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    1. POUVOIR DU PAPE##


POUVOIR DU PAPE. DOCTRINES ACTUELLES

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Gosselin.

La théorie du « pouvoir directif,

exposée en trois pages par Fénelon, n’eut pas de succès : il lui manquait d’être mise en valeur et d’être précisée par des théologiens de marque. Elle fut reprise en France, vers le milieu du ixe siècle, par le sulpicien Jean-Edme-Auguste Gosselin († 1858), dans son Important ouvrage, Pouvoir du pape au Moyen Age, ou recherches historiques sur la souveraineté temporelle du Saint-Siège et sur le droit public au Moyen Age relativement à lu déposition des souverains, 2e édit., Paris et Lyon, 1845. Voir l’art. Gosselin, t. vi, col. 1498-1500.

Gosselin, auteur d’une Histoire littéraire de Fénelon, a fréquenté les œuvres de l’archevêque de Cambrai ; il a subi aussi l’influence de M. Émery ; ce n’est donc pas chez lui qu’il faut chercher, à proprement parler, des doctrines gallicanes. Mais, lui aussi, il est de son temps ; les révolutions politiques auxquelles il a assisté ont profondément marqué son esprit, comme l’ont marqué ses travaux historiques sur les papes du Moyen Age. Quoi qu’en dise Renan, au c. iv de ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Gosselin ne s’est pas tellement mépris dans l’interprétation des faits qui concerne la politique pontificale à cette époque. La suprématie des papes et leur pouvoir sur le temporel des États étaient alors fonction d’une situation juridique engendrée par l’histoire antérieure ; le docte sulpicien l’a fort bien vu et mis en lumière. Mais il a eu soin de remarquer aussi les positions de la théologie spéculative : « Après avoir assigné les véritables fondements du droit public dont il s’agit, dit-il, nous ne dissimulerons pas que les auteurs du Moyen Age lui en ont quelquefois assigné d’autres, dont la légitimité est loin d’être aussi bien établie… On a supposé… que le pouvoir… sur le temporel des princes était fondé sur le droit divin. » C’est ce que ne semblait pas avoir suffisamment discerné Fénelon lui-même, pour qui le droit divin ne sortait pas directement d’autre effet que l’excommunication et qui considérait la déposition d’un prince comme l’effet du droit humain, perçu comme tel. La réalité paraît nettement différente, et Gosselin ne fait nulle difficulté de le reconnaître : « Il semble difficile d’expliquer ainsi tous les décrets dont il s’agit, particulièrement ceux de Grégoire VII et de Boniface VIII. » Op. cit., p. 453-455.

Toutefois notre auteur, quand il s’agit de distinguer entre le pouvoir de juridiction proprement dit — direct ou indirect — et le pouvoir directif tel qu’il le conçoit, s’arrête à des formules dont se seraient peut-être contentés Fénelon ou Gerson, non pas, certes, Jean de Paris : Le pouvoir directif renferme seulement, nous dit-il, le droit d’éclairer la conscience des princes et des peuples sur l’étendue et les bornes de leurs obligations en matière temporelle. En vertu de ce pouvoir, l’Église et le souverain pontife ne peuvent faire aucun règlement ni aucune ordonnance sur les choses temporelles ; ils ne peuvent donner ou ôter aux souverains leurs droits et leur autorité dans l’ordre temporel, mais seulement diriger à cet égard la conduite des princes et des peuples par de sages avis. » Op. cit., p. 454. Tels qu’ils sonnent, ces mots minimisent le pouvoir de l’Église sur le temporel et ne semblent pas vouloir envisager les cas de conflits, où les sages avis ne peuvent plus suffire.

Les catholiques libéraux.

D’une théorie à ce

point atténuée des droits de l’Église et des pouvoirs de son chef, le libéralisme catholique pouvait s’accommoder ; mais il était souvent, à ses débuts, plus hardi dans l’expression.

