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PIERRE LE VENERABLE. ŒUVRES


du Coran. Quand il vit que son illustre ami ne Se souciait pas d’entreprendre cette réfutation, comme il désirait se dispenser de lire en entier le Coran, l’abbé de Cluny confia à son secrétaire, Pierre de Poitiers, le soin d’établir un schéma de son travail, puisqu’il en avait fait une lecture attentive en revisant en Espagne le texte latin de Pierre de Tolède et de Robert de Pampelune, col. 661, qui avaient eux-mêmes fait la traduction avec l’aide d’un certain Mahomet. Ce travail, malgré tout, n’est pas exact et, dans l’édition de Zurich de 1543, Huet et Erpenius ont signalé bien des contresens. Pierre de Poitiers, naturellement plein de confiance en son texte, rédigea successivement deux plans, dont le second a été conservé ; et credo quod multo distinctius ordinata sint [capitula] quam unie Col. 661. La réfutation y tenait en quatre livres ; mais, quoi qu’en dise son auteur, les sujets étaient mal ordonnés : le 1." I traitait de la conservation des saintes Écritures par les juifs et par les chrétiens ; mais le 1. II passait des turpitudes de la vie de Mahomet aux contradictions doctrinales du Coran ; le 1. III prétendait s’occuper de l’absence des miracles dans la carrière du prophète de l’Islam, et y mêlait la question de ses prophéties ; ces dernières faisaient encore l’objet du t. IV, lequel se terminait par un énoncé des horreurs doctrinales du Coran et de leur lointaine origine dans les sectes hérétiques !

Nous ne pouvons savoir le plan général que l’abbé de Cluny a donné à son ouvrage, puisque nous ne possédons que les deux premiers livres de cette réfutation qui devait en contenir cinq, d’après la Biblio-Iheca Cluniacensis : c’était en effet la disposition logique des vingt-neuf chapitres que lui avait soumis son grand prieur. Mais, à lire ce qui nous reste, on voit que Pierre le Vénérable s’est donné tout le temps ab aliquul annis, col. G85, de réfléchir sur le Coran traduit par ses soins. Évidemment, il s’est servi du schéma de son secrétaire qu’il avait sous les yeux ; il en a même transcrit tels quels certains raisonnements compliqués qui n’étaient pas dans sa manière. Cf. Capitula, t. III, 5, col. 663, et t. II, 16, col. 710. Mais il n’est pas moins manifeste qu’il répugnait à entrer dans les détails, parfois s : abreux, de ce réquisitoire (cf. Capitula, t. II, 6 et 7) : il ne cite que quatre textes, importants d’ailleurs, du Coran et ne dit rien de la vie de Mahomet. Et cette aversion l’a amené à substituer à la controverse irritante qu’on lui proposait, une apologétique du seuil » qui était assez inusitée de son temps : a I nécessité pour l’Église de réfuter cette nouvelle « hérésie ou cette secte païenne », comme on voudra l’appeler, à l’imitation des apologistes anciens et des Pères de l’Église ; ici il insère une liste suffisamment complète et neuve, semble-t-il, des anciennes controverses ;

b) appel au salut et à la vraie religion : Invita vos ad salulem, non qu ; e transit, sed quæ permanel, col. 674 ;

c) nécessité pour les Sarrasins d’écouter ceux qui ne désirent que les éclairer sur leur religion, « car tout esprit raisonnable cherche à savoir la vérité sur le monde et sur Dieu », et, à rencontre du précepte du Coran qui demande à ses sectateurs de se boucher les oreilles, et de prendre leur sabre, les chrétiens sont prêts « à rendre raison de leur foi et de leur espérance », comme le demande saint Pierre. D’ailleurs, comme l’a remarqué saint Jean, « celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour que soit manifestée sa conduite », rappel discret des dispositions morales indispensables. Col. 675-685. Ainsi firent jadis les Angles qui se convertirent à la voix d’Augustin.

