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PLATONISME DES PÈRES. LE MONDE INTELLIGIBLE


ils se sont tous élevés avec autant d'énergie que contre le sabellianisme qui ne reconnaissait point la distinction des personnes. « Afin de ne point diviser la nature divine en plusieurs dieux, il faut confesser qu’il n’y a qu’une seule nature pour le Père et le Fils. » S. Basile, Homil. cont. Sabell. et Ar. et Anom., 3-5, t. xxxi, col. 604 D-605 B ; 609 C ; cf. Epist., xxxviii, 4, t. xxxi, col. 332 A-333 A. « C’est parce que la nature divine n’admet aucune pluralité, qu’il n’y a pas plusieurs dieux. » S. Grégoire de Nysse, Quod non sint très dii, t. xlv, col. 33 A. Une seule nature, commune aux trois personnes, oui ! mais pas de la même manière que, selon les philosophes, « l’homme » est commun à Pierre, Paul et Jean ; Basile l’affirme explicitement. De Spiritu Sancto, xvii, 41, t. xxxii, col. 144 BC.

De même Grégoire de Nazianze, Oral., xxxi, 15-20, t. xxxvi, col. 149 BC sq. ; bien que lui aussi, en parlant de la Trinité, se souvienne parfois du vocabulaire néoplatonicien, Oral., xxix, 2, t. xxxvi, col. 76 B, il affirme l’indivision de la nature avec autant de fermeté que la distinction des personnes : la Triade ne détruit pas la Monade :

'Ex [xovâSoç Tpidcç èem xocl ex. rpiâSoç jxovàç oa161ç

Poem. theol., sectio i, carm. 3, t. xxxvii, col. 413 A. Ce que la foi enseigne et ce qu’ils professent, c’est une distinction mystérieuse qui ne détruit pas l’unité, une unité qui n’est pas une confusion, Siâxpiaiv ts aov7)[i.[jt.£/7]v xoeî S(.axsxpi|J.[x£vY)v auvocçsiav. S. Basile, Epist., xxxviii, 4, t. xxxi, col. 333 A ; cf. De Spir. Sancto, xvin, 45 : xal tô tSiàÇov ~tàv » j7TO(rrâacWv ôu : oXoyoù[^£v xocl |jLÉvo|jiev È7Ù ttjç [xovocp-/îaç.

Sans doute, en vertu de leur présupposé platonicien, ils ne distinguent pas assez la nature humaine abstraite qui est une et la nature humaine concrète qui se multiplie dans les individus : de là des confusions. Mais leur souci de se séparer aussi bien de « l’hellénisme » que du sabellianisme, le fait qu’ils n’admettent qu’une seule opération (ad extra) pour les trois personnes (saint Grégoire de Nysse, Quod non sint très dii, t. xlv, col. 120-129 ; Cont. Eunom., t. II, col. 564565 ; cf. saint Grégoire de Nazianze, Orat., xxx, 11-13, 19, t. xxxvi, col. 116 sq., ), leurs considérations philosophiques sur l’unité c'.e nature et l’unité de nombre (par ex. pseudo-Basile (Évagre), Epist., viii, n. 2, t. xxxii, col. 248 C), tout cela montre bien qu’ils reconnaissent entre ces personnes autre chose que l’unité spécifique de nature et que, lorsqu’ils affirment l*essence divine unique, ils ont en vue l’essence et la nature concrète. Voir J.-F. Bethune-Baker, The meaning of homoiousios in the Constantinopolilan Creed, dans Texts and sludies, t. vii, f asc. 1, Cambridge, 1901 ; M. Rasneur, L’homoiousianisme dans ses rapports avec l’orthodoxie, dans Revue d’hist. ecclés., t. iv, 1903, p. 189-206, 411-431 ; Grandsire, Nature et liypostases divines dans saint Basile, dans Recherches de science relig., t. xiii, 1923, p. 130-152.

Lorsque les Pères cappadociens expliquent que le Fils de Dieu sauve les hommes en s’unissant à la nature humaine, leurs formules s’inspirent parfois, nous allons le voir, du même réalisme exagéré. Mais, d’un côté comme de l’autre, il s’agit de spéculations théologiques qu’il faut distinguer de l’objet de la croyance, comme a soin de le faire saint Basile au sujet de la Trinité (cf. Cavallera, Le schisme d’Antioche, p. 314), et saint Grégoire de Nysse au sujet de la rédemption. De hominis opificio, xvi, t. xliv, col. 185 A. Ce sont les tâtonnements d’une science en formation et non les incertitudes d’un dogme qui évolue. Ils cherchent à préciser ce qui distingue les personnes. La constitution intime de la Trinité reste pour eux exactement ce qu’elle était pour les Pères de Nicée. Cf. Tixeront,

Histoire des dogmes, t. ir, c. iii, n. 2, 4e éd., p. 81-89 ; Cavallera, Le schisme d’Antioche, p. 303 sq. ; K. Holl, Amphilochius von Ikonium, p. 142 sq.

/II. LE RÉALISME PLATONICIEN KT LA DOCTRINE DV 3AL UT. 1° La thèse d’A. Harnack. — Chez Athanase, Cyrille d’Alexandrie, chez Grégoire de Nysse surtout, la doctrine de la rédemption par le Christ Sauveur est, dans ses principes, toute platonicienne et peut se résumer ainsi : s’il nous est possible de nous sauver et d’accéder à la vie éternelle, c’est que le Christ assuma « non pas une nature humaine particulière, mais la nature humaine. Par suite, en lui, c’est toute l 'humanité qui s’est soudée à la divinité ; la nature humaine tout entière… est devenue divine ». Harnack, Dogmengeschichte, t. ii, 4e éd., p. 166 sq., après Herrmann Gregorii Nysseni sententiæ de salule adipiscenda, Halle, 1875, et Ritschl, Die christliche Lehre von der Rechl/crligung und Versôhnung, Bonn, 1903. Le présupposé est évidemment platonicien. La nature humaine du Christ est un universel, une Idée. l’Homme en tant que tel. En lui, tous nous sommes contenus et, par le fait de son union au Verbe, tous nous sommes sauvés. Loofs déjà avait exprimé des réserves sur cette manière de voir. Art. Gregor von Nyssa, dans Prolest. Realencykl., t. vii, p. 152-153. K. Holl, Amphilochius von Ikonium, p. 222 sq., juge qu’il faut l’abandonner complètement. « Sans doute, dit-il, Grégoire de Nysse parle de l’humanité comme d’un tout que le Verbe assume et sauve ; cependant, l’unité de ce tout est fondée non pas sur la doctrine platonicienne des Idées, mais sur la presc ence et la toute-puissance de Dieu, comme le prouve le passage même invoqué par Harnack (De hom. opif., c. xvi). Il est très clair aussi que, pour le même docteur, l’humanité du Christ est une réalité concrète et non pas un universel. »

Cela ne prouve qu’une chose, reprend Harnack, c’est que Grégoire est non seulement un platonicien mais un chrétien aussi, nourri de la Bible, qui fonde les Idées en Dieu ; de plus, s’il est vrai qu’il considère l’humanité du Christ comme une réalité concrète, on ne peut nier que, pour lui, « la nature humaine individuelle, assumée par le Logos comme second Adam, contenait en quelque manière tous les hommes ».

2° Voici le passage de saint Grégoire de Nysse qui, plus que tout autre, a donné occasion à ces interprétations outrancières. Il est tiré du 73e hominis opificio, c. xvi, P. G., t. xliv, col. 185 C : « Quand la parole sacrée dit que Dieu créa l’homme, tov av6pcoT : ov, la forme indéterminée de l’expression manifeste qu’il s’agit de l’humain universel, cxTtav tô àvOpwmvov ; on ne parle pas, en effet, d’Adam comme dans la suite du récit ; l’homme créé est appelé « non pas tel homme, mais l’homme en général, oùx ô tIç, àXX' ô xaGôXo’j ècmv. Nous sommes ainsi prévenus que, par l’effet de la providence et de la puissance divine, « toute l’humanité est comprise dans la première création ». C’est de la même manière que le Christ, nouvel Adam, aurait, dit-on, assumé l’humanité et la sauverait ; c’est ainsi qu’il faudrait comprendre les textes oii Grégoire de Nysse avance que, par son incarnation, le Christ a réconcilié avec Dieu l’homme dans son universalité, et qu’en ressuscitant il l’a rendu à la vie, ôXov’auvavaaTTjaai ; tÔv av6pcù7rov, car sa chair n'était pas d’une autre pâte que la nôtre. Orat. catech., c. xxxii, t. xlv, col. 80 BC.

Le c. xvi du De hominis opificio s’inspire en effet de Philon et du réalisme platonicien. La parenté devient évidente, si l’on rapproche ce qu’il dit. De hom. opif., col. 181 A sq. ; 185 D : l’homme que Dieu créa au commencement n'était ni du sexe masculin ni du sexe féminin…, la différence de sexe vint ensuite, et les passages où Philon interprète la Genèse, i, 27 :