Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/706

Cette page n’a pas encore été corrigée

PRÉDESTINATION. S. AUGUSTIN, ÉTAT DE LA QUESTION 2840

vouloir. La doctrine du décret divin, base d’une élection "/' aierno, regorge de funestes conséquences, et une telle notion de la prédestination conduit au fatalisme ou brise l’unité de la nature humaine, fin résumé, les moines de Marseille n’ont retenu que les objections qu’Augustin s'était faites dans le Dr torreptionr et gratin et dans ses livres contre Julien d’Kclane, objections qu’il avait cependant réduites à néant. Ibid.

Leur oppose-t-on les affirmations les plus claires d’Augustin, étayées sur d’innombrables témoignages de l'Écriture ? Ils s’obstinent, arguant de la tradition. Invoquc-t-on la doctrine de saint Paul ? Ils assurent que jamais personne ne lui a donné un pareil sens. Bien mieux, si on leur demande le sens qu’eux-mêmes lui donnent, ils avouent n’en trouver aucun à leur convenance et exigent que l’on fasse le silence sur des choses dont la profondeur est inaccessible à qui que ce soit. Quelques-uns d’entre eux sont fortement suspects de pélagianisme et, pour avoir l’air de sauver la notion de la grâce, ils la confondent avec la liberté et la dignité de créature raisonnable, en vertu desquelles, capable de distinguer le bien du mal. l’homme peut plier sa volonté aux commandements divins et, par ses propres moyens, parvenir- à la grâce de la régénération. Ils comprennent à leur façon la bonté et la justice de Dieu qui se traduisent par une volonté salvilique universelle indifférente : indifjerenter universos vêtit salvos fieri et in agnitionem veritatis venire, réclament pour la liberté humaine, au nom de l'Écriture, une indépendance absolue, l’initiative dans le discernement des fidèles d’avec les prévaricateurs, une aptitude égale vis-à-vis du bien et vis-à-vis du mal. Enfin, à l’objection tirée, contre leur système, du sort inégal des petits enfants, également incapables cependant d’aucun choix libre, ils opposent la prévision des mérites futuribles : taies, aiunt, perdi, talesque salvari, quales scientia divina prævideril, et ils expliquent par elle la volonté salvilique universelle dont il est parlé dans I Tim., iii, 4. La vie éternelle est réservée par Dieu à tous indistinctement, c’est le libre arbitre d’un chacun qui en conditionne la possession. En un mot, du moins chez les adultes, l’initiative dans l'œuvre du salut revient non à celui qui sauve, mais à celui qui est sauvé et la volonté de l’homme se ménage le secours de la grâce au lieu que la grâce s’assujettisse la volonté : et volunlas hominis divinæ gratias sibi pariât opem, non gratia sibi luimanam subjiciat voluntatem. Ibid.

Telle est donc la doctrine qui motivait le recours de Prosper à Augustin. Hilaire de Marseille intervint à son tour dans le même sens et en mettant davantage encore en relief les griefs que les semi-pélagiens nourrissaient contre l’enseignement du saint évêque. Il fait remarquer à celui-ci que ses adversaires s’autorisent de ses premiers écrits, Epist., ccxxvi, 3, t. xxxiii, col. 1008, qu’ils dénaturent la prescience, la prédestination et le décret divin en changeant leur véritable objet, qu’ils se refusent à appliquer le quid habes quud non accepisli à la foi, demeurée selon eux au pouvoir, bien qu’affaibli, de la nature déchue. Le don de persévérance est conditionné par la liberté de l’homme, encore qu’ils réduisent autant que possible ce conditionnement qui consiste à vouloir ou ne pas vouloir accepter le remède : Quod ad hoc tantum liberum usserunt, ut velit ïïl nolit admittere medicinum. Comme ils ne veulent pas entendre parler d’une persévérance qui ne puisse ni se mériter par la prière, ni se perdre par l’endurcissement, ainsi font-ils difficulté de s’abandonner à ce qu’ils affectent d’appeler le caprice divin, tandis qu’ils ont l'évidence de l’initiative qui revient à leur volonté. Qu’ont-ils à faire des témoignages scripturaires apportés par Augustin ? Ils ne sont pas canoniques : Illud etiam testimonium quod posuisti : « liaptus est ne malitia inutaret intelleclum ejus (Sap.. iv. Il), tanquam

