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PORTIONCULE. HISTOIKK


jusqu’à répandre le bruit de sa prochaine suppression. Les attestations de 1277, qui avaient pénétre un peu partout, étaient détruites ou oubliées ; on se remit hardiment à nier l’indulgence.

IIe série. — La réponse, toutefois, ne se fit pas attendre ; elle fut faite par l’évêque d’Assise et par un certain nombre de franciscains, qui avaient connu les témoins de 1277. Ces attestations constituent la ITe série de documents (vers 1310), qui comprend les témoignages de frère Jean de l’Alverne, d’Ubertin de Casale, du bienheureux François de Fabriano, qui serait allé lui-même gagner l’indulgence à Notre-Dame-des-Anges, le 2 août 1268, de frère Théobald, évêque d’Assise, qui reprit tous les témoignages cités, y apposa son visa épiscopal et leur donna ainsi l’approbation de l’Ordinaire.

IIIe série. — La tradition officielle de l’ordre, qui s’était transmise par écrit, n’avait pu cependant empêcher les imaginations populaires de travailler. Il s’était formé parallèlement une tradition orale, où tous les faits avaient pris les couleurs vives et heurtées qui sont chères à la foule. Le jour devait fatalement arriver où les deux traditions se rencontreraient et, après quelques heurts, mélangeraient leurs éléments. C’est ce qui se réalisa vers 1335, date’de la IIIe série de documents. La tradition populaire, mise par écrit par Michel Bernardi pendant le dernier quart du xme siècle et répétée de bouche en bouche par des laïcs crédules et frondeurs, devint, cinquante ans plus tard, une tradition vénérable (vers 1335). Le nombre de ceux qui répétaient le récit de Bernardi, croyant donner l’histoire vraie de l’indulgence, était beaucoup plus grand que le nombre de ceux qui se contentaient des attestations de la tradition officielle. Les représentants de la tradition populaire, en dehors de Bernardi, sont : Conrad, évêque d’Assise, les frères François Bartholi, Barthélémy de Pise et André Bajuli, qui est l’auteur d’une histoire de la Portioncule, conservée dans le ms. II. 2326 de la bibliothèque royale de Bruxelles. Pour les textes de tous ces témoignages, leur analyse, interprétation et commentaire, nous renvoyons aux études des défenseurs de l’indulgence, cités plus haut, principalement à P. Sabatier et A. Fierens.

D’après P. Sabatier, le cycle des documents originaux sur la Portioncule est bien et dûment clos à partir du xive siècle ; celui des pastiches commence, et l’on voit des fragments de vieilles légendes mêlés à des récits éclos au jour le jour se combiner, se rejoindre, se désarticuler, s’éparpiller en lambeaux et former, sous les yeux fatigués et ahuris du lecteur, les combinaisons les plus invraisemblables et les plus inattendues.

2. Les adversaires de l’authenticité et leurs arguments.

— Ces nombreux témoignages, cependant, n’ont pu amener tous les historiens à accepter comme un fait dûment établi, que saint François ait obtenu, en 1216, d’Honorius III, une indulgence plénière pour tous ceux qui, contrits et confessés, visiteraient, le 2 août de chaque année, la chapelle de la Portioncule. Parmi eux, il faut citer le P. Fr. Van Ortroy, bollandiste, le P. A. Kirsch et surtout N. Paulus, dont la haute compétence, en ce qui concerne l’histoire des indulgences, est universellement admise. Les arguments suivants sont allégués, contre l’authenticité historique de l’indulgence.

