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POLYGÉNISME. LES DONNÉES SCIENTIFIQUES
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et combinées au sein des générations successives, pour se manifester à un moment favorable ou peut-être pour avorter. Les embryons présentent souvent des organes provisoires qui se résorbent et font place à des organes définitifs. La vie se montre prodigieusement complexe et étrangement souple dans ses combinaisons. Jusqu’où peut aller la différenciation par la mutation, surtout par une série de mutations au cours des âges ? Nul ne le sait. Sans doute, ces explosions, comme tout dans la nature, obéissent à des lois ; mais ces lois sont à peu près inconnues et leur application se produit dans des conditions si variées et si complexes que toutes les surprises sont possibles.

On a invoqué la parenté et l’origine pour déterminer l’espèce et nous avons vu quelles difficultés on rencontre pour les reconnaître. Ce point de vue a aussi été utilisé pour permettre des rapprochements entre vivants que leur forme faisait classer dans des espèces différentes.

Puisque la transmission’de la vie se fait au sein de l’espèce, l’interfécondité entre vivants prouve qu’ils appartiennent à la même espèce, quelles que soient les différences qu’on leur trouve par ailleurs. Le cheval et l’âne étaient considérés comme constituant deux espèces. Or, le mulet vient de l’accouplement d’un mâle de l’une avec une femelle de l’autre. On aurait ramené les deux espèces à une seule ; mais le mulet reste infécond, voilà une raison contre faisant échec à la raison pour. Certains hybrides peuvent se reproduire ; mais alors leurs descendants reviennent à l’une des deux espèces primitives et ne se fixent pas dans la forme intermédiaire. La vie semble défendre les groupements naturels contre l’unification.

N’y aurait-il pas là un critérium sûr pour déterminer les espèces actuelles ? Sont de la même espèce les variétés et les races qui présentent une interfécondité indéfinie, sous leurs formes nouvelles comme sous leurs formes anciennes.

On peut cependant faire deux objections : 1° Au sein d’une espèce, l’interfécondité peut cesser d’être possible pour des raisons soit mécaniques, soit chimiques, soit peut-être physiologiques ; 2° quand il s’agit de reconstituer les espèces fossiles, on peut tirer des conclusions inexactes : les squelettes de mulets feraient croire à une interfécondité indéfinie entre ceux-ci.

De ces remarques sur le problème de l’espèce, on peut conclure que la solution en est singulièrement difficile et qu’il y a beaucoup d’hypothétique dans les interprétations scientifiques. C’est vrai ; encore ne faut-il pas exagérer : la science s’est souvent trompée ; mais souvent aussi elle a deviné juste et elle a fait des conquêtes définitives quoique incomplètes. Parmi les savants comme parmi les philosophes, les théologiens, les historiens, les exégètes, parmi tous les spécialistes et tous les compétents, il y a eu des divergences de vues et des raisons, pour les uns comme pour les autres, d’être à la fois confiants et modestes.

1 1 I. Le POLYGÉNISME ET LA SCIENCE. NOUS avons

sommairement indiqué, dans l’historique, les trois phases par lesquelles ont passé les opinions polygénistes. Nous allons montrer comment les deux premières se sont produites et ont pris fin, au moins pour le moment, car bien des théories renaissent un peu rajeunies. Nous exposerons ensuite la troisième phase celle où nous sommes actuellement, en f934, et qui peut durer encore longtemps.

l’e phase. — Un fait constaté depuis fort longtemps, c’est l’existence des races humaines actuellement vivantes. D’antiques peintures égyptiennes montrent qu’on avait déjà remarqué la différence entre nègres et blancs et qu’elle n’était pas moins accentuée qu’aujourd’hui. Les naturalistes modernes ont tenté diverses

classifications en prenant des signes distinctifs variés : la couleur de la peau, la forme des cheveux, le système pileux, l’anatomie de la tête ou de l’ensemble de l’organisme, la distribution géographique, le langage, etc. On a distingué deux, trois, quatre, cinq groupes ou même davantage, en y introduisant au besoin des subdivisions. Pratiquement, avec de Quatrefages et Verneau, on parle de quatre troncs : le blanc, le jaune, le noir et le rouge.

Les morphologistns ont été tentés de faire des espèces avec ce que nous appelons des races d’une même espèce. Voici ce que disait l’un d’eux, Virey : « Certainement, si les naturalistes voyaient deux insectes, deux quadrupèdes aussi constamment différents par leurs formes extérieures et leurs couleurs permanentes que le sont l’homme blanc et le nègre, malgré les métis qui naissent de leurs mélanges, ils n’hésiteraient pas à en établir deux espèces distinctes. »

Le cas le plus curieux est celui d’Agassiz. un savant catholique, tellement ennemi du changement qu’il n’admettait pas que les espèces eussent subi des modifications profondes dans leurs formes, ni même qu’elles eussent quitté leur habitat pour un autre, par migration. Son fixisme morphologique et géographique a fait de lui un polygéniste. Dieu, pense-t-il, aurait créé séparément les races humaines, chacune en son pays, chacune avec sa langue propre. Agassiz s’efforçait cependant, avec plus de bonne volonté que de logique, de sauvegarder l’unité de l’espèce humaine.

fin face de lui, de Quatrefages était monogéniste. Quoique adversaire du transformisme de Lamarck et de Darwin, il admettait un.e certaine variabilité des formes vivantes, sous les influences externes. Ainsi se seraient formées les races au cours de migrations dans des régions fort diverses. Les formes et les habitats se seraient à peu près fixés comme nous les trouvons, mais avec la possibilité de nouveaux changements à ces deux points de vue.

Il est curieux de voir des monogénistes s’opposer à l’évolutionnisme qui, cependant, favorisait leur thèse. Le postulat de l’évolution c’est la plasticité des organismes, surtout dans les périodes initiales, auxquelles succède une phase de stabilité. On conçoit alors facilement que les premiers humains se sont différenciés, de bonne heure et profondément, en plusieurs races et se sont fixés sous cet aspect.

Si les « races » humaines sont, à proprement parler, des « espèces », on explique leur coexistence, si on est fixiste, par une création spéciale, si on est évolutionniste, par une origine spéciale. C’est vers cette seconde interprétation que les esprits à tendance polygéniste vont s’orienter, tandis que va diminuant sans cesse le nombre de ceux qui croient à des créations multiples et successives d’espèces nouvelles par Dieu.

2e phase. — Parmi les transformistes, on voit apparaître un certain nombre de polygénistes. Peut-être même quelques-uns obéissent-ils à une suggestion puisée dans les idées d’Agassiz. Celui-ci, pour démontrer que les mêmes causes locales ont agi sur les hommes et les animaux, invoque la ressemblance de couleur qui existe, selon lui, entre le teint du Malais et le pelage de l’orang ; il compare, au même point de vue, les Negrittos et les Telingas aux gibbons.

Ces ressemblances, on va les expliquer par la parenté entre telle race d’homme et telle espèce d’anthropoïde. Nous allons exposer et examiner ces théories polygénistes, en prenant pour guide M. Henri-V. Vallois, professeur d’anatomie à la faculté de médecine de Toulouse. Sa compétence exceptionnelle l’a fait désigner, avec M. Yaufrey, depuis la retraite de MM. Houle et Verneau, comme rédacteur en chef de l’importante revue V Anthropologie. Sur la question qui nous occupe, il a publié deux articles très remarquables : Y a-t-i