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PRÉADAMITES

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interprétation. La lex en question est le précepte formel imposé par Dieu à Adam. lit voici les préadamites qui entrent dans le texte de l’épître aux Romains : « Jusqu’à ce précepte donné à Adam, le péché était dans le monde (il y avait donc des hommes pécheurs), mais ce péché ne leur était pas juridiquement imputé, puisqu’il n’y avait pas de loi positive de Dieu interdisant telle ou telle transgression. Le péché existait comme infraction soit à la loi naturelle, soit aux lois civiles, mais non comme désobéissance à un ordre positif de Dieu. La mort existait aussi, suite naturelle de la condition humaine, mais non point châtiment juridique de ces infractions. » Telle est la situation qui existait avant la faute d’Adam et qui est décrite par Paul, Rom., v, 13. Avec le ꝟ. 14 est indiquée une nouvelle période de l’histoire de l’humanité. Cette période va, non point comme on pourrait le croire d’Adam à Moïse, mais du péché d’Adam au moment où la loi de Moïse est abrogée en son principe, c’est-à-dire jusqu’au Christ. Durant cette période regnavit mors eliam in eos qui non peccaueranl (noter ce plus-que-parfait) in similitudinem prseoaricationis Adse. De qui s’agit-il ? non point des enfants incapables de pécher, comme le dit l’exégèse courante, mais de toute cette humanité pécheresse antérieure à Adam et qui continue son développement pendant que se propage la descendance adamique. Par application d’un décret divin, la culpabilité d’Adam s’étend non seulement à sa descendance charnelle, mais à tous les hommes ; non seulement à l’humanité qui se développe côte à côte avec les adamites, mais par effet rétroactif à tous les hommes antérieurs à Adam. Et, prenant aux théologiens catholiques, qu’il paraît avoir fréquentés, l’idée de pacte, La Peyrère d’imaginer un pacte fort explicite entre Dieu et Adam, qui fait de ce dernier le représentant légal, le syndic, dit-il à plusieurs reprises, non seulement de ceux qui descendaient physiquement de lui, mais de tous les hommes qui lui sont étrangers. Le pacte gardé aurait assuré à toute l’humanité une part au bonheur ; violé, comme il le fut en effet, il attire sur elle une juste condamnation. Mais n’allons pas crier à l’injustice divine. Au vrai, cette fiction légale n’avait d’autre fin que de permettre une autre fiction légale d’infiniment plus de prix, celle qui fait de Jésus-Christ le représentant de l’humanité. « La fin de cette imputation du péché d’Adam à tous les hommes, c’était que, à l’humanité réputée coupable du péché d’Adam, fût imputée la justice qui lui vient delà mort du Christ : impulalio peccali Adamici, qux nos duxit ad finem illam, salutem hominum non perditionem fecil. » L. V, c. vi. En d’autres termes, si j’entends bien notre auteur, qui est parfois un peu fumeux, le fait capital dans l’histoire de l’humanité, c’est beaucoup plus l’apparition du Christ que le péché d’origine. C’est autour du Christ, non autour d’Adam, qu’il faut faire graviter tout l’intérêt. L’essentiel est que l’influx rédempteur — La Peyrère n’en décrit guère la nature, ni même les conséquences — puisse se répandre, quoi qu’il en soit de leurs liens de famille, à tous ceux que Dieu a choisis dans l’ensemble de l’humanité. (En calviniste orthodoxe, La Peyrère réserve cet influx aux prédestinés, Syst. Iheol., t. I, c. ix ; mais son bel optimisme paraît faire très large la mesure de ceux-ci ; il n’est pas, à coup sûr, pour le « petit nombre des élus ».) Sur tout l’ensemble de la théorie, voir Syst. Iheol., 1. V tout entier.

L’accueil fait à l’hypothèse.

II est très clair que

le Système théologique des préadamites heurtait trop violemment et les idées reçues, et la théologie, et mime le dogme pour être assuré d’un accueil favorable. La réaction très vive, mais passagère chez les catholiques, se prolongera avec une constante àpreté chez les protestants.