non canonicum definiuni omittendum. Dans le De correptione et gratia. pour résoudre le cas posé par la non-persévérance d’Adam, Augustin a développé sa doctrine sur l’auxilium sine quo et l’auxilium que ; rétorquant cette doctrine avec quelque subtilité, ils proposent une façon toute différente de comprendre ces deux grâces. Ditïércmment aussi expliquent-ils la volonté salvilique universelle de Dieu, mais en la réduisant au rôle de volonté souvent inefficace, de simple velléité, de désir vague et résigné : quomodo, aiunt, non vult a quoquam peccari vel descri justitiam, et tamen jugiter illa deseritur contra ejus voluntatem, commillunturque peccata, ila eum saluari velte omnes homines, nec tamen homincs saluari.

b. La réponse d' Augustin. — Augustin ne pouvait pas ne pas agréer ces avertissements, suivis des plus instantes prières. Il était occupé, vraisemblablement, au long travail de ses Rétractations, mais il ne différa pas longtemps sa réponse. Dès 428, paraissait, à l’adresse de Prosper et d’Hilaire, le De prædestinalione sanctorum, en deux livres, dont le second, à cause même de la question traitée, ne tarda pas à être considéré comme distinct du premier et connu sous le titre de De bono, seu dono perseverantia ?. Le saint évêque y enseigne la gratuité totale de la prédestination, y compris celle de Yinilium fidei. Il ne disconvient pas d’avoir eu sur ce point, avant son épiscopat, des idées erronées. Il affirme l’efficacité de la grâce, le mystère de l'élection, met au point les interprétations tendancieuses qu’on a faites de certains passages de ses livres. Il expose les rapports de la prescience et de la prédestination. L’argument que lui fournit le sort des petits enfants revient plusieurs fois sous sa plume. Enfin, il fait appel à l’exemple de la prédestination du Christ, comme étant la plus merveilleuse concrétisation de sa doctrine, et s'étend longuement sur le don de la persévérance qui réalise et couronne déjà sur la terre la prédestination des élus.

Augustin répondait ainsi, fort pertinemment, aux difficultés des moines de Marseille, victimes d’une compromission plus ou moins consciente avec l’erreur pélagienne. Pour se séparer de celle-ci, ils admettaient le rôle prévenant de la grâce, mais en discutant sa souveraine efficacité : A pelagianorum porro heeretica perversitate tantum isli remoti sunt, propler quos hase agimus, ut, licet nondum velint jateri prædestinatos esse qui per Dei gratiam fiant obedientes atque permaneanl, jam tamen fateantur quod eorum præveniat voluntatem quibus datur hsec gratia. De dono pers., xvi, 41, t. xlv, col. 1018. D’autre part, ils rejetaient cette erreur avec tant de mollesse qu’elle inspirait encore leur argumentation (comme dans leur façon de résoudre par la prescience le cas des petits enfants), et imprégnait leurs croyances, xiv, 31, col. 1011. Ils protestaient bien de leur parfait accord avec la doctrine d’Augustin, et en regrettaient d’autant plus leurs récents dissentiments, mais Augustin avait de la peine à comprendre. Depuis plusieurs années, n’enseigne-t-il pas toujours la même chose ? Ne se sont-ils pas référés à ses ouvrages à Simplicien, à Paulin, au prêtre Sixte, que leur déplaisir ait commencé si tard ? xxi, 55, col. 1027.

f) Les « Rétractations » et l’ouvrage contre Julien d Éclane. — Aux ouvrages qu’Augustin écrivit dans les quatre dernières années de sa vie, touchant notre sujet, il convient d’ajouter le c. ix du 1. I des Rétractations. Y revisant ses trois livres du De libero arbitrio, il précise heureusement sa notion de la liberté humaine et en revendique les droits. Enfin, dans les t. I, III et VI de son Opus imper/ectum contra Julianum. il défend mot pour mot, contre les attaques insolentes et verbeuses de Julien d'Éclane, les points divers de cette doctrine sur la prédestination. L’ouvrage contre Julien demeura inachevé, comme on sait, en 430.