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POUVOIR DU PAPE. LE HAUT MOYEN AGE


que Dieu nous a fait en vue de la vie éternelle. Si donc quelqu’un estime que, du fait qu’il est chrétien, il n’a ] > 1 n ^ a payer l’impôl ni le tribut, ni à rendre honneur aux autorités à qui est confiée la charge de gouverner, il est victime d’une grave erreur. Si quelque autre estime, au contraire, que les autorités préposées aux choses temporelles ont pouvoir moine sur sa foi, il tombe dans une pire erreur. Il faut observer ici ce que dit le Seigneur et rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Kt, bien que nous soyons appelés à un royaume où les autorités temporelles n’ont rien à voir, tant que nous relevons de la vie présente et que nous ne sommes point parvenus dans le siècle où s’évanouiront toute principauté et toute puissance, il nous faut supporter notre condition et garder l’ordre des choses humaines, ne faisant rien par simulation et obéissant, en ce point mèm :, non pas tant aux hommes qu’à Dieu qui nous l’ordonne. Expositio quarunulam proposilionum ex Epislola ad Romanos, prop. 72, P. L., t. xxxv, col. 2083.

Nous voilà bien loin des doctrines qui se réclament du grand nom d’Augustin pour attribuer au pape une autorité politique primordiale ; nous en sommes plus loin encore avec ce texte si expressif : « Non dicendum est Ecclesiam esse gloriosam quia reges ei scrviunl, ubi est periculosior majorque tenlatio. » De perfectione jusliliie, xv, 35, t. xliv, col. 310.

Du reste, l’autorité civile, en vertu de son origine même, a des devoirs rigoureux, car ce n’est pas pour l’avantage de ses détenteurs que le pouvoir leur a été donné ; « dans la maison du juste qui vit de la foi et qui est encore un voyageur éloigné de la cité céleste, ceux qui commandent sont les serviteurs de ceux à qui ils paraissent commander ». De civ. Dei, XIX, xiv, t. xli, col. 612-643. Depuis le Sauveur Jésus, le grand précepte qui s’impose aux supérieurs comme aux inférieurs, c’est le précepte du désintéressement et de la charité. « Quelles discussions, quelles doctrines des philosophes, quelles lois d’une nation quelconque peuvent être comparées à ces deux commandements, dont le Christ a dit qu’ils renferment toute la Loi et tous les prophètes : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et votre prochain, comme vous-mêmes (Matth., xxii, 37). Là est le salut des sociétés et des États, qui ne peuvent se constituer et se maintenir que sur les fondements et par les liens de la foi, que par un accord unanime pour le bien commun, par l’amour de Dieu, qui est le véritable et souverain Bien, et par celui qui doit porter tous les hommes à se chérir entre eux, en confondant leur amour dans celui à qui ils ne peuvent cacher la sincérité de leurs sentiments. » Episl., cxxxvii, 17, t.xxxiii, col. 524. Cf. G. Combes, La doctrine politique de saint Augustin, Paris, 1927.

4. Répercussion de ces doctrines.

L’influence d’une telle doctrine se fait sentir dans la transformation progressive du droit, et la notion même de souveraineté se christianise. Se faisant souverainement l’écho des idées chrétiennes et préludant aux chartes du Moyen Age et aux constitutions des âges modernes, les empereurs Théodose II et Valentinien III proclament humblement en 429 : « Il est de la dignité de celui qui règne de se confesser le sujet des lois. Notre puissance n’est autre que la puissance du droit, et il y a quelque chose de plus grand que de commander, c’est de se soumettre au commandement des lois. Nous avons dote pour but, dans le présent édit, de faire connaître aux autres ce que nous nous interdisons à nous-mêmes. » Plus humble encore, s’il est possible, est le « libéralisme » des empereurs Léon et Anthémius. « Un bon prince, disent-ils, ne se croit permis que ce qui est permis aux particuliers et. s’il est libéral, il veut l’être selon les lois, en ne donnant que ce qui est à lui et en ne faisant pas de la joie de l’un la douleur de l’autre. » Ch. Boucaud, La première ébauctie d’un droit chrétien dans le droit romain, cité par E. Magnin, op. cit., p. 39-40.

