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    1. PRÉDESTINATION##


PRÉDESTINATION. SA CAUSE

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Le motif de la prédestination en général est donc la manifestation de la bonté divine, sous la forme de la miséricorde qui pardonne ; celui de la prédestination de tel homme plutôt que de tel autre est le bon plaisir divin. S’il en est ainsi, comment formuler exactement le motif de la réprobation soit positive, soit négative ?

Le molij de la réprobation.

1. Il est clair tout

d’abord que la réprobation positive des anges et des hommes suppose la prévision de leurs démérites ; car Dieu ne peut vouloir infliger la peine de la damnation que pour une faute. En cela tous les catholiques s’accordent contre Calvin. Plusieurs passages de l’Écriture nous disent que Dieu ne veut pas la mort de l’impie, mais qu’il se convertisse et qu’il vive : Ez., xxxiii, 11 ; II Petr., iii, 9 ; et les théologiens citent souvent ces paroles de Dieu dites par le prophète Osée, xiii, : Perditio tua ex le, Israël ; lantummodo in me auxilium luum.

Il est évident d’ailleurs que Dieu ne peut vouloir une chose qu’en tant qu’elle est bonne ; et Ja peine n’est bonne et juste que si elle suppose un péché. En cela, elle diffère de la récompense, qui est bonne en elle-même, indépendamment des mérites. La récompense à titre de don excellent peut être voulue dans l’ordre d’intention avant la prévision des mérites, bien que, dans l’ordre d’exécution et à titre de récompense, elle dépende d’eux. On ne saurait en dire autant de la peine, ni chercher un parallélisme absolu entre le bien et le mal.

2. Le motif de la réprobation négative, prise absolument ou en général, n’est pas la prévision des démérites des réprouvés ; car cette réprobation négative n’est autre que la permission divine de ces démérites, et donc elle précède logiquement leur prévision au lieu de la suivre ; sans cette divine permission, ces démérites n’arriveraient pas dans le temps et ne seraient pas prévus de toute éternité. Il faut dire, d’après le dernier texte que nous venons de citer, I a, q. xxiii, a. 5, ad 3um : le motif de la réprobation négative est que Dieu a voulu manifester sa bonté non seulement sous la forme de la miséricorde, mais sous celle de la justice, et qu’il appartient à la Providence de permettre que certains êtres défectibles défaillent et que certains maux arrivent, sans lesquels des biens supérieurs n’existeraient pas.

Et, si l’on demande pourquoi Dieu a choisi celui-ci et non pas celui-là, il n’y a, nous l’avons vii, d’après saint Thomas, d’autre raison que la simple volonté divine, qui se trouve ainsi le motif et de la prédestination individuelle, et de la réprobation négative individuelle de celui-ci plutôt que de celui-là. En d’autres termes, parmi ceux qui sont également défectibles, pourquoi la défaillance de celui-ci est-elle permise plutôt que la défaillance d’un autre, il n’y a d’autre raison que la volonté divine. Et, en un sens, tous les théologiens catholiques l’admettent, car tous doivent dire au moins que Dieu aurait pu préserver ceux qui se perdent et permettre la chute de ceux qui se sauvent.

La principale difficulté qui se présente est celle-ci : vouloir manifester la splendeur de la justice vengeresse avant d’avoir prévu la faute, c’est vouloir la peine avant la faute, ce qui est injuste. Or, il en serait ainsi d’après l’explication précédente. Elle est donc inadmissible.

Les thomistes répondent en niant la majeure qui confond la justice infinie avec la peine qui la manifestera. Et, en effet, Dieu ne veut pas permettre la faute par amour du châtiment, cela répugnerait à la justice. Mais, pour manifester sa justice infinie et le droit du souverain Bien à être aimé par-dessus tout, il veut .permettre la faute, et ensuite infliger la peine à cause de la faute.

De la sorte, la peine n’est qu’un moyen fini de mani fester la justice infinie, et un moyen qui n’est pas une fin intermédiaire voulue avant la permission de la faute, car il n’est bon et juste de punir que pour une faute. Et donc, très certainement, Dieu veut permettre le péché non pas par amour du châtiment fini, mais par amour de sa justice infinie, ou par amour de sa souveraine bonté qui a droit à être aimée par-dessus tout. Enfin, lorsque Dieu veut manifester sa justice vengeresse, cela présuppose bien la possibilité du péché, mais pas encore sa permission divine, ni sa prévision. Il en est tout autrement lorsqu’il veut infliger la peine de la damnation.

On insiste : « Dieu n’abandonne pas les justes avant d’avoir été abandonné par eux » (Denzinger, n. 804), dit le concile de Trente. Or, il en serait ainsi s’il voulait permettre la défaillance ou le péché avant la prévision du péché.

A cela il faut répondre que : a) ce texte du concile de Trente est emprunté à saint Augustin, De nat. et gral., xxvi, 29, qui admettait pourtant que la réprobation négative ou permission du péché est logiquement antérieure à la prévision de celui-ci ; b) ce texte parle non pas de tous les hommes, mais des justes, et il signifie que Dieu ne les prive de la grâce habituelle ou sanctifiante que pour un péché mortel ; c) il signifie encore d’une façon plus générale que nul n’est privé d’une grâce efficace nécessaire au salut que par sa faute, car Dieu ne commande jamais l’impossible ; d) mais cette faute, pour laquelle Dieu refuse la grâce efficace, ne se produirait pas sans une permission divine, qui est non pas certes sa cause, mais sa condition sine qua non. Il faut donc distinguer la simple permission divine du péché, manifestement antérieure au péché permis, du refus divin de la grâce efficace à cause de ce péché ; ce refus est une peine qui présuppose la faute, tandis que la faute présuppose la permission divine.

La permission divine du péché, qui est bonne ralione finis (propler majus bonum), comporte certes la nonconservation de la volonté créée dans le bien hic et mine. Cette non-conservation, n’étant pas quelque chose de réel, n’est pas un bien ; mais elle n’est pas non plus un mal, car elle n’est pas la privation d’un bien dû, elle est seulement la négation d’un bien qui n’est pas dû. Dieu se doit sans doute à lui-même de conserver dans l’existence une volonté spirituelle créée, mais il ne se doit pas à lui-même de conserver dans le bien cette volonté qui, de sa nature, est défectible ; et si Dieu y était tenu, le péché n’arriverait jamais et l’impeccance en Marie ne serait pas un privilège.

La non-conservation de. notre volonté dans le bien n’est pas un mal, ni mal du péché, ni mal de la peine, c’est un non-bien ; comme la nescience n’est pas ignorance, c’est une négation, non une privation.

Au contraire, la soustraction divine de la grâce efficace est une peine, et une peine qui suppose une faute au moins initiale.

On peut dire encore avec saint Thomas, Ia-II 56, q. lxxix, a. 3, qu’après un premier péché la permission divine d’un second et d’un troisième péché est déjà une peine du premier ; mais on ne pourrait en dire autant de la permission divine du premier péché, à laquelle ne saurait s’appliquer le texte du concile de Trente qui vient d’être cité.

Il est certain que la permission divine du premier péché n’est pas postérieure à la prévision de celui-ci, car Dieu ne peut prévoir une faute qu’en tant qu’il la permet, et, sans cette permission, elle n’arriverait jamais.

On peut faire une dernière instance et dire : On conçoit encore la permission divine d’un péché quelconque surtout dans la vie des élus ; car ce péché n’est permis que pour un plus grand bien qui les concerne person-