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WIMPHELING (JACQUES)

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caractère trop vif pour n’y point mêler d’allusions personnelles. Ayant recommandé à ses disciples d’être en philosophie des Aristotes, et en théologie, des Augustins, Wimpheling saisissait l’occasion pour dauber les moines dont il avait à se plaindre. Augustin, disait-il, n’a jamais appartenu à un ordre. Il n’a jamais porté le capuchon, dans lequel les moines mettent toute leur sainteté. Au surplus, ni les grands philosophes, ni Jésus-Christ, ni Moïse, ni les apôtres, ni les anciens Pères de l’Église, ni de très grands personnages plus récents, tels que Grégoire le Grand, Bède, Alcuin, ne furent moines. Ces truismes agressifs soulevèrent contre leur auteur une vraie tempête. Il dut quitter Fribourg, se réfugier dans une propriété des parents de son élève, Sturm. Il fut copieusement réfuté, en prose et en vers, et qui mieux est, dénoncé à Rome. Il trouva toutefois de zélés défenseurs, notamment les deux évêques de Strasbourg et de Bàle — ce dernier, son ami Christophe von Utenheim. Au plus fort de la tourmente, il publiait un autre écrit déjà rédigé antérieurement : Apologia pro republica christiana, où il prenait à partie les chasseurs de bénéfices, dont il avait eu lui-même à souffrir. Et comme si ces querelles ne suffisaient pas encore, Wimpheling qui, décidément, ne craignait pas la lutte, se jetait dans une vive discussion qui venait d’éclater entre son ami Jacques Locher, surnommé Philomusus, et le théologien réaliste Georges Zingel. Il s’agissait des relations réciproques de la poésie et de la théologie. Les adversaires, au fond, ne différaient pas de sentiment. Mais les esprits, à cette époque, étaient pleins de verdeur et d’irascibilité. Locher avait malmené son contradicteur et par contre-coup la théologie en général. Wimpheling prit la défense de cette dernière. Locher s’emporta contre son ami dans un pamphlet dirigé contre « la théologie des mulets », la scolastique. Wimpheling publia, en 1510, une rude riposte contre les « poètes des mulets » : Contra turpem libellum Philomusi. Bien qu’humaniste lui-même, il réduisait la poésie au rôle modeste d’annexé de la grammaire et lui déniait, non sans raison, tout caractère scientifique.

Dans l’intervalle, en 1507, à l’instigation de Geiler, Wimpheling avait publié une courte histoire des évêques de Strasbourg. La même année, il donnait encore un opuscule sur l’art de l’imprimerie : De arte impressoria, où l’on peut voir une sorte d’histoire littéraire allemande de son temps. Il y passe en revue en effet les plus illustres humanistes de son pays et fait brillamment leur éloge : Rodolphe Agricola (14421485), Alexandre Hegius (1433-1498), Jean de Dalberg (1445-1503). Il se vante, avec son grand ami Jean Trithemius (1462-1516), du retour en honneur de saint Thomas d’Aquin, en théologie, révélant du même coup ses propres opinions théologiques. De cet opuscule, l’historien Jean Janssen a tiré grand parti dans sa grande œuvre, L’Allemagne et la Réforme. C’est là que Wimpheling proclame carrément la supériorité de l’Allemagne, en matière de culture : « Nous autres, Allemands, dit-il, nous dominons presque tout le marché intellectuel de l’Europe civilisée. Mais aussi nous n’y offrons guère que de nobles productions qui ne tendent qu’à la gloire de Dieu, au salut des âmes et à l’instruction du peuple. » Cité par Janssen, traduction française, t. i", p. 15.