D’abord, celle-ci était contraire aux coutumes du temps. Il résulte, en effet, des registres pontificaux que les papes, pendant la première moitié du xme siècle, ne concédaient que rarement des indulgences pour la visite des églises, et, s’ils le faisaient, qu’ils n’en donnaient que de 5, 10, 20, 30 ou 40 jours. Honorius III n’est jamais allé au delà d’une année et 40 jours, indulgence qu’il a concédée à Sainte-Marie. Majeure de Rome ; encore apporte-t-il des arguments

pour justifier cette indulgence extraordinaire. L’indulgence de la Portioncule constituerait donc une exception surprenante aux règles suivies par les papes pendant la première moitié du xme siècle. Pour admettre comme un fait historique une dérogation aussi importante, il faudrait qu’elle soit solidement établie et fondée sur des attestations plus convaincantes que les témoignages apportés an dernier quart du xme siècle.

Ensuite, il n’est point encore prouvé avec certitude que tous les témoignages allégués soient authentiques, c’est-à-dire en provenance de ceux auxquels ils sont attribués. Ainsi A. Fierens, qui s’est livré à un examen approfondi des sources historiques et qui, par ailleurs, s’est toujours révélé un défenseur acharné du pardon, rejette comme inauthentiques toutes les attestations de la tradition officielle, à l’exception de celle de frère Jean de l’Alverne, la plus récente en date. Toutes les autres seraient inspirées par celle-là et auraient été fabriquées afin de mettre directement en scène les principaux personnages, dont frère Jean dit tenir son récit, de façon à remonter à des garants de plus en plus immédiats des faits relatés, dont le premier en date serait le frère Massée, qui aurait assisté à la concession du pardon. Mais l’authenticité du témoignage de frère Jean de l’Alverne peut être également révoquée en doute, d’après X. Paulus, d’autant qu’on en trouve quatre rédactions différentes.

D’ail]eurs, même en admettant l’authenticité de provenance de tous ces témoignages, il n’est pas encore prouvé que le contenu en soit exact et que les faits rapportés correspondent à la vérité. On ne peut, en effet, exclure à priori l’hypothèse que les témoins cités ont pu alléguer des faits inexacts ou falsifiés et que des frères mineurs, pieux et vénérables, ont pu attester des faits historiquement faux, pour l’honneur de leur ordre. Tout d’abord, les défenseurs eux-mêmes de l’indulgence refusent de croire à l’exactitude du contenu de la tradition populaire, mise par écrit par Bernardi, Bartholi et l’évêque Conrad. Et, pour ce qui est de la tradition officielle, l’impression que l’on ressent à la lecture des attestations publiées vers la fin du xme siècle sur le pardon d’Assise est éminemment défavorable. Pourquoi, en effet, les témoins ont-ils senti le besoin d’étayer leur récit par une attestation juridique ? Cette signature de notaire, en pareille circonstance, doit éveiller les soupçons et rendre méfiant à l’égard de l’exactitude du contenu des témoignages. Puis, entre les divers textes d’une seule et même attestation existent des discordances si graves, qu’elles doivent nécessairement rendre le lecteur perplexe. En outre, les témoignages ne semblent point concorder entre eux. Ainsi, tandis que, d’après l’aveu de frère Léon, l’indulgence devait rester cachée par ordre de saint François (attestation de Jacques Coppoli), d’après le témoignage de Pierre Zalfani, le saint fondateur aurait annoncé, lui-même, en 1216, en présence de sept évêques et du peuple venu pour l’entendre, l’insigne faveur du pardon. Or, on s’imagine aisément que, une fois promulguée au milieu de populations débordantes de foi et de dévotion, elle ne courait nul risque de disparaître dans l’indifférence ou l’oubli. Si cette dernière attestation est véridique, comment expliquer l’ignorance absolue de l’indulgence de la Portioncule pendant un demi-siècle et le silence absolu observé à son sujet par les premiers biographes, Thomas de Celano, saint Bonaventure, les trois compagnons Léon, Ange et Rufin, et les premiers chroniqueurs de l’ordre ? C’est là une autre objection importante contre l’authenticité historique de l’indulgence, qu’aucun défenseur du pardon n’a pu résoudre jusqu’ici d’une façon péremptoire. Toutes les réponses données, au lieu d’expliquer ce silence absolu pendant