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2943 PRÉDESTINATION. S. THOMAS, LE PRINCIPE DE PRÉDILECTION 2944

comme telle n’est pas efficace, puisque le bien, naturel ou surnaturel, facile ou difficile, ne se réalise que hic et nunc : Aliquid potest esse, in prima sui consideratione, secundum quod absolute consideratur bonum vel malum, quod tamen prout, cum aliquo adjuncto consideratur, quiv est consequens consideralio ejus, e contrario se habel : sicut hominem vivere est bonum… sed si addatur circa aliquem liominem, quod sil homicida… bonum est cum occidi. Loc. cit. Ainsi le marchand pendant la tempête voudrait (au conditionnel) conserver ses marchandises, mais il veut de fait les jeter à la mer pour sauver sa vie. IMI*, q. vi, a. 6, corp. Ainsi encore, Dieu veut antecedemment que tous les fruits de la terre arrivent à maturité, bien qu’il permette pour un bien supérieur que tous n’y arrivent pas ; il veut aussi antecedemment que tous les hommes soient sauvés, bien qu’il permette, en vue d’un bien supérieur, dont lui seul est juge, le péché et la perte de plusieurs.

Il reste que Dieu ne commande jamais l’impossible, que, par volonté et par amour, il rend l’observation de ses commandements possible à tous : su/l’.ciens auxitium dat ad non peccandum, Ia-II 1°, q. evi, a. 5, ad 3um ; il donne même plus à chacun que n’exige la stricte justice. l a, q. xxi, a. 4. Ainsi saint Thomas explique métaphysiquement la notion de volonté antécédente en la rapprochant de celle de la toute-puissance, qui ne saurait être oubliée, et en vertu de laquelle tout ce que Dieu veut simpliciler s’accomplit. I a, q. xix, a. 0.

Le principe de prédilection et ce qu’il suppose.


D’autre part, relativement à la volonté conséquente, saint Thomas affirme plus clairement qu’on ne l’avait fait avant lui le principe de prédilection : nul être créé ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu : Cum amor Dei sit causa bonilatis rerum, ut dictum est, non essel aliquid alio melius, si Deus non vellet uni majus bonum quam alleri. I a, q. xx, a. 3. Ex hoc sunt aliqua meliora, quod Deus eis majus bonum vult. Unde sequitur quod meliora plus amel. Ibid., a. 4.

Ce principe de prédilection est le corollaire du précédent : l’amour de Dieu est cause de la bonté des êtres créés. Il apparaît ainsi, dans l’ordre philosophique, comme une conséquence nécessaire du principe de causalité : tout ce qui arrive à l’existence a une cause efficiente et une cause suprême qui est l’Être même, source de tout être et de tout bien. C’est aussi une conséquence du principe de finalité : tout agent agit pour une fin, et l’agent suprême agit pour manifester sa bonté, en en produisant une similitude, une participation plus ou moins parfaite.

Ce principe de prédilection n’est pas seulement évident dans l’ordre philosophique, il est aussi révélé, car il s’applique surtout dans l’ordre de la grâce, qui, de sa nature même, est gratuite et nous rend agréables aux yeux de Dieu. C’est ce principe qui est énoncé dès le livre de l’Exode, xxxiii, 19, en une parole de Dieu à Moïse : Miserebor cui voluero, et clemens ero in quem mihi placuerit." Je fais grâce à qui je fais grâce, et miséricorde à qui je fais miséricorde. » C’est à cette vérité révélée qu’a recours saint Paul lorsqu’il écrit, Rom., ix, 15, au sujet de l’élection divine : « Y a-t-il de l’injustice en Dieu ? Loin de là ! Car il dit à Moïse : « Je « ferai miséricorde à qui je veux faire miséricorde et « j’aurai compassion de qui je veux avoir compassion. » Ainsi donc l’élection ne dépend ni de la volonté, ni des elTorts, mais de Dieu qui fait miséricorde. » C’est toujours en vertu du même principe que saint l’aul écrit aussi, I Cor., iv, 7 : « Qui est-ce qui te distingue ? Qu’as-tu que tu ne l’aies reçu ? » Saint Thomas explique ainsi ces paroles dans son Commentaire sur cette épître : « Qui est-ce qui te discerne de la masst de ceux qui se perdent ? Tu ne le peux. Oui est-ce qui te rend

