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2995 PRÉDESTINATION. LE POINT CULMINANT DU MYSTÈRE

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Le IIIe concile de Valence, en 855, a insisté plus sur la gratuité de la prédestination à la vie éternelle en tant qu’elle se distingue de la simple prescience, qui porte aussi sur le mal. D’après ses déclarations, le moindre bien et la moindre peine justement infligée n’arrivent jamais sans un décret positif et infaillible de Dieu, et aucun péché n’arrive, et n’arrive ici plutôt que là, sans sa prescience et sa permission. Voir le texte, col. 2922.

On sait qu’après le concile de Langres (859) les discussions lelatives à la prédestination entre Hincmar, grand adversaire de Gotescalc, et l'Église de Lyon, s’achevèrent à Thuzey en 860. La lettre synodale qui y fut approuvée contient les affirmations suivantes. Texte dans P. L., t. cxxvi, col. 123, analysé ci-dessus, col. 2929.

1. In cœlo et in (erra cmnia quæcumque volait Deus fecil. Nihil enim in cœlo vel in lerra fit, nisi quod ipse aut propitius fæif, aut fieri juste pcrmillit. C’est dire que tout bien, facile ou difficile, naturel ou surnaturel, vient de Dieu, et qu’aucun péché n’arrive, et n’arrive en tel homme plutôt qu’en te) autre, sans une permission divine. Ce principe extrêmement général contient évidemment d’innombrables conséquences. Les thomistes y voient l'équivalent du principe de prédilection. De ce principe général dérivent les autres assertions de cette lettre synodale. — 2. Qui vult cmneslomines salves fieri et neminem vult perire… nec post primi heminis casum vult tollere violenter suie voluntatis arbilrium liberum. — 3. Ut autem ambulantes ambulenl et persévèrent in innocentia, sanat et adjuvat eorum arbilrium gratia. — 4. Qui se elonganl a Deo, volente congregarc filios nolenlis Jérusalem, peribunt. —

5. Unde quia gratia Dei est, salvatur mundus ; et quia inest liberum arbitrivm hemini, judicabitur mundus. —

6. Adem per malum velle pcrdidil bonum posse… Qua de re jacla est massa perdilionis lolius humani generis. De qua si nullus ad salulem eriperetur, irreprehensibilis essel Dei justifia ; quia vero mulli salvantur ineffabilis est Dei gratia. Ces dernières paroles sont d’Augustin et de Prosper. C’est ainsi qu'à la fin de ces controverses du ixe siècle les évêques réunis au concile de Thuzey rejetèrent absolument la prédestination au mal et affirmèrent la volonté salvifique universelle, comme l’avait fait Prosper. Dieu ne commande jamais l’impossible, il veut rendre possible à tous l’accomplissement de ses préceptes et le salut, voilà ce qu’atlirment, avec saint Augustin et saint Prosper, tous les évêques réunis à ce dernier concile, mais ils ne nient nullement pour cela l’autre aspect du mystère : la gratuité absolue de la prédestination, de la vraie prédestination qui s’oppose à la réprobation.

3. Aux xvie et XVIIe siècles. — Cette doctrine de l'Église fut confirmée par les décisions du concile de Trente contre les erreurs protestantes et par la condamnation du jansénisme.

L'Église déclara de nouveau que l’homme après le péché originel reste libre pour faire Je bien avec le secours de la grâce, en consentant à y coopérer, alors qu’il peut y résister. Denzinger, n. 797, cf. n. 8f6. Il suit de là que Dieu ne prédestine personne au mal (ibid., n. 827), mais qu’il veut au contraire le salut de tous les hommes, et que le Christ est mort pour tous, bien que tous ne reçoivent pas le bienfait qui est le fruit de sa mort, mais seulement ceux à qui est communiqué Je mérite de Ja passion, sed ii durnlax ii, quibus meritum passionis ejus communicatur. Ibid., n. 795. Les bonnes œuvres sont nécessaires au salut, pour les adultes, et la gloire est la récompense de leurs mérites, dans l’ordre d’exécution, au terme del'épreuve.

