herrnhut, la prestation de serment à la Charte (Rügen) imposée par le seigneur, et à la convention libre (Willkilr) votée par le groupe. C’est de ce serment que date la restauration des frères moraves. Mais ils n’étaient légalement qu’une annexe de la paroisse luthérienne de Berthelsdorf. Dans cette annexe, ils avaient leurs offices présidés par des laïques élus, sous la présidence de Zinzendorf. Un ordre rigoureux fut établi dans la colonie morave. Un roulement continu de prières, ne s’arrêtant ni le jour ni la nuit, fut institué pour obtenir la protection du Seigneur contre les ennemis éventuels des frères. Les enfants furent enlevés de bonne heure à leurs parents pour être élevés dans des orphelinats séparés, l’un pour les garçons, l’autre pour les filles. Les mariages ne furent autorisés qu’après la certitude acquise que le nouveau foyer disposait des éléments spirituels et matériels d’existence. Deux réunions pieuses avaient lieu chaque jour, pour chaque

« chœur » ou section de la population. Chaque « chœur » 

était présidé par un « ancien ». L’office du malin consistait surtout en lectures de la Bible, celui du soir, en chants religieux, coupés ou suivis de communications des lettres des absents. Dans les lieux de réunion, ni chaire, ni autel. Point de costume particulier pour l’officiant.

Comme il fallait s’y attendre, ces nouveautés suscitèrent les curiosités, puis les critiques, puis les oppositions plus ou moins violentes des pasteurs luthériens du voisinage et même des centres luthériens plus éloignés. Zinzendorf répondait à tous avec vigueur et défendait son petit troupeau, tout en prétendant que l’on y professait intégralement la Confession d’Augsbourg, appelée familièrement l’Augustana, si bien que les prescriptions des traités de Westphalie, n’autorisant en Allemagne que le catholicisme et le luthéranisme, n’étaient pas violées.

Ce fut à l’occasion de ces discussions que Zinzendorf rompit avec le piétisme. On lui reprocha de Halle qu’il n’avait pas rendu son témoignage au sujet du Busskampf, combat de pénitence, considéré chez les piétistes comme indispensable au salut. Il en eut du scrupule et tint à se mettre en règle. Mais il n’en tira, dit-il, aucun profit pour son âme. Il devait dire plus tard : « Ce qu’on appelle agon pœnitentiæ. Busskampf, ne peut être autre chose qu’une sorte de convulsion spirituelle… Je reconnais qu’il vaut infiniment mieux qu’un enfant souffre de convulsions en faisant ses dents, qu’il ne meure pendant la dentition, mais je prétends qu’on n’a jamais vu de médecin assez homme à système pour défendre aux enfants de faire leurs dents sans avoir préalablement été malades ! »

Devant les attaques des piétistes, il en vint à s’écrier plus tard : « Il n’y a qu’une seule race au monde à laquelle je ne puisse me faire et qui me soit antipathique, c’est cette misérable espèce de chrétiens qui se décernent le titre de piétistes que personne ne leur accorde ! » Toutefois, il conservait l’empreinte piétiste de son enfance. « La pratique de Halle, et la théorie de Wittenberg », telle fut une de ses formules.

Une période nouvelle s’ouvrit dans sa vie avec le dessein d’annoncer le règne du Christ aux païens des pays coloniaux, soit aux Indes occidentales (Amérique), soit au Groënland (1732-1733). Une équipe de missionnaires et de colons moraves envoyés par lui, en 1735, en Géorgie, voyagea avec le ministre anglican Charles Wesley, jeune encore. Wesley, profondément touché par l’attitude impavide des moraves, en face d’une terrible tempête, s’attacha à eux, voulut les connaître de plus près, et entretint, durant quelques années, avec eux, des rapports très étroits, qui ne laissèrent pas d’influencer son évolution personnelle d’une manière très notable.

En 1736, Zinzendorf fut frappé d’un ordre de bannissement par le gouvernement saxon, en raison des accusations portées contre lui comme fondateur de secte illégale. Il dut quitter le pays, bien que la commission d’enquête désignée pour informer sur les faits d’Herrnhut, n’eût rien trouvé de condamnable. La communauté d’Herrnhut fut autorisée à subsister, à condition d’observer strictement l’Augustana et de ne plus recevoir d’adhérents. Parti de Saxe avec un groupe des siens, Zinzendorf vint s’établir dans le Wetterau, région située entre le Taunus et le Vogelsberg, en un lieu qu’il nomma Herrnhag (enclos du Seigneur). Mais il mena personnellement, à partir de ce temps, une vie plus ou moins errante. On le trouve en Livonie, où il fonde un groupe de moraves. A son retour, au passage à Berlin, il se fait sacrer évêque, le 20 mai 1737, par Jablonsky, qu’un groupe de frères moraves avait lui-même élu évêque en 1698. et qui avait déjà sacré évêque un des missionnaires moraves de Zinzendorf partant pour la Géorgie. A cette date, il croit encore possible le maintien de l’unité des frères moraves avec le luthéranisme. Mais à partir de 1738, il s’oriente vers une nouvelle conception. Jablonsky avait travaillé, toute sa vie, en union avec le grand philosophe Leibnitz, à la réconciliation de l’Église évangélique (luthérienne) et de l’Église réformée (calviniste). Zinzendorf était, depuis