supérieur à un autre ? Tu ne le peux par toi-même, et donc pourquoi t’enorgueillir ? » Il dit de menudans le Commentaire sur saint Matthieu, xxv, 15, à propos de la parabole des talents : Qui plus conatur, plus habel de gralia, sed quod plus conetur, indiget altiori causa. De même, la-II 80, q. exii, a. 4 : Utrum gralia sit major in uno quam in alio ? — Ex parte subjecti (seu hominis) non potest accipi prima ratio hujusce diversitatis : quia pnvparalio ad gratiam non est hominis, nisi in quantum liberum arbilrium ejus pnvparatur a Deo. Unde prima ratio hujus diversitatis accipienda est ex parle ipsius Dei, qui diversimode suée gratin 1 dona dispensai, ad hoc quod ex diuersis gradibus pulcliritudo et perfectio Ecclesiæ consurgal ; sicut etiam diversos gradus rerum insliluit, ut effet universum per/ectum. Unde Aposlolus ad Ephes., iv, 7, postquam dixerat : « unicuique data est gralia securidum mensuram donationis Christi », enumeratis diuersis gratiis, subjungil : « ad consummationcm sanciorum in œdificationem corporis Christi. >

Ce principe de prédilection, saint Thomas l’avait trouvé formulé de différentes manières chez saint Augustin, par exemple à propos des anges bons et mauvais, De civilate Dei, t. XII, c. ix : Si ulrique boni sequaliter creati sunt, istis mala voluntate cadenlibus, illi amplius adjuti ad eam bealiludinis plenitudinem, unde se nunquam casuros cerlissimi fièrent, pervenerunl. Les bons anges ne seraient pas meilleurs que les autres, s’ils n’avaient pas été plus aimés et plus aidés par Dieu. C’est la même idée qui revient constamment sous différentes formes dans les écrits de saint Augustin sur la prédestination contre les pélagiens et semipélagiens, surtout De prædeslinalione sanctorum, viii, 13-14, et De dono perseverantiæ, ix, 21-23. C’est aussi le sens du texte fameux In Joannem, tr. xxvi, 2, souvent cité par saint Thomas : Quare hune trahat, et illum non Irahal, noli velle judicare si non vis errare.

Ce principe de prédilection : nul être créé ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu, saint Thomas, après l’avoir formulé, I a, q. xx, a. 3, en fait la clef de voûte de son traité de la prédestination. I a, q. xxiii.

Pour voir toute l’importance de ce principe, il faut noter d’abord avec plus de précision ce qu’il suppose du côté de Vefficacilé de l’amour divin, cause de tout bien créé quel qu’il soit. Le principe de prédilection suppose, pour saint Thomas, que les décrets de la volonté divine relatifs à nos actes salutaires futurs sont infailliblement efficaces par eux-mêmes, et non par la prévision divine de notre consentement ; il faut en dire autant de la grâce actuelle, qui nous fait poser librement ces actes salutaires : elle est efficace par elle-même. De ces décrets, saint Thomas a parlé I a, q. xix, a. 4 : Effcclus determinati ab infinila Dei perfectione procedunt secundum dcterminalionem voluntatis et intelleclus ipsius. Et encore, ibid., ad 4um : Unius et ejusdem effectus etiam in nobis est causa scientia ut dirigens, qua concipitur forma operis, et voluntas ut imperans, quia forma, ut est in intellectu tantum, non determinatur ad hoc quod sit vel non sit in effeclu nisi per voluntatem. Semblablement, I a, q. xiv, a. 8 : Scientia Dei est causa rerum, secundum quod habel voluntatem conjunclam.

Ces décrets de la volonté divine relatifs à nos actes salutaires sont infailliblement efficaces par eux-mêmes, et non par la prévision de notre consentement, c’est manifestement le sens du célèbre article 8 de la I a, q. xix, que nous avons déjà cité : Cum voluntas divina sil eflicacivsima, non solum sequitur quod P""/ eu. quæ Deus vu II /ieri, sed et quod eo modo fiant quoDeus en fieri vult. Vult autan quædam fleri necessario, quædam contingenter, ni sit ordo in rébus ad complementum universu Saint Thomas s’objecte, ibid., 2e obj. : < Mais on ne peut résister de fait au décret efficace de la