Il est de même déclaré contre le jansénisme que le Christ n’est pas mort seulement pour les prédestinés, ni seulement pour les fidèles (ibid., n. 1096, 1380 sq.,

DICT. DE THÉOL. CATII.

1294), qu’il y a une grâce vraiment suffisante, à raison de laquelle l’accomplissement des préceptes est possible à tous ceux à qui ces préceptes s’imposent. L'Église contre les protestants et les jansénistes redit en se servant des paroles de saint Augustin : Deus impossibilia non jubel, sed jubendo monet et facere quod possis et petere quod non possis (Denzinger, n. 80-1). « Dieu n’abandonne pas les justes sans avoir été abandonné par eux » (n. 804, 806, 1794) ; ils ne sont privés de la grâce habituelle que pour une faute mortelle, et de certaines grâces actuelles nécessaires au salut que pour avoir résisté à des grâces suffisantes. Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au delà de nos forces (n. 979) ; la grâce de la conversion est offerte aux pécheurs (n. 807), et ceux-là seuls en sont privés, qui la refusent par une faute que Dieu permet, mais dont il n’est nullement cause (n. 827, 816, 1767).

Mais, en affirmant que Dieu par une grâce suffisante rend l’accomplissement des préceptes possible à tous, l'Église n’en affirme pas moins l’efficacité de la grâce qui fait produire de fait les bonnes œuvres. Le concile de Trente déclare : Deus, nisi ipsi (homines) illius graliee defuerint, sicut cœpit opus bonum, ila perficict, operans velle et perficere (Phil., ii, 13). Denzinger, n. 806.

Que résulte-t-il donc de l’enseignement de l'Église contre les hérésies opposées entre elles du semi-pélagianisme et du prédestinatianisme renouvelé par le calvinisme et le jansénisme ?

a) En résumé : contre le semi-pélagianismc, l'Église affirme surtout trois choses :

a. La prédestination à la grâce n’a pas pour cause la prévision de bonnes œuvres naturelles, ni d’un commencement naturel du salut. — b. La prédestination à la gloire n’a pas pour cause la prévision de mérites surnaturels, qui dureraient sans Je don spécial de persévérance finale. — c. La prédestination adéquate, comprenant toute la suite des grâces, est gratuite ou antérieure à la prévision des mérites. Ce que saint Thomas entend en ce sens : tout ce qui dans l’homme l’ordonne au salut (même et surtout sa détermination libre salutaire) tombe sous l’effet de la prédestination. D’un mot : Quod quidam salvantur, ' salvantis est donum. Denzinger, n. 318.

b) Contre le prédestinatianisme et les doctrines protestantes et jansénistes qui le renouvellent, l'Église enseigne : a. Dieu veut d’une certaine manière sauver tous les hommes et il rend l’accomplissement de ses préceptes possible à tous ; b. il n’y a pas de prédestination au mal, mais Dieu a décrété de toute éternité d’infliger la peine de la damnation, pour le péché prévu d’impénitence finale, péché dont il n’est nullement cause, mais que seulement il permet.

On voit que l’enseignement de l'Église contre les hérésies opposées entre elles se résume dans ces paroles profondes de saint Prosper, adoptées par le concile de Quierzy : Quod quidam salvantur, salvantis est donum (contre le pélagianisme et le semi-pélagianisme) ; quod quidam pereunl, pereuntium est meritum (contre le prédestinatianisme). C’est ce que la sainte Écriture exprimait ert disant : Perditio tua ex te, Israël ; tanlunvnodo in me auxilium tuum. Osée, xiii, 9.

Autant ces deux grandes vérités indiscutables sont fermement affirmées par le sens chrétien, autant leur intime conciliation reste mystérieuse.

II. Les principales difficultés du problème et

LE POINT CULMINANT DU MYSTÈRE. - 1 " Les difficultés.

— - 1. On voit par ce que nous venons de dire que la première difficulté fut toujours la conciliation de la prédestination avec la volonté salvifique universelle. D’une pari, l'Écriture affirme que Dieu veut que tous les hommes sok’iil sauvés (I Tim., ii, 1) et, d’autre

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