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2759 POUVOIR DU PAPE. GALLICANISME ET FÉBRONIANISME 2160

blés à son système du pouvoir indirect. C’est qu’il le juge > également difficile et inutile ». Et il s’explique : … « Difficile…, parce qu’en cet aage qui redonde en cervelles chaudes, aiguës et contentieuses, il est malaysé de dire chose qui n’offence ceux qui, faisant les bons valets, soit du Pape, soit des Princes, ne veulent que jamais on s’arreste hors des extrémités, ne regardant pas qu’on ne sçaurait faire pis pour un père que de luy oster l’amour de ses enfans, ni pour les enfans que de leur oster le respect qu’ilz doivent a leur père… Les Rois et tous les Princes souverains ont… une souveraineté temporelle en laquelle le Pape ni l’Église ne prétendent rien, ni ne leur en demandent aucune sorte de reconnaissance temporelle ; en sorte que, pour abbreger, le Pape est très souverain Pasteur et Père spirituel, le Roy est très souverain prince et seigneur temporel… » Lettre dcclxi, à la présidente Rrulart (1612), Œuvres, édit. complète du monastère d’Annecy, t. xv, Lyon, 1908, p. 191-194.

/II. LA CONTROVERSE AUTOUR DU GALLICANISME

ET DU FÉDRONiA.xiïUE. — Ce n’est pas ici le lieu de faire l’exposé ou l’histoire de la doctrine gallicane relative au pouvoir du pape sur le temporel. Il suffira de renvoyer à l’art. Gallicanisme, t. vi, col. 1096-1137, et spécialement col. 1118-1124.

La thèse gallicane.

Pour les gallicans, ni direct

ni indirect, aucun pouvoir n’existe sur les choses temporelles que l’Église puisse réclamer en vertu d’une concession divine. Textes script uraires, témoignages de la tradition, raisonnements, ils retournent contre la théorie de Bellarmin les arguments mêmes dont l’illustre docteur s’était servi contre les tenants du pouvoir direct.

Bien entendu, les interprétations symboliques des deux glaives ou des deux luminaires ne trouvent pas grâce devant les critiques de Marc-Antoine de Dominis (fl624), de Richer († 1631), de Pierre de Marca († 1662) ; ils font aisément valoir qu’elles sont une arme à deux tranchants et qu’elles peuvent tout aussi bien prouver l’entière indépendance des deux pouvoirs que la subordination totale du temporel au spirituel. Le fameux passage du De consideratione est de même pris à partie, et la discussion aboutit à refuser au pape le droit de donner un ordre quelconque, en matière temporelle, à l’empereur ou aux princes. Quant à la bulle Unam sanctam, beaucoup d’adversaires du pouvoir pontifical la considéraient comme purement et simplement annulée par la décrétale Meruit de Clément V (1306). C’est ainsi que, dans son réquisitoire prononcé devant le parlement de Paris contre le traité de Bellarmin, l’avocat Louis Servin, en 1610, prétendait la mettre hors de cause : « Cette glose de Boniface VIII est tout à fait étrangère aux interprétations de saint Athanase, de saint Basile, de saint Ambroise et de saint Jean Chrysostome. De plus, elle répugne diamétralement à l’esprit du Seigneur ; c’est une lettre de chair et de sang et non une lettre spirituelle, c’est pourquoi elle a été révoquée par Clément, dans sa décrétale Meruit. » Dans Goldast, op. cit., t. iii, p. 772.

Launoy s’exprimera dans le même sens, assurant que la décrétale de Clément V a eu cet effet que ex eu (la bulle Unam sanctam) non nisi telum imbelte depromi potest. Lettres, ii, 2, dans Opéra omnia, t. v a. Genève, 1731, p. 173. Bossuet soutiendra la même thèse dans sa Défense de la déclaration de 1682 : Sic Decretalis Unam sanctam, tanto apparalu prolata, écrit-il, perinde habita est a romanis etiam pontificibus ac si nunquam fuisset édita. L. III, c. xxiv, éd. Lâchât, t. xxi, p. 453.

Bossuet et les autres gallicans se contentaient à bon compte ; en fait, le texte de la décrétale Meruit ne parle pas d’annulation et ne contient pas même une abrogation implicite d’une bulle qui n’avait

l’ion que de conforme à la doctrine commune de l’époque.