1. Chez les catholiques.

On a dit, à l’article L PeyhÊRE, les ennuis personnels que la publication de ses deux petits [ivres attira sur l’auteur. Arrêté, lors d’un séjour en Belgique, par les ordres de l’archevêque île Malines, La Peyrère fit connaissance avec les prisons de l’Inquisition, d’où ne put le tirer l’intervention même de son maître, le prince de Coudé. Il n’eut d’autre ressource que d’abjurer à la fois et le calvinisme et sa théorie des préadamites, ce qu’il fit à Rome, devant le pape Alexandre VII. Il semble d’ailleurs, quoi qu’on ait prétendu, que cette rétractation ait été sincère. Richard Simon qui fit la connaissance de La Peyrère, alors que celui-ci était retiré au séminaire de Notre-Dame des Vertus, près Paris, s’en porte garant. Lettres choisies, t. ii, lettre iv, éd. d’Amsterdam, 1730, p. 29. L’illustre critique ne se privait pas d’ailleurs de se divertir sur le compte de celui qu’il appelait un rêveur. Plusieurs lettres se sont conservées qu’il lui adressa ponr démolir les arguments en faveur de l’antiquité de l’homme qui avaient tant ému l’auteur des Préadamites. Voir ibid., lettres i, ii, ni. Richard Simon, lui, ne voyait aucune raison de se départir de la chronologie traditionnelle. Il n’était d’ailleurs pas le premier à critiquer La Peyrère. L’année même qui suivit la publication du Systems, Ph. Le Prieur, sous le pseudonyme d’Eusèbe Romain et, trois ans plus tard, le P. Cl. Dormay, faisaient paraître contre le livre des Animadversiones. Voir art. Prieur.

Jean Launoy, qui n’est pas suspect d’étroitesse d’esprit, jugea, avec n > : i mains de sévérité, l’ouvrage de La Peyrère. Dans une lettre du 1 er janvier 1655, il parle de l’énorme succès que le livre eut à Paris, surtout après un arrêt du Parlement le condamnant au feu ; mais ce succès il le rencontrait surtout dans les milieux libertins. Liber iste iis pêne lantum probatur, qui nullam in Christum ftdem habent aul, si quam habuerunl, miseri et suis obruti sceleribus ejurarunt. Lettre imprimée par le protestant J.-H. Ursin de Spire à la fin de son Novus Prometheus præadamitarum plastes, Francfort, 1656, p. 175.

Un peu plus tard, Noël Alexandre, dans son Histoire ecclésiastique, t. i, p. 57 sq., se fait l’écho des mêmes critiques.

2. Chez les protestants.

A part un succès très relatif en Hollande, où La Peyrère aurait recruté quelques partisans (mais ce serait une grosse exagération de parler, comme on l’a fait, d’une secte de préadamites), l’hypothèse en question souleva dans les milieux surtout luthériens d’Allemagne une véritable tempête. Le fait que l’auteur du Systema theologicum avait abjuré le protestantisme n’a pas été, pensons-nous, étranger à cette virulente indignation. Autant Richard Simon et Launoy se montrent souriants dans les critiques qu’ils lui adressent, autant les réfutations protestantes que nous avons pu voir sont hargneuses et méchantes. A les lire, il semblerait que La Peyrère soit un abominable libertin, un athée, le pire des scélérats. Au fait, l’atteinte qu’il portait à l’autorité de la Bible était de grave conséquence en des Églises où l’on pensait appuyer sur l’Écriture seule l’ensemble du dogme. C’est de ce biais surtout que La Peyrère a été critiqué. On semble s’être moins attaché aux graves incohérences que présentait son explication du péché originel, qu’à ses vues si originales sur le caractère même de l’histoire biblique.

Nous ne ferons pas ici l’histoire de ces polémiques. On en trouvera un abrégé singulièrement indigeste dans une petite thèse de Herm. -Christophe Pmgelcken, soutenue à Rostock en 1698 et réimprimée en 1707, Dissertalio théologien pra>adamilismi recens incruslali examen compleclens. Voir en particulier, p. 1 0, la longue énumération des auteurs, aujourd’hui bien oubliés, qui sont descendus dans la lice. On y trouvera éga-