En 1510, mourait le grand prédicateur strasbourgeois Geiler de Kaisersberg. Wimpheling publia aussitôt une chaleureuse notice sur son ami : In Joh. Kaiserspergii mortem planctus. La même année, un de ses neveux, Jacques Spiegel, transmettait à Wimpheling une demande de l’empereur Maximilien, tendant à combattre les abus de la Curie romaine. L’écrivain s’exécuta, en prenant pour base de départ la

Pragmatique Sanction française, c’est-à-dire la supériorité du concile sur le pape et l’indépendance financière et politique des Églises nationales vis-à-vis du Saint-Siège. Il rééditait par ailleurs les fameux Gravamina ou Griefs de la nation allemande contre la Curie, déjà énumérés, dès 1457, par Martin Mayr, dans un écrit présenté à /Eneas Sylvius Piccolomini (futur pape Pie II). Mais quand l’œuvre de Wimpheling parvint à l’empereur, celui-ci était déjà en pourparlers diplomatiques avec Rome. L’écrit fut mis aux archives. Spiegel ne le publia qu’en 1520, un an après la mort de f’empereur Maximilien.

Dans les années suivantes, exactement en 1514, Wimpheling, sur le désir de son ami Christophe de Utenheim, évêque de Bàle, qui était alors à la tête d’un couvent de la Forêt-Noire, peut-être Sulzburg, publia une sorte de résumé de ses idées pédagogiques : Diatriba de proba institntione puerorum in triuialibus et adolescentium in universalibus gymnasiis, une sorte de manuel à l’usage des instituteurs des écoles primaires (in trivialibus) et des écoles préparatoires à l’université (gymnasia). Les oppositions devaient se poursuivre contre ses idées, car nous avons de lui, à la même date, une apologie personnelle, qui est la source principale de nos renseignements sur sa carrière : Expurgatio contra detrectatores.

III. Caractéristiques’et appréciation. — Il ressort de tout ce qui précède que Wimpheling fut un écrivain fécond, tumultueux, populaire. Janssen estime à 30 000 exemplaires, chiffre énorme, le tirage des diverses éditions de ses écrits pédagogiques. Rien de génial sans doute, en tout cela, mais de la bonne volonté, une érudition touffue et variée, à la mode du temps, des idées intéressantes, du bon sens, quelques principes sûrs. L’auteur a mérité, avant Mélanchthon, le titre glorieux de « précepteur de l’Allemagne, præceptor Germanise ». Janssen dit de son œuvre : « C’est une œuvre vraiment nationale et qui mérite d’être saluée par tous avec reconnaissance et respect. » Puis, il ajoute, parlant plus spécialement du livre intitulé Adolescentia (1500) : « II appartient au petit nombre de livres qui font époque dans l’histoire de l’humanité. » Édit. française, t. i er, p. 63. Wimpheling n’était cependant pas sans défauts. Il aimait la polémique. Il reconnaissait lui-même que la maladie et la fatigue due à l’excès de travail le rendaient parfois injuste et amer. Il manque de mesure et de pondération. Il est bien de son temps sous ce rapport. Rarement les discussions d’idées ont été plus mordantes et plus âpres qu’à cette époque de fermentation générale, aube de l’une des plus grandes révolutions spirituelles de l’histoire. Personnellement désintéressé et animé de nobles intentions, il est souvent exagéré et injurieux pour ses adversaires. Il reçoit des coups et il en donne. Visiblement, il y trouve plaisir. C’est pourquoi l’on n’est pas surpris de le trouver, jusqu’en 1520, favorable au mouvement luthérien. Il n’approuvait peut-être pas tout ce qui sortait de la plume de Luther, mais il pensait, comme beaucoup de catholiques sincères, que de tout ce bruit pouvait finalement sortir une poussée utile vers la réforme nécessaire de l’Église. Cependant, quand Luther eut publié, en octobre 1520, son De captivitate babylonica, qui attaquait ouvertement le système sacramentaire de l’Église, Wimpheling comprit qu’il allait trop loin. Il avait alors soixante-dix ans et vivait au ralenti, travaillé par les rhumatismes et la goutte, dans sa ville natale, Sélestat. Il n’en manifesta pas moins hautement son loyalisme catholique, en réprouvant les excès des novateurs. Pour comprendre toute la portée de son attitude, il faut se rappeler qu’il avait groupé autour de lui tout un groupe de jeunes admirateurs, en une sorte de société littéraire. Parmi les