La Sorbonne ne tenait pas un autre langage que le Parlement. Une déclaration de la faculté de théologie, en date du 2 mai 1663, est ainsi rédigée : Non esse doctrinam facultatis summum pontifiant in lemporalia régis christianissimi auctoritatem habere ; imo semper obslilisse etiam illis qui indirectam tantummodo voluerunt esse illam auctoritatem… Doctrinam facultatis esse quod subditi fidem et obedientiam régi christianissimo ita debenl, ut ab iis nullo pr.rtcxtu dispensari possinl. Cf. V. Martin, op. cit., p. 268-291.

Cette doctrine, la Déclaration de 1682 la consacrera officiellement par son article premier, lequel était ainsi conçu : « Que saint Pierre et ses successeurs, vicaires de Jésus-Christ, et que l’Église même n’ont reçu puissance de Dieu que sur les choses spirituelles et qui concernent le salut, et non point sur les choses temporelles et civiles… Nous déclarons en conséquence que les rois et les souverains ne peuvent être déposés directement ou indirectement par l’autorité des chefs de l’Église. » Voir, ici, art. Déclaration de1682, t. iv, col. 185-205. Une telle proposition était trop absolue dans le fond et dans la forme pour ne pas être englobée dans la condamnation portée contre les « Quatre articles » par le pape Alexandre VIII, dans la constitution Inler multipliées de 1690. Denzinger-Bannwart, n. 1322.

Au gallicanisme s’apparentent le joséphisme et le fébronianisme. Voir ici, art. Joséphisme, t. viii, col. 1543-1544, et Fébronius, t. v.col. 2215-2124. En ce qui concerne le pouvoir du pape sur le temporel, ces doctrines politiques ou théologiques ne sont ni moins radicales, ni moins exclusives — au contraire — que celles des régaliens français. En 1794, Pie VI, parmi les quatre-vingt-cinq propositions du synode de Pistoie, condamnera celle qui affirme abusum fore auctoritatis Ecclesiæ, iransferendo illam ultra limites doctrinæ ac morum et eam extendendo ad res exleriores. Denzinger-Bannwart, n. 1504.

La riposte des théologiens pontificaux.

Devant

ces erreurs, les défenseurs de l’autorité pontificale ne s’accordent ni sur le choix des arguments, ni sur le fond même de la doctrine.

Le cardinal espagnol d’Aguirre († 1699) s’attache aux positions de Bellarmin ; il reproduit les textes de saint Bernard et de la bulle Unam sanctam, non pas comme des autorités en faveur du symbolisme décisif des deux glaives, mais comme les témoins d’une doctrine commune dans l’Église. Auctoritas infallibilis et Summa cathedra Pétri, tr. III, disp. xxxv, n. li-lii, éd. de Salamanque, 1685, p. 474-475.

Par contre, Sfondrati († 1696) semble exiger davantage, lorsqu’il écrit dans son Regale sacerdotium, à propos du fameux passage de Luc : « De ce texte… et des explications des Pères qui y sont jointes, il résulte que la double juridiction spirituelle et temporelle, représentée par les deux glaives, a été concédée aux apôtres et à leurs successeurs. » Op. cit., i, 2, n. 8, dans Roccaberti, Bibliotheca, t. xi, p. 320.

Vers 1745, le théologien J.-A. Bianchi, O. M., représente une opinion analogue dans son traité en italien De la puissance ecclésiastique dans ses rapports avec les souverainetés temporelles, où il écrit : « Si cette double force, je veux dire le pouvoir spirituel et la force matérielle, n’avait pas dû appartenir quelque jour à l’Église, Notre-Seigneur ne l’aurait pas désignée et fait entendre sous l’allégorie des deux glaives » ; ce qui ne l’empêche pas, d’ailleurs, d’interpréter les dépositions des princes par le pape comme une conséquence du non licet adressé à la conscience de leurs sujets. Op. cit., trad. A.-C. Pelticr, t. i, Paris, 1K57, p. 638, et t. ii, p. 401, 640 sq. Cependant, en réalité, Sfondrati et Bianchi s’en tiennent au pouvoir indirect, mais aussi