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PLATONISME DES PÈRES. LA TRINITÉ


De plus, à l’exception du Premier, tous les autres sont produits et. suivant un processus — on serait tenté de dire suivant un mécanisme — qui rend évidente leur infériorité. Ainsi l’Intelligence ne possède pas encore parfaitement sa nature au premier stade de sa genèse, ni même lorsqu’elle se retourne vers son principe, copiirpz [jlsv £— ' aùro oùy coç voùç, c’est seulement lorsque, dans un second temps, elle le contemple, qu’elle devient intelligence, Xaôwv Se èyévero vouç. V, m. 11.

Le fond de la doctrine plotinienne est donc bien l’idée de hiérarchie, d’une hiérarchie descendante d’intermédiaires qui s'étagent, de moins en moins parfaits, à mesure qu’ils s'éloignent du principe de l’unité et se rapprochent de la matière. Intermédiaires non seulement engendrés mais produits, inférieurs à ce dont ils émanent, encore inachevés au moment de leur naissance et qui doivent, pour se compléter, se retourner vers ce qui les engendre et le contempler.

On aura beau insister sur le fait que ces intermédiaires. l’Intelligence et l’Ame, forment avec le principe inengendré une espèce de trinité, on devra tout de même avouer que le dogme chrétien, loin d'être sorti de là, s’est trouvé corrompu chaque fois qu’en essayant de l’expliquer, on s’est trop souvenu de ces spéculations.

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C’est Synésius qui le proclame, Hymn., iii, vers 222 sq., P. G., t. lxvi, col. 1597, parlant cette fois nettement en chrétien et non en platonicien. Cf. saint Basile, De Spiritu Sancto, xvii et xviii, surtout 44, 47, P. G., t. xxxii, col. 148 CD, 153 C, contre les tenants d’une jTzyLÇ.LOy.rpiç dans la Trinité.

/II. LA RENCONTRE DU DOGME AVEC LA TRIADE

néoplatonicienne. — Parmi les rapprochements qu’on a faits entre la trinité platonicienne et la Trinité chrétienne, il convient de distinguer ceux qui sont recherchés et voulus, dirait-on, coûte que coûte, et d’autres qui résultent de l'éducation ou du milieu, agissant comme l’air qu’on respire, sans qu’on s’en aperçoive et d’autant plus efficacement.

C’est seulement à propos de ces derniers qu’on pourrait parler d’influence sur la formation ou l'évolution du dogme. Quant aux premiers, s’ils manifestent l’importance de certaines formules à une époque donnée, ils ne dénotent chez les écrivains chrétiens que le désir d'être mieux compris de leurs contemporains, et parfois une condescendance excessive.

Les rapprochements apologétiques.

Ces rapprochements, fréquents chez certains Pères, sont souvent

déconcertants, tellement l’analogie apparaît lointaine et contrainte, il sullira de donner en exemple saint Cyrille d’Alexandrie et saint Augustin.

1. Saint Cyrille d’Alexandrie.

Dans son grand ouvrage contre Julien, l'évêque d’Alexandrie, après avoir cité un passage de Plotin, Enn., VI, vi, vers la fin, interpelle ainsi l’empereur apostat : < Tu entends comme il affirme que ce qui est engendré doit, en tout et pour tout, être avec ce qui engendre, et cela parce qu’il n’en est pas séparé, qu’il lui est uni par nature et qu’il n’y a pas entre eux d’intermédiaire, qu’il s’en distingue uniquement parce qu’il est autre, non pas autre, comme il semble, par la nature, mais parce que, entre ce qui engendre et ce qui est engendré, il y a cette seule différence que l’un engendre et que l’autre est engendré. » Cont. Julian, t. VIII, P. C, t. lxxvi, col. 920 D. On devine le reste de l’argumentation. « N’est-ce pas ce que les chrétiens disent eux aussi ? Pourquoi trouves-tu donc ridicule leur croyance en la Trinité? »

