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2739 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XlVe SIÈCLE 2740

Ni les théologiens, ni surtout les canonistes n’abandonnent leurs positions. Parmi les controversistes au service de Boniface VIII, celui qui semble être le premier en date est Henri dé Crémone († 1312), auteur d’un De potentia papa’composé vers 1302 contre ceux qui disent : papum non habere jurisdiclionem in temporaiibus per totum mundum. Texte dans Scholz, Die Publizislik zur Zeil Philipps des Schônen und Bonifaz VIII., Stuttgart, 1903, p. 459-471. C’est le droit canon qu’il exploite de préférence ; mais aux canons, « dictés par l’Esprit saint », il ajoute les arguments les plus variés, avec une méthode scolastique vigoureuse et une conviction hors de pair. Plus que de volumineux traités, l’influence de cet opuscule est particulièrement remarquable.

Le cardinal français Jean Lemoine compose, vers 1303, une glose de la bulle Unam sanctam qui figure dans les anciennes éditions du Corpus juris comme commentaire classique du texte pontifical. Faisant aussi bon marché des méthodes historiques que des modalités qui l’entourent, l’auteur accumule tous les arguments habituels pour faire rendre un sens absolu à toutes les propositions de Boniface YIII : c’est ainsi que, pour lui, la perception des dîmes prouve que Iota terra laicorum est in censum Ecclesiæ et que la judicature du spirituel sur le temporel qudicare) implique le droit de destitution (destituere).

L’augustin Agostino Trionfo († 1328), lui surtout, est l’apologiste outrancier de Boniface VIII, soit dans les divers opuscules que lui inspirent les circonstances, soit dans sa célèbre Summa de potestate ecclesiastica. Dès les premières lignes de son De duplici potestate pnvlatorum et laicorum, il a cette affirmation digne de Gilles de Borne : Omnem potestatem tam spiritualem quam lemporalem a Christo in prælatos et principes sseculares derivalam esse mediante Pelro ejus successore, cujus personam romanus pontifex représentât. Éd. Scholz, op. cit., p. 486. C’est la conception déjà fréquemment rencontrée ailleurs ; c’est la pensée maîtresse de l’œuvre entière d’Agostino Trionfo. Ce n’est pas à dire pourtant que les théologiens pontificaux aient servilement défendu la cause du Saint-Siège sans faire aucune réserve. Le même auteur est le partisan déterminé d’une réforme de l’Église.

Confesseur de Jean XXII, Alvaro Pelayo († 1352), qui est lui aussi un théoricien convaincu de la toute-puissance du pape et qui la défend dans son principal ouvrage De planctu Eeelesiæ (vers 1330), ne méconnaît pas les abus de la centralisation avignonnaise et la cupidité des gens de la curie. Voir X. Iung, Un franciscain thc’ologien du pouvoir pontifical au XIVe siècle : Alvaro Pelayo, Paris, 1931.

Guillaume Le Maire, évêque d’Angers, et Guillaume Durand le Jeune († 1328), évêque de Mende, ne ménagent pas davantage leurs doléances dans les mémoires qu’ils ont rédigés en vue du concile de Vienne. L’évêque d’Angers ne fait nulle difficulté de proclamer la pleniludo potestatis du Saint-Siège ; mais, gallican déjà, il se montre jaloux de la liberté de l’épiscopat à l’égard des réserves, exemptions et autres ingérences pontificales, tout comme à rencontre des empiétements du pouvoir royal. Le mémoire de l’évêque de .Mende, qui est un véritable traité De modo generalis concilii celebrandi, n’est pas moins formel pour demander la réforme de l’Église in capite et in membris ; mais, avec Gilles de Rome, auquel il se réfère expressément, c’est une véritable suprématie qu’il revendique, lui aussi, pour le pontife romain. Cf. Bivière, op. cit., p. 360 sq.

Les dominicains Hervé de Nédellec († 1323) et Ptoiémée de Lucques († 1327) soutiennent une doctrine analogue ; le dernier surtout, dans son De regimine principum, où il continue, à sa manière, l’œuvre ina DICT, DE THÉOL. CATHOL.

chevée de saint Thomas, et, dans la Determinalio compendiosa, qui paraît bien être de lui, pousse jusqu’à

l’extrême la thèse de la prédominance de la papauté : Summum pontificem in sua auctorilale sive spiriluali sive temporali dominio pnreminere cujuscumque potesttili sive dominalioni. Determinalio compendiosa, 5e éd., Krammer, p. 12. En ce qui regarde l’ordre temporel, Ptolémée reprend les arguments traditionnels pour systématiser le droit pontifical le plus absolu en face de l’autorité séculière. Sur l’empire, il reconnaît au pape tous les droits : l’institution originelle, la constitution fondamentale, la disposition totale, jusqu’à la suppression inclusivement : tantum durabil quantum romana Ecclesia, quæ supremum gradum in principatu lenet, Christi fidelibus expédiais judicaverit. De regimine principum, m, 19, dans saint Thomas, Opéra, t. xxvii. Ainsi l’empereur n’est qu’un instrument aux mains du pape et ne peut revendiquer à son égard une plus grande indépendance que les autres princes. Voir l’art. Lucques.

Alexandre de Saint-Elpide († 1326), dans son De ecclesiastica potestate, après avoir répété les textes de saint Bernard et d’Innocent IV, développe la thèse originale de Jacques de Viterbe : A 7 ec per hoc minus perfecle habet lalem gladium malcrialem, quam liabet potestas sœcularis, quia nobilius est aliquid habere ad nulum quam ad usum, sicut nobilius est habere aliquid eminenler et dominalive quam habere illud formaliler. ii, 8, dans Roccaberti, liibl. maxima ponlij., t. ii, p. 25. Gilles Spiritalis reproduit parfois littéralement les leçons apprises chez son maître, Guy de Baisi, chez Henri de Suze ou Guillaume Durand l’Ancien. Opicino de Canistris donne au pape de potentia absolula le droit de manier en personne le glaive matériel. Cf. Scholz, op. cit., t. ii, p. 97, 107, 119, 120.

Quelques théologiens conservateurs se montrent moins afïirmatifs et commencent à tenir compte des objections opposées aux arguments classiques, en particulier à l’argument des deux glaives. Jusqu’ici personne n’en contestait ni le symbolisme, ni la force probante ; adversaires ou défenseurs des positions théocratiques, tous le tiraient à eux avec une égale conviction, pour en faire sortir soit la parfaite distinction et l’union éventuelle des deux pouvoirs, soit l’indépendance parfaite, soit la complète subordination du pouvoir civil. Au début du xive siècle, on soumet à une critique sérieuse l’interprétation allégorique du texte de Luc, et c’est à Augustin, au pseudo-Denys, à Albert le Grand, à Thomas d’Aquin, que l’on demande une arme, la formule devenue courante : theologia symbolica non est argumenlativa. Saint Thomas, InIum Scnt., prolog., a. 5 ; Sum. Iheol., I a, q. i, a. 10, ad lum.

Aux prises avec ces autorités, François de Meyronnes († 1327), un franciscain, disciple de Duns Scot, croit se tirer d’affaire en répliquant que le texte ne comportant pas d’explication littérale, c’est l’explication dite mystique, qui est en réalité littérale. Quodlibeta, q. ii, Venise, 1520, fol. 253. En tout cas, il maintient en faveur du pape que la pleniludo potestatis secundum utramque jurisdiclionem coneurril in eamdem personam. In IV" m Sent., dist. XIX, q. iv, fol. 34.

Un théologien, Conrad de Megenberg (1374), s’en tire à plus de frais. Dans son De Irunslalionc imperii, il pose l’objection : on ne peut, selon Augustin, s’appuyer sur une interprétation allégorique, sans avoir, par ailleurs, des témoignages évidents qui l’éclairent. Qu’à cela ne tienne : le témoignage requis, « nous l’avons et il suffit par lui-même, c’est l’autorité de saint Bernard qui n’a pas puisé sa science dans les écoles terrestres, mais l’a reçue tout droit du Saint-Esprit ». <>i>. cit., 2 1, éd. Scholz, t. ii, p. 331-332. Convaincu, en outre, et contre toute évidence, que saint Ambroise a les mêmes vues que l’abbé de Clairvaux, il en fait le contestis Bernardi. Tels seront désormais la position de repli et le

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