Ajoutons un trait à cette esquisse. « En ce qui

regarde l’obéissance au Saint-Siège, on sollicita et l’on obtint des lois qui obligeaient les gouverneurs et autres autorités locales à employer au besoin la contrainte matérielle pour avoir raison des résistances. A cette catégorie de prescriptions appartient le rescrit de Gratien à Aquilinus, en 378, celui de Valentinien III à Aèce, en 1 15. On peut y rattacher aussi la plupart des lois contre les hérétiques. » Duchesne, llisl. une. de l’Eglise, t. iii, c. xv, p. 078.

Mais, si l’Église se faisait alors l’inspiratrice morale et devenait volontiers l’auxiliaire de l’empire qui la protégeait, parfois despotiquement, les deux pouvoirs demeuraient nettement distincts, au moins dans la pensée des docteurs de l’Église et dans la volonté de ses pontifes. Sans doute, admettait-on communément que le pouvoir spirituel jouissait d’une incommensurable excellence ; mais il n’en usait que pour prêcher leurs devoirs respectifs aux supérieurs et aux inférieurs et pour défendre le domaine sacré et inviolable des consciences contre les envahissements de l’État. C’est ce qu’exprime explicitement le pape Gélase I er (492-496) dans une formule qui méritait de devenir classique. A ses yeux, sans doute, la charge des prêtres est plus lourde et plus haute, parce qu’ils ont à répondre de l’âme des rois ; mais « il y a, ajoute-t-il, deux principes par lesquels est souverainement gouverné le monde, la sainte autorité des pontifes et le pouvoir royal. » Duo sunt … quibus principaliter mundus hic regitur : uuctoritas sacra pontificum et regalis potestas. Epist., viir, P. L., t. lix, col. 42. En effet, « depuis l’avènement de celui qui a véritablement uni en lui-même le sacerdoce et la royauté, l’empereur a cessé de s’arroger les droits du pontificat et le pontife d’usurper le titre impérial. Cum ad verum ventum est regem alque pontificem, ullro sibi nec imperator jura pontiftcalus arripuit, nec pontifex nomen imperatorium usurpavil. Tomus de anathematis vinculo, ibid., col. 109.

C’est une formule analogue qui se retrouve dans les Nouelles de Justinien († 565) : Maxima in omnibus sunt dona Dei… sacerdoiium et imperium, illud quidem divinis minislrans, hoc autem humanis preesidens…, ex uno eodnngue principio ulraque procedenlia. Novellie, t. I, c. vi, præf., Ed. Schœll et Kroll, Berlin, 1895, p. 35-36.

5. Saint Grégoire.

C’est encore un rappel des principes traditionnels que nous retrouvons sous la plume de saint Grégoire le Grand (590-604), lorsqu’il traite avec l’empereur byzantin Maurice. Celui-ci s’est-il avisé de faire déposer un évêque, Grégoire élève une protestation : … « Tout ce qui plaît au très pieux empereur, tout ce qu’il ordonne de faire, il en a le pouvoir. » Nous avons là, en quelques mots, l’aveu du fait de la souveraineté du basileus. « Que le prince se règle selon ce qu’il sait. Mais qu’il ne nous mêle pas à la déposition de cet évêque. Ce qu’il fera, si c’est canonique, nous l’accepterons. Si ce n’est pas canonique, nous le subirons, pour autant que nous le pourrons faire sans péché… : si canonicum est, sequimur. Si vero canonicum non est, in quantum sine peccato noslro valemus, portamus. Et voila la limite que le droit ecclésiastiqueet le droit de la conscience opposent au bon plaisir impérial, en soi illimiti. Jafïé, Regesta, n. 1819.

Ce grand pape, qui parle aux princes avec une déférence respectueuse de l’autorité dont Dieu les a revêtus et qui connaît les formules de l’étiquette de cour, sait aussi s’élever courageusement contre les abus de pouvoir : « … lacère non possum », dit-il. La souveraineté ou potestas super omnes honanes est donnée par Dieu à l’empereur, mais à quelles fins ? Pour servir le royaume céLste, ut terrestre r^gnum cselesti règne famuletur. C’est manifestement au docteur d’Hipponc et textuellement même au De civitate Dei (t. V, c. xxiv), que fait appel le pontife romain, en ce début du viie siècle, où le monde barbare cherche sa voie.