Pour le Lamennais de l’Avenir, en effet, « le pape est l’âme de la société humaine… L’Église, épouse du Christ, roi universel de l’ordre spirituel et corporel, partage avec lui la souveraineté du monde ; elle est reine de droit et de fait dans les empires catholiques… souveraine de droit de tous les peuples qui n’ont pas reconnu ou qui repoussent sa juridiction. Articles, t. ii,

p. 195-196. Si l’Avenir regarde « comme une sublime utopie i le pouvoir direct, il croit au pouvoir indirect, nécessaire pour instaurer l’ordre social catholique, dont le saint empire romain germanique ne fut qu’une tentative passagère remplie d’inconvénients, et dont la démocratie libérale assurera le triomphe définitif. Il s’en faut que Lamennais ait jusqu’au bout conservé cet idéal.

Nous n’avons pas à entrer dans le détail des doctrines libérales. Voir ici art. Libéralisme catholique, t. ix, col. 506-029. Qu’il nous suffise de rappeler que l’une des erreurs du libéralisme absolu consiste à nier que la société civile ait elle-même une fin d’ordre moral, qu’elle ait à tenir compte de la fin éternelle de chaque âme individuelle, ce qui, par voie de conséquence, aboutit à nier le droit du pouvoir spirituel dans les choses temporelles et la subordination de la société civile à l’Église en raison de la hiérarchie des fins. C’est cette erreur, laquelle, du reste, n’est pas exclusivement le fait des démocraties, qui se trouve visée par la condamnation des 23e et 24e propositions du Syllabus : « Les pontifes romains et les conciles œcuméniques se sont écartés de leur puissance et ont usurpé le droit des princes. L’Église n’a pas le droit d’employer la force ; elle n’a aucun pouvoir temporel direct ou indirect. » La lettre apostolique Ad aposlolicæ Sedis, du 22 août 1851, avait réprouvé les mêmes doctrines.

Mais il n’est peut-être pas hors de propos de rappeler que les catholiques libéraux, s’ils n’admettaient guère dans l’hypothèse, que le » pouvoir directif », réservaient l’exercice du « pouvoir indirect » pour la thèse. Il est bien évident aussi que le régime de la séparation de l’Église et de l’État, tant, prôné par l’école libérale, n’était ni un remède certain contre les empiétements du temporel sur le spirituel, ni surtout le meilleur moyen d’assurer la primauté du spirituel.

Par réaction, on vit des adversaires du libéralisme, revigorer, pour mieux combattre celui-ci, la théorie du « pouvoir direct » et la proclamer « la théorie catholique ». Jules Morel, Somme contre le catholicisme libéral, t. ii, Paris, 1877, , p. 565-597.

On vit de même certains défenseurs du pouvoir indirect employer des termes qui dépassaient notablement leur théorie : tel Bouix († 1870), qui écrit par exemple : Hoc ipso quod Christus civilem societatem non inslituerit nisi tanquam médium ad finem Ecclesiæ proprium…, voluit ab Ecclesia corrigi posse in re temporali Slaluum quidquid diclum finem præpediret, et utique corrigi per actus rem illam temporalem directe afficientes. Et voilà comment on expliquera que papes et conciles statuerunt de re temporali Statuum etiam per temporales actus, quando et in quantum requiri existimarunt ad finem Ecclesiæ proprium, salutem animarum. Tractatus de papa, t. iii, Paris, 1870, p. 308.

D’autres, comme P. Petitalot, ne craignent pas d’exprimer, sans la moindre atténuation ni réserve, la pure doctrine de Suarez : « Le pontife romain peut, de droit divin, s’il le juge nécessaire au salut des âmes, ou bien déposer les princes temporels, ou bien délier leurs sujets de l’obligation de leur obéir. Il a ce double pouvoir si les princes sont chrétiens, le dernier seulement, s’ils sont païens. Il peut délier les sujets du devoir d’obéir à leurs princes. Pourquoi pas ? Tout ce qu’il délie sur la terre est délié dans les cieux… » Le « Syllabus », base de l’union catholique, Paris, 1877, p. 110.

F. FAITS ET DOCTRINES A L’ÉPOQUE CONTEMPO-RAINE. — Évidemment, depuis trois siècles, le développement de l’absolutisme royal, d’abord, et ensuite l’extension de l’étatisme démocratique ou parlementaire ne permettent plus au pouvoir de l’Église de s’étendre, en fait, soit directement soit même indirectement dans le domaine temporel. Sous l’Ancien Régime, le légalisme sévit jusqu’à s’immiscer dans ht discipline