Une fois bien défini le but de l’apologétique de tous les temps, Pierre de Cluny se trouvait devant la question préalable de la valeur des Livres saints, à laquelle il consacre tout le 1. I : c’est un fait que le Coran emprunte des enseignements et des preuves à

l’Ancien et au Nouveau Testament. Tient-il donc ces livres comme d’origine divine’? Alors il devrait les suivre jusqu’au bout. Col. 686. Mais les docteurs de l’Islam prétendaient que l’un et l’autre avaient été corrompus et. si leur hypercritique avait été moins burlesque, elle aurait pu mettre à une sérieuse épreuve les juifs ef les chrétiens. L’abbé de Cluny se borne à mettre en relief le zèle conservateur des premiers et des seconds, col. 689, la multiplicité des exemplaires et le respect dont on les entourait, aussi bien sjiis Esdras que sous les empereurs persécuteurs. Après une esquisse plutôt simpliste de l’origine du Nouveau Testament et de l’histoire du canon, il tire argument des différentes versions des Livres saints, et des citations, tronquées et mêlées de mensonges, qu’en : faites Mahomet dans le Coran.

Le t. II, Contra sectazn Saracenorum traite, non du miracle, mais de la prophétie, chez les chrétiens et les mahométans, et il trahit un réel embarras. L’auteur, en effet, se heurte à cette tranquille assurance d’Allah dans le Coran : « Nous vous donnerions bien des prodiges et des miracles, si nous ne savions qu’ils ne vous croiraient pas, de même qu’ils n’ont pas cru aux autre-, thaumaturges. » Pierre le Vénérable, si amateur de prodiges, a beau se moquer de cette dérobade de Mahomet, puisque les deux fondateurs de religion. Moïse et Jésus, ont fait appel aux miracles ; il ne comprend pas que Mahomet, après ce’a, puisse être appelé « le Prophète », sans avoir fait la moindre prédiction, même pour ses propres expéditions militaires ; car les prophéties contenues dans la Généalogie de Mahomet et autres livres postérieurs au Coran ont été reniées d’avance par Mahomet lui-même et ne sont pas authentiques. Le controversiste en est donc réduit à défendre le caractère prophétique des voyants de l’Ancien Testament et à établir des distinctions toutes scolastiques entre les prophètes : Prophilarum vel qui juerunt, vel qui dicuntur, alii boni, alii mali. Bononun alii prxdicentes universalia, alii particularia. Malorum alii /allaces, alii veraces. Col. 712-72). Bien long détour qui ne servait à rien.

3° Œuvres d’édification. — 1. Le De miraculis fut l’occupation des dernières années de l’abbé de Cluny. L’édition qu’en a donnée la Bibliotheca Cluniacensis est très défectueuse et, dès le prologue, omet une incidente qui marque une nuance importante de la pensée de l’auteur sur les miracles : nostris temporibus plerisque in locis miracula, licet rarius quam priscis temporibus, proveniunt ; surtout elle ne présente qu’une seule des deux ou trois recensions successives que Pierre le Vénérable en a données. Le premier noyau de son livre (t. II, c. iv-xxm) était constitué par ce qu’il appelait dans une lettre de 1146, la Vita domni Malthci episcopi, notice nécrologique sur son ancien prieur Matthieu, mort cardinal d’Albano († 1135), panégyrique mêlé d’histoire générale qu’il gardait à part lui du vivant de son héros, et qu’il se décida à publier en le faisant précéder de trois autres notice^ anecdotiques et d’un prologue où il déclare vouloir remédier, pour son compte, à l’indigence déplorable de bons historiens dans l’Église occidentale des derniers siècles : « Aussi possédons-nous une foule d’histoires anciennes, d’actes ecclésiastiques, de livres d’une grande doctrine, qui renferment les préceptes et les exemples des Pères ; quant aux faits qui se sont passés à des époques voisines de la nôtre, je ne voudrais pas assurer que nous possédions un seul livre qui en traite. » Col. 908. Mais, avant que cette contribution à l’histoire de son temps fût sortie du cercle de Cluny, le vénérable abbé, après 1146, se décida à lui adjoindre un premier essai, d’allure apologétique et pieuse, relatant les miracles accomplis dans l’Église contemporaine, et relatés sans ordre de date. col. 913,