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ORDRE. LE HAUT MOYEN AGE


jugés, l’ignorance théologique, les passions politiques ou religieuses obscurciront manifestement la doctrine que le génie d’Augustin avait éclaircie. Voici, en bref, comment éclata le conflit qui devait se prolonger si douloureusement au sein de l'Église. « Les Grecs inclinaient à rejeter les ordinations des hérétiques. Dans le conflit qui divisa, au VIe et au vir 3 siècle, les Églises anglo-saxonnes et bretonnes, le moine cilicien Théodore, devenu archevêque de Cantorbéry. n’hésita pas à appliquer les principes dont il avait été imbu dans sa jeunesse et s’en fit une arme contre ceux qu’on appelait hérétiques quartodécimans, c’est-à-dire contre le clergé breton. Ceaida, northumbrien de naissance, avait été ordonné évêque d’York par l'évêque de Winchester assisté de deux évêques bretons ; Théodore le fit déposer et, regardant comme nulles les ordinations qu’il avait reçues, les lui fit toutes renouveler avant d’en faire un évêque de Lichfield. En même temps, il insérait dans son pénitentiel la prescription 26 : Si quis ab ereticis ordinalus sit, ilerum débet ordinari. » Tixeront, op. cit., p. 417-418 ; cf. Saltet, op. cit., p. 89. « Une brèche plus grave encore fut faite dans les principes augustiniens par le concile romain de 769, qui déclara nulles toutes les ordinations faites par le pape Constantin, usurpateur il est vrai, mais véritablement évêque, et obligea ceux qu’il avait ordonnés à recevoir de nouveau l’ordination, dans le cas où ils seraient choisis pour les fonctions auxquelles Constantin les avait élevés. "Voir les textes dans Saltet, op. cit., p. 101 sq. Ces faits et les formules exagérées de Pelage jetèrent dans la pensée théologique, sur la question de la validité des ordinations conférées par les hérétiques et les schismatiques, un trouble qui ne fit que s’accroître dans les siècles suivants. » Tixeront, ibid. Et pourtant, au début du ixe siècle, saint Agobard, évêque de Lyon, dans son petit traité De privilegio et jure sacerdotii, P. L., t. civ, col. 127-148, tient expressément que les fautes ou crimes personnels du prêtre ne lui enlèvent pas le pouvoir de faire et même, en certains cas, de conférer les sacrements. Ce petit traité est à lire, car il jette une lumière précieuse sur les difficultés d’avoir un bon clergé à cette époque : habemus sacerdotes quules possumus, écrit mélancoliquement Agobard, col. 140.

a) Chez Nicolas F 1 et Hincmur. — L’affaire d'Ébo, archevêque de Reims, déposé en 835, puis rétabli pendant un an (840-841), et enfin nommé par Louis le Germanique évêque d’Hildesheim, mort en 851. amena le concile de Soissons (853) à se prononcer sur les ordinations faites par l’archevêque déposé. Le rôle d’Hincmar, en l’occurrence, paraît entaché de duplicité. En effet, faisant proclamer les ordinations nulles, il voulut obtenir du pape Nicolas 1 er approbation de cette décision, tout en sollicitant la clémence du souverain pontife en faveur des clercs ainsi condamnés. Cette attitude lui valut des lettres très dures du pape, dans lesquelles il était accusé d’intrigue et même de faux. Nicolas I er posait nettement la question ; au sujet des clercs d'Ébo, il ne voulait pas entendre parler de grâce, mais de justice. Quelle qu’ait pu être l’indignité d'Ébo, les clercs qui, de bonne foi, se sont fait ordonner par lui n’en ont reçu aucun préjudice, en vertu de l’adage bien connu quod mali bona ministrando sibi tantummodo noceanl, nec Ecclesise sacramentel commandent. Epist., cvii, P. L, t. exix, col. 1100 ; cf. Saltet, op. cit., p. 133. Nicolas invoquait l’autorité de Léon Ie » et d’Anastase II (voir ci-dessus, col. 1280-1281). Hincmar dut accepter la thèse du pape et reconnaître la validité des ordinations d'Ébo.

Mais Hincmar avait une doctrine théologique personnelle sur l’objet, cause du litige, et il importe de

la signaler, pour montrer comment la pure tradition augustinienne restait vivante au milieu des controverses. Elle est formulée principalement dans un ouvrage que Bernold de Constance s’est attribué, mais dont l’essentiel doit être restitué à Hincmar. lie excommunicalis vilandis, de reconciliatione lapsorum et de fontibus juris ecclesiastici, P. L., t. cxlviii, col. 1181, publié également dans Mon. Germ. hist., Libelli de lite imperatorum et pontifteum, Hanovre, t. ii, 1892, p. 112 sq. Dans l’ensemble de son ouvrage, Hincmar veut montrer que les canons publiés aux diverses époques par les conciles et par les papes, loin de présenter des contradictions, comme on le pourrait croire, attestent au contraire une profonde unité. Dans le problème de l’admission dans l'Église des clercs ordonnés hors de l'Église, il faut distinguer le droit strict et le pouvoir de dispense, ce qui permet à l'Église de réaliser le bien tantôt par la rigueur, tantôt par l’indulgence. Quelle est la nature de l’imposition des mains par laquelle doivent être réconciliés les clercs ordonnés hors de l'Église, dans le schisme ou l’hérésie, mais qui, par dispense, sont admis à exercer leur ordre dans l'Église après leur conversion ? La solution, proposée par Hincmar, est traditionnelle et pleinement conforme aux principes augustiniens : « Il discute le cas, à propos de l’imposition des mains prescrite par le concile de Nicée pour la réconciliation des clercs novatiens, et il admet que c'était l’imposition des mains de la pénitence. Au point de vue historique, cette explication est fausse… Mais, au point de vue dogmatique, la solution d’Hincmar avait le grand avantage de ne porter aucune atteinte à la théologie de l’ordre. Elle proclamait qu’aucune partie de la litursie de l’ordre ne pouvait être réitérée. Cette affirnation avait une valeur inestimable. Hincmar énumère les diverses cérémonies auxquelles convient le nom d’imposition des mains ; il permet de les réitérer toutes, sauf celles de la confirmation et de l’ordre : cum vero pro conftrmatione uel ordinatione impenditur, non jam pro sola oralione, sed etiam pro sacramento habenda est, quod sancti Patres iterari prohibuerunt. Nam non minus peccatur, si cui manus pro conftrmatione vel ordinatione iterum imponitur. Mon. Germ. hist., Libelli, t. ii, p. 119 ; Saltet, op. cit., p. 136. Hincmar était ici plus théologien qu’au concile de Soissons !

b) Des actes de Nicolas /", Adrien II et Jean VIII, dans l’affaire de Photius et des clercs ordonnés par lui, on ne saurait tirer aucun argument contre la doctrine traditionnelle : ici non plus — la démonstration qu’en a faite L. Saltet est décisive — il ne fut pas question de déclarer les ordinations nulles, mais simplement sans effet au point de vue de la licéité et du pouvoir que nous appellerions aujourd’hui de juridiction. La réordination de l'évêque de Verceil, Joseph, par Jean VIII, se présente sous un jour différent : Jean VIII déclare la première ordination nulle par ce que conférée par un excommunié. Il ne met pas en doute le principe général de l’indélébililé du caractère conféré par l’ordre ; mais il se trompe en affirmant que l’excommunication empêche un évêque de transmettre le pouvoir d’ordre. Ce point sera tranché par la théologie postérieure ; cf. Saltet, p. 138152.

c) Les a/firmations théoloyiques traditionnelles dans l’affaire des ordinations du pape Formose : Auxilius et Vulgarius. — Voir Formose, t. vi, col. 597. La question de la validité des ordinations de Formose fut pour Auxilius (voir t. i, col. 2622) l’occasion d'écrire quelques ouvrages de défense. En 908, Auxilius écrit le traité In de/ensionem sacrée ordinationis pap.n Formosi ; puis, vers 911, un dossier patristique intitulé De ordinationibus pap.v Formosi ; enfin, à peu