Que disait en fait Plotin ? Dans le texte cité, parlant des premiers principes et de leurs relations mutuelles, il s’exprimait ainsi : « Tout être désire ce qui l’a engendré et il l’aime, surtout lorsque ce qui engendre et ce qui est engendré sont seuls : et lorsque ce qui engendre est ce qu’il y a de meilleur, nécessairement il est avec lui de manière à n’en être séparé que par l’altérité. »

Ce n’est pas tout à l’ait le texte que reproduit j Cyrille et qu’il interprète dans les termes qu’on vient de lire. Plusieurs variantes importantes se sont glissées, qui ne semblent pas fortuites. Par exemple, Plotin dit que ce qui engendre est le plus parfait (ro à ; j.eivov) ; dans l’autre version, il est l’infini (tô iôpiorov). Chez Plotin, ce qui engendre et ce qui est engendré sont seuls, jxôvoi ; on transcrit qu’ils sont une même chose, ëv. Ne dirait-on pas qu’on a voulu rendre moins difficile une comparaison avec le dogme chrétien en orientant l’interprétation dans le sens d’une stricte unité?

Dans son commentaire, l'évêque d’Alexandrie entre dans cette voie de conciliation, jusqu'à déclarer à propos de l’Ame du monde : « Pour moi, je pense que Plotin parle ici du Saint-Esprit », animateur, vivificateur, dont « la nature n’est pas différente de celle du Père et du Fils, mais qui, avec eux, n’a qu’une même nature ou essence, xorrà… t6 ôfxoç'jèç r t Toi tô op.oouai.ov. Ibid., col. 921 D. Donc, on trouverait là, l'ô[j.ooùatov lui même.

L’interprétation est tendancieuse, mais il reste qu’on lit, en effet, dans les Enne’ades, cette affirm ition impressionnante que « nécessairement (ce qui engen dre) est avec (ce qui est engendré) de manière à n’en être séparé que par l’altérité », wç tîj ÈTepÔTTjTi (iovov xs/ciptoôat. Comme le remarquait Thomassin, Dogni. theol., De Ueo Deique proprietatibus, t. II, c. v, n. 2, la question est de savoir ce que Plotin entendait par cette « altérité » : an hsec alleritas, qua sola Pater a Filio difjerre dicatur, sequalitati et substantivæ identitati inimica an consenlanea sit ; pour lui, il se refusait à répondre : alioriim esto judicium. Et, pourtant, la réponse s’impose : Est inimica.

C’est qu’en effet le contexte, d’accord avec l’esprit de l'œuvre entière, interdit de comprendre que ces principes soient une même chose, séparés seulement par la relation qui les oppose, comme s’il n’y avait entre eux d’autre distinction que celle-là. Immédiatement avant les paroles citées par Cyrille, on lit cette affirmation : « Ce qui est parfait engendre. Le principe éternellement parfait engendre éternellement un être éternel ; mais ce qu’il engendre lui est inférieur, ëXa-rrov Se èauTOÔ yevvà. V, i, 6. Ce qui est engendré se distingue de ce qui l’engendre, comme le multiple se distingue de l’Un, et ce qui désire de son objet, comme ce qui change de ce qui demeure. L’Intelligence, il faut le répéter, est le second degré d’une hiérarchie descendante, le premier Principe se distinguant par sa perfection de tout ce qui tire de lui son origine. II, viii, 9 ; cf. V, iii, 11 ; VI, ix, 6 ; III. ix, 3… Quand Plotin affirme que seule 1' « altérité » sépare l’Ame de l’Intelligence et l’Intelligence de l’Un, il fait entendre que ces principes divins, à la différence des choses sensibles, que nous distinguons par le lieu qu’elles occupent dans l’espace, sont distincts sans que rien les sépare, discernables l’un de l’autre non par leur place mais par leur essence, par l’altérité qui constitue chaque degré d'être et le diversifie de tous les autres : ÉTep’j-r/jTi. où -61voi, comme explique Plotin à plusieurs reprises, VI, ix, H ; VI, iv, 1 1, ou, comme traduit saint Augustin, Confess., XII, vii, par cette dissemblance qui met une distance entre Dieu et eux : tanto a le longius, quanta dissimilius